La terre agricole, citadelle assiégée ?

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Photos : Sébastien Jarry

Textes : Marie Raimbault

 

Qui peut contester les projets du Canal Seine Nord ? L'extension de la plateforme logistique Delta 3, la création, demain, d'un pôle multimodal à Marquion? L'implantation d'Amazon sur un parc de 46 ha gagné sur les terres agricoles? La CCI Grand Lille réclamait encore il y a peu par la voix de son président Philippe Hourdain 2000 hectares pour le développement économique dans le Schéma de cohérence territoriale de Lille Métropole. Dans notre région très urbanisée, à l'habitat largement horizontal, les surfaces disponibles sont bel et bien devenues l'objet de toutes les convoîtises. Et la terre agricole une citadelle assiégée, rognée de toutes parts. Entre 2006 et 2010, 327 000 hectares de terres agricoles ont disparu en France. « A ce rythme, 11 % de la surface agricole va disparaître d’ici 2050, soit 15% du po tentiel agronomique », explique Stéphane Leduc, responsable du marché agriculture au Crédit Agricole Nord de France. Selon l’expert, on urbanisait 40 000 ha/an en 1960. 78 000 aujourd'hui, quasiment le double. La France perdrait l’équivalent d’un département agricole tous les 7 ans. Dans ce contexte, la région est particulièrement mal lotie. L'essor de l'industrie textile et du charbon a provoqué une forte extension des zones urbaines. Sa position de carrefour a entraîné un développement important d'infrastructures. Initialement plus pauvre en espaces naturels que d'autres régions, le Nord – Pas-de-Calais se caractérise aujourd'hui par un fort taux d'artificialisation - 16% du territoire, le double de la moyenne hexagonale, une forte place de l'agriculture et une faible place laissée aux espaces naturels. Entre 1990 et 2010, 21 000 ha ont été artificialisés dans la région. L'agriculture a perdu 35 000 ha, soit 3,5% de sa surface. « Nous ne sommes pas raisonnables sur le foncier. Nous avons un comportement d’enfants gâtés avec la terre. L’Etat est dans une situation d’endettement scandaleuse, consomme, gaspille. En matière de foncier, c’est pareil », commente Jean-Bernard Bayard, Président de la Chambre d’agriculture régionale.

 

« Nous avons un comportement d’enfants gâtés avec la terre ».

[caption id="attachment_11221" align="alignleft" width="396" caption="Jean-Bernard Bayard, Président de la Chambre d’agriculture régionale."][/caption]

Rare et chère

Les causes du phénomène sont multiples. Au premier rang, l'accroissement de l'habitat résidentiel (+ 3600 ha entre 1990 et 2010). Le modèle de la maison individuelle au centre de sa parcelle, assortie de son jardin, chère aux habitants de la région, est gourmande en foncier. La région n'échappe pas au phénomène de la décohabitation, qui concourt à l'inflation de logements, sans hausse démographique. Viennent ensuite s'ajouter les emprises industrielles (+ 1200 ha), et commerciales (+ 181 ha) puis les infrastructures. Corolaire de cette raréfaction des terres agricoles, leur valeur s’envole. « Il y a une compétition terrible sur l’acquisition des terres. Et une pression énorme sur les prix. Sur le
littoral, les terrains atteignent des sommes folles. Vendre des terres agricoles en vue d’un changement d’affectation peut s’avérer plus lucratif que le trafic d’héroïne !
», ironise Jean-Marc Valet, directeur du conservatoire botanique de Bailleul. Le faible niveau des retraites encouragerait certains exploitants à vendre leur terrain au plus offrant. In fine, l’accès au foncier est encore plus difficile qu’il y a quelques années. Et encourage davantage l'agrandissement des exploitations existantes que l’implantation de nouveaux agriculteurs. Les chiffres en témoignent. Depuis 1970, la surface moyenne des exploitations a triplé, passant de 19 à 60 hectares, quand leur nombre a été divisé par 4, passant de 48 000 à
12 000.

 

Corridors bio et densification

Mais le problème ne se résume pas à la contraction des terres agricoles. Leur qualité se dégrade considérablement. Les effets conjugués de l'agriculture intensive et de la réduction des milieux naturels ont eu des effets dévastateurs sur la biodiversité. Selon l'observatoire régional de la biodiversité, la moitié des espèces végétales sont menacées de disparition et la terre s'appauvrit gravement (voire notre interview de Jean-Marc Valet).

Le constat est noir ? Parmi les pistes évoquées par les spécialistes de tous bords, deux orientations s'imposent : créer des corridors biologiques et maîtriser l'étalement urbain. Emmanuel Cau, élu ELLV et Vice-Président du Conseil régional en charge de l'aménagement du territoire et de l'environnement défend la « Trame verte et bleue ». Cette politique publique déclinée au niveau local cartographie des corridors biologiques destinés à recréer ou à préserver la biodiversité. « Ce que l'on recherche là, ce n'est pas de la surface, mais à récupérer les services éco systémiques des milieux naturels : l'épuration du sol, de l'air, de l'eau, la pollinisation, du stockage de carbone...»

 

[caption id="attachment_11222" align="alignleft" width="328" caption="Stephane Leduc, Responsable du marché agriculture du Crédit Agricole"][/caption]

« Il faudrait des projets plus verticaux avec des parkings souterrains ou sur les toits ». Stéphane Leduc, Responsable du marché agriculture du Crédit Agricole.

L'élu prône par ailleurs un doublement de la forêt d'ici 2030. « Il faut de la biodiversité pour le sol agricole. Que ce soit de la bande enherbée, des talus, de la haie, de l'agroforesterie... La forêt, c'est à la fois de la biodiversité et de l'attractivité économique. Dans la région, on a le meilleur ratio d'emploi de la filière », poursuit l'élu écologiste. Les agriculteurs, hostiles à cette ambition jugée consommatrice de foncier, plaident davantage pour une optimisation de l’espace dans la construction des zones d'activités. « En Allemagne, pour des projets similaires, on a 50% de consommation de foncier en moins. Il faudrait pousser les projets plus verticaux, avec des parkings souterrains ou sur les toits. Et travailler sur les friches industrielles, la région en est pleine ! », rappelle Stéphane Leduc. Densifier donc, une orientation qui est celle de la Région et de Lille Métropole depuis plusieurs décennies déjà, notamment avec l'approche de « Ville renouvelée », économe en espace. Les schémas de cohérence territoriale peuvent imposer des règles de densité. Le pouvoir est in fine dans les mains des maires et des élus, décisionnaires en la matière. Ceux-ci sont hélas souvent confrontés à un électorat bien décidé à limiter l'arrivée de nouveaux projets. « Capinghem, Lambersart, Gruson, Salomé, un certain nombre d'opérations, notamment de logements, ont été annulées ou modifiées du fait de mouvement d'associations d'habitants, hostiles à ces projets», explique Catherine Martos, à l'agence d'urbanisme de Lille. Alors que les territoires sont dans une véritable compétition pour attirer des projets économiques et des habitants, il semble difficile pour un élu d'être exemplaire en matière de consommation de foncier. Et pourtant, il faudra bien, la ressource étant finie.

La région vient d’adopter son schéma régional du climat dans lequel figure l’objectif de diviser par 3 la consommation d’espace au profit de l’artificialisation. Le gouvernement, de son côté, a fixé l'objectif de 0% d'artificialisation des terres d'ici 2030.

 

 

Lire aussi :

 

- 3 questions à William Loveluck, chargé de mission à l'association Terre de liens Nord – Pas-de-Calais

- La Safer, médiateur du foncier agricole

- L'interview de Jean-Marc Valet, Directeur du conservatoire botanique national de Bailleul 

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