Débat Natixis-BPN à Lille : "Le monde vit sous morphine dure" pour Philippe Dessertine

L'expert, qui vient de publier son nouvel ouvrage « En tout espoir de cause », a délivré son analyse sans concession sur la situation. Avec un premier message positif sur l'avènement de nouveaux modèles très prometteurs: Apple est désormais la première capitalisation mondiale, une première historique alors que cette place était trustée depuis toujours par les pétroliers ou les constructeurs auto. Et Google talonne aujourd'hui Apple. « La crise économique représente la fin d'un monde mais elle accélère les mutations. La mondialisation aujourd'hui est d'abord celle de la science, qui atteint aujourd'hui des niveaux prodigieux d'innovation », souligne Philippe Dessartine, qui décline les quatre révolutions qu'il théorise : agricole, d'abord, pour nourrir une humanité qui passera de 7 milliards d'habitants aujourd'hui à 15 milliards à la fin de ce siècle. Or la France a perdu sa première place agricole historique en Europe, au profit de l'Allemagne, mais aussi des Pays Bas en élevage, de l'Espagne et de l'Italie dans certaines cultures. Révolution des biotechs ensuite. « Nous sommes dans tous les domaines avec des accélérations verticales de l'innovation », analyse l'économiste, qui relève que Google se lance tous azimuts dans le rachat de toutes les biotechs à vendre de par le monde...et que nos meilleurs projets français sont siphonnés par les Américains.

Révolution énergétique ensuite, avec un changement majeur en quatre ans : on est passé de la fin attendue des énergies fossiles à l'avènement du gaz de schiste avec des réserves gigantesques outre Atlantique. Du coup, désormais, « la révolution énergétique, il faut qu'on veuille la faire ». Enfin, la révolution numérique. La encore, la France et l'Europe ont raté ce rendez-vous des réseaux d'information et de données. Mais une nouvelle étape de cette révolution arrive avec le big data, l'imprimante 3D et les fablabs, avec de nouvelles solutions mathématiques, et les citoyens qui s'approprient désormais les nouveaux champs scientifiques et les transforment en problématique économique. Mais la France s'est tirée une balle dans le pied, dit en substance l'économiste, en étant le seul pays au monde à avoir intégré dans sa constitution le principe de précaution. « Nous avons besoin de retrouver la société du risque qui était au coeur de la France de 1914 », que l'on honore aujourd'hui et qui a produit les Panhard ou autres Renault.

« L'économie mondiale vit sous morphine dure »

Philippe Dessertine , membre du Haut Conseil des Finances Publiques, a ensuite analysé la situation macroéconomique actuelle. Avec cette fois un regard particulièrement inquiet sur l'envolée des dettes souveraines. Le new deal de Roosevelt a mobilisé 100 milliards de dollars (constants) entre 1932 et 1940, pour le plus grand plan de relance de l'histoire. « Depuis septembre 2011, la seule banque centrale américaine a injecté 96 milliards de dollars... par mois . On vit dans l'économie mondiale sous morphine dure ». Ce qui n'empêche pas 40 millions d'américains de vivre avec des tickets restaurant. « On a une explosion de bulles dont la plus spectaculaire sont les indices boursiers totalement déconnectés de la réalité économique ». Le scanner de la France est encore plus sévère. « A partir de 2015, la France devient le premier pays d'Europe en poids des charges publiques, devant le Danemark ». Or le poids de la France dans l'économie mondiale -N°5 mondial, n°2 européen, pilier de la zone euro- donne à notre pays un devoir de réformes massives et urgentes vis à vis du monde. Le mot n'est pas utilisé, mais le risque systémique d'un Etat français qui serait hors d'état d'assumer une hausse des taux d'intérêt n'est pas si éloigné. L'économiste relève d'ailleurs une étudie suisse publiée la veille, qui annonce pour le printemps 2015 le retour du krach, du fait des bulles sur le marché des actions et sur celui des dettes. « Si la France n'a pas mené ses réformes à ce moment là, il se passera quelque chose de grave. Nous sommes sûr qu'il y aura éclatement de la bulle ». Plutôt positif sur le principe du pacte de responsabilité, Philippe Dessertine en conteste en revanche la méthode. Louis Gallois préconisait dans son rapport une baisse radicale et brutale des charges. Ceci a été transformé en une réforme lente. « On a perdu l'effet choc ». Le principe des contreparties est lui aussi critiqué, car la nécessité est d'abord de retrouver la compétitivité des entreprises, qui est la condition préalable du retour des exportations et de l'emploi.

"Si les réformes sont adoptées, le lendemain les capitaux reviennent"

« Nous avons tous un travail de pédagogie à faire les uns et les autres », dit-il. L'expert semble peu convaincu de l'hypothèse d'une croissance de 0,7% cette année en France, après un premier trimestre nul, voire négatif, les vacances de Pâques en avril, quatre ponts en mai, deux grèves en juin, et la météo catastrophique de l'été. « On doit faire notre croissance de 0,7% sur les trois derniers mois, soit un rythme annuel de 2,3%... »

Philippe Dessertine, partagé entre une volonté d'optimisme et des constats macroéconomiques pesants dessine néanmoins des solutions. « Nous Français avons un effort violent à faire », dit-il. « Pour gérer le problème de la France, il faudra lancer beaucoup de mesures en même temps. La France est un pays de Cocagne dont le monde entier rêve ». Si les réformes sont adoptées, « le lendemain les capitaux reviennent, les jeunes reviennent, la France attirera à nouveau ». A bon entendeur …

O.D