Stéphane Raison, président du directoire du port de Dunkerque: “Les ports ne réussiront pas sans être partenaires les uns des autres"

Quelle est la santé économique du port ?

Les chiffres seront bons cette année. L'an dernier était en retrait car la sidérurgie n'allait pas bien. Avec la réhabilitation d'un haut fourneau, la situation a repris avec une usine qui tourne très bien. Sur le transmanche, nous avons eu deux années 2014 et 2015 exceptionnelles avec DFDS, du fait des problèmes de MyFerryLink et de la jungle à Calais. 2016 restera une bonne année chez DFDS. Le terminal méthanier a connu un incident de mise en route le 25 juillet avec des difficultés opérationnelles. Tout est maintenant résolu et on espère un lancement commercial l'an prochain. Notre progression est à deux chiffres sur le conteneur. Entre 2010 et aujourd'hui, nous sommes passés de 200 000 EVP à 350 000 EVP.

Les progressions sont plus faciles quand on part de bas...

C'est vrai mais ça n'empêche pas le port d'Anvers, même à 10 millions de conteneurs, de continuer à progresser de 4%!

Comment Dunkerque peut-il rivaliser avec les géants du Benelux?

C'est notre projet d'après 2018. C'est d'ailleurs écrit dans le rapport « Axe nord» des sénateurs Bignon et Vandierendonck. Tout le monde dit que le premier port français c'est Anvers : leur système logistique est concentré sur un « mainport » avec des lignes, un hub au sein duquel vous chargez et déchargez de la marchandise. Leur objectif est que « l'inbalance » soit à zéro, avec un même nombre de conteneurs qui entrent et qui sortent. Anvers compte 6,5 M de m2 d'entrepôts, à 350 km de Paris : les Belges ont conservé toute la valeur ajoutée. Comparativement, Dunkerque a 130000 m2, Le Havre, 700 000 m2, et 2,7 M m2de surfaces logistiques sur la vallée de la Seine. Nous lançons un grand projet « Cap 2020» avec la construction d'un nouveau bassin et d'un nouveau quai conteneur pour créer à Dunkerque une capacité de 2,5 M d'EVP (équivalent vingt pieds). C'est le seul projet en France d'une telle envergure, qui va permettre de multiplier le trafic par 7 à terme.

Où irez-vous chercher ce trafic ?

L'hinterland dur de Dunkerque, ce sont 750 000 EVP pleins identifiés chez les 100 premiers donneurs d'ordre de la région. Quand on y ajoute le nord de Paris, il y a 2 M d'EVP. Or Dunkerque fera cette année environ 210 000 EVP pleins. Imaginez notre marge de progression ! Tous les acteurs cherchent à massifier et à économiser sur leur chaîne de transport. Massifier du Anvers-Paris, c'est compliqué. Mais Dunkerque est le premier port ferroviaire français. Les infrastructures existent. Si vous massifiez des conteneurs à un endroit et que vous êtes capables de les sortir soit pour le fluvial soit par la voie ferrée, vous avez gagné. Nous entrons en compétition car notre projet ce sont 16 000 emplois directs, indirects et induits, et 1.8 Mds € de valeur ajoutée de plus.

Que représente pour vous l'élargissement de la région à la Picardie ?

Dans son système de transport, la région a deux parties, la première tournée vers le nord, l'autre vers le sud et Paris. Créer du lien entre le sud de la région et Dunkerque est capital. Pour cela, le ferroviaire existe et demain Seine Nord sera construit. Notre part de marché sur l'hinterland de Picardie est de 15%, un taux de captation très faible.

Cela va changer ?

C'est dans notre feuille de route, qui de 2014 à 2018 comprend 242 M€€ d'investissement, autofinancés à 70%. Pour la première fois depuis 40 ans, le port va aménager et commercialiser 300 ha de zones d'activité. C'est la seule manière de développer de la valeur ajoutée. Le port de Dunkerque, ce sont 47 MT de trafic, 3,7 Mds€ de valeur ajoutée par an et 25 000 emplois directs, indirects et induits. Anvers c'est un peu plus de 200 MT, 21 mds € de VA et 200 000 emplois. Pour un rapport de 1 à 4 sur le trafic, vous avez un rapport de 1 à 7 sur la valeur ajoutée.


Placez-vous ce projet dans la perspective du projet Seine Nord ?

Nous serons en coordination avec toutes les plateformes. Mais l'enjeu d'une infrastructure est de donner un débouché fluvial massifié à un point d'entrée vers une zone de consommation. Là, le point d'entrée est Dunkerque et la zone de consommation la région parisienne. Si on voit le canal comme à simple sens à destination de Paris, on se trompe. Ce doit être un élément d'implantation de nouvelles industries. Nous sommes de grands supporters du canal car nous voulons que cette infrastructure irrigue l'intégralité du territoire.

La hauteur des ponts du canal vers Dunkerque n'est-elle pas un problème ?

C'est un faux débat. Ce qui nous intéresse dans le canal est son enfoncement, pas son tirant d'air. Car la grande région est céréalière : le port de Dunkerque est le seul à avoir 14,20 m de tirant d'eau au terminal céréalier. Vis à vis des céréales, des matériaux de construction, c'est ce qui va peser. Avec un coût du fluvial à 8 € la tonne face au ferroviaire à 16 € et au routier à 9€, les acteurs qui le peuvent iront nécessairement vers le fluvial. Tous les ponts sont déjà à 5,25 m de tirant d’'air, soit deux couches de conteneurs. Ce que l'on va chercher, c'est à réduire « l'inbalance », car ramener les conteneurs vides coûte une fortune aux compagnies.

 

 

Vos dernières implantations relèvent largement de l'économie circulaire. Est-ce un positionnement ?

Ce qui nous intéresse, c'est la valorisation intérieure du système : en même temps qu'on accueille des compagnies maritimes, on essaie de créer une toile industrielle pour mettre quelque chose dans les conteneurs en retour. On travaille déjà sur une vision 3.0 de notre toile, sur le principe de Lavoisier : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. ArcelorMittal en est l'archétype : on fait entrer des minerais, des charbons, du coke de pétrole et des ferrailles, l'acier est fabriqué, ainsi que des co-produits : du laitier de haut fourneau, d'aciérie, du CO2, etc. Nous voulons que dans ce système, tout ce qui sera autour de l'usine soit revalorisé. L'enjeu de demain c'est la valorisation du CO2. Dans cet écosystème, vous avez des pleins et des creux. Nous voulons boucher « les trous dans la raquette industrielle ».

Qu'est-ce qui vous différencie des autres ports français ?

Nous sommes déjà le premier port multimodal. 52% de nos trafics sont reportés sur des modes massifiés. En 2018, le taux de report modal sera porté à 65%, cela n'existe pas en Europe, et c'est un atout fondamental. Un autre atout est notre démarche intégrée et contractualisée de développement durable, depuis 2009. Nous sommes un grand territoire agricole de polders. L'enjeu est de passer d'une circonscription agricole sans grande diversité biologique à un territoire industriel avec une biodiversité valorisée. Plusieurs centaines d'ha de corridors biologiques avec des prairies, des zones humides, des espaces boisés ont été plantés. Du foncier sera perdu mais la biodiversité va progresser.

Dunkerque est la capitale européenne de l'énergie, mais largement fossile. N'est-ce pas un handicap ?

Il faut rester réaliste. Avez-vous vu la dernière perspective de l'agence internationale de l'énergie sur les besoins en 2040 ? Il y aura un swap entre le pétrole et le gaz. La question est : gagnera t-on la bataille du CO2 ? Nous ne sommes déjà plus dans l'ère du pétrole mais on entre dans celle du gaz. Un complexe d'avitaillement au GNL va être développé à Dunkerque. Sur les navires depuis le 1er janvier 2015, les règles se sont renforcées sur les oxydes d'azote et de soufre, et vont encore se durcir en 2020. A terme, le shipping va donc passer au gaz. CMA CGM a signé un contrat avec Engie sur la remotorisation de ses navires. Lors de leur renouvellement, les ferries de Calais et de Dunkerque passeront au gaz. Nous sommes à côté de la 2e route maritime mondiale, avec 90 000 bateaux chaque année. Le potentiel est considérable.

L'autre sujet est la transformation du réseau d'alimentation pour le transport routier sur la grande région. Quelques transporteurs basculent côté belge, comme Mattheeuws. Ici Plessiet, les transports Vanlembrouck, les transports Saint-Arnould l’'étudient. La Région estime qu'on peut utiliser la multitude de points de production de gaz, avec la méthanisation, pour créer un transport routier propre. Le GNL ne dégage que du CO2 et de l'eau, sans particule fine ni azote.

Une gouvernance commune de nos ports est-elle possible ?

Le rapport Bignon Vandierendonck donne la réponse. Les ports ne réussiront pas sans être partenaires les uns des autres. Ce n'est pas une question de statut. Ce qui compte, c'est l'engagement des actionnaires quand les ports ont besoin d'eux. C'est le cas. La région investit des centaines de millions à Calais. A Dunkerque, l'Etat actionnaire a toujours investi trois fois plus que ce qu'il n’a reçu. Quant à la régionalisation, nous sommes au service de la région, la valeur ajoutée est régionale. Ce n'est pas le port qui gagne de l'argent, c'est la région tout entière. Il faut chasser en meute, on le fait avec Ports Hauts-de-France et avec Calais. Je suis au conseil d’'administration de la société de projet de Port Calais 2015. Jean- Marc Puissesseau est à notre conseil de surveillance. Tous les ports de la côte ont des objets différents, la transformation de poissons pour l'un, les passagers pour l'autre, le port de commerce de la région pour nous. Les professionnels du secteur se parlent tous entre eux. Nous sommes tous en réseau.

Recueilli Par Olivier Ducuing