Bertrand Fontaine, BPI : "L'envie d'investir reste là !"

Ressentez-vous dans l'activité de Bpifrance la traduction de la crise sanitaire, par exemple un effondrement des dossiers ?

Le premier impact a été une amplification assez incroyable des sollicitations, notamment lors du premier confinement. D'autant plus que c'est Bpifrance qui a été amenée à lancer les premiers outils anti-crise de soutien de trésorerie. On a créé en 48 heures avec la Région un premier prêt Rebond. De mi-mars à aujourd'hui, on en a fait 300. Cela répondait à la problématique de la crise telle qu'on l'a perçue, de risque de cash. Il faut toujours mettre à l'abri les entreprises avec du cash quand arrive une crise violente. On l'a fait avec d'autres outils comme le prêt Atout, national. Puis trois semaines plus tard, tout le système bancaire a amplifié ces moyens avec la mise en place du PGE.

C'est un vrai marqueur de l'histoire de la finance : plus de 100 milliards d'euros ont été accordés par toute la place bancaire en France à tous types d'entreprises, à 95% des TPE et PME.

 

Les banques ont elles vraiment joué le jeu ?

Ce qui est édifiant est la vitesse à laquelle elles se sont mises en transformation. Le PGE était aussi nouveau pour les banques que pour les entreprises. Il a fallu tout contractualiser avec l'Etat, mettre de nouveaux modes de fonctionnement. Elles ont réussi à sortir 600 000 dossiers au niveau national. Ca ne s'était jamais fait. Elles étaient en capacité de l'assumer car nous ne vivons pas une crise financière.

 

Le PGE apparaît a posteriori comme une mesure très pertinente pour faire face, mais n'est-ce pas une bombe à retardement quand il faudra rembourser ?

Par définition, oui on reporte effectivement. Mais il est impossible de tout traiter en même temps. On est un peu comme dans le médical. On traite d'abord la problématique de cash, et on pourra accompagner les entreprises sur autre chose, sur le plan stratégique, les marchés abordés, les difficultés, les opportunités, comment se positionner. Mais cela ne se fait pas en quinze jours. Cela s'accompagne une fois qu'on a sécurisé la trésorerie. Puis vient l'orientation du plan d'investissement, c'est l'objet du plan de relance.

 

Les défaillances d'entreprise sont paradoxalement en très fort recul par rapport à 2019. Faut-il s'en réjouir ou cela ne cache-t-il pas un violent rattrapage à venir ?

Oui , c'est presque contre-intuitif de voir les défaillances en recul de 45% en septembre par exemple. Mais l'arrêt du cœur d'une entreprise, c'est une problématique de trésorerie. On l'a soignée avec notamment le PGE et d'autres outils. On a donc décalé le problème, tout le monde en est conscient. Notre enjeu est de limiter cet effet rattrapage et de donner des capacités aux entreprises de se donner du temps pour récupérer leurs propres marchés. Il y a toujours eu des entreprises qui déposent le bilan. Il faut en face des entreprises qui naissent et se développent, il faut aussi que celles qui ont pris un grand coup survivent et se développent. Elles sont au cœur de notre attention. Oui elles auront souffert de la crise, mais comme elles étaient en situation correcte avant crise, elles doivent pouvoir passer ce cap et redémarrer.

 

C'était un peu le cas avant ce deuxième confinement...

Oui un deuxième confinement donne le sentiment que ça ne s'arrêtera jamais. C'est plus difficile encore aujourd'hui de se projeter en se disant qu'un jour tout ça sera derrière nous. Mais oui, à un moment, en mars ou septembre, on ne sait pas le dire, ce sera le cas. L'enjeu est d'emmener un maximum d'entreprises en capacité de profiter de ce rebond. En septembre-octobre, où tout le monde voyait l'amélioration, il y avait une envie, du sourire, des projets de partout, qu'on a toujours. Les Français n'attendent que ça !

 

 

 "L'enjeu est d'emmener un maximum d'entreprises en capacité de profiter de ce rebond."

 

Certains sondages montrent toutefois que beaucoup de dirigeants suspendent voire annulent leurs projets d'investissement...

 

On n'a pas de trou d'air chez BPI. Mais on interroge nous aussi les entrepreneurs et le dernier sondage montre un moral en effet plus atteint. C'est légitime avec cette visibilité perturbée. Pour autant, leur envie d'investir reste là. Dans le plan de relance il y a des appels à projet. Notamment l'appel à projets Territoires d'industrie, piloté par l'Etat et la Région, dont nous sommes opérateurs, qui est le reflet direct de projets d'investissements industriels. Nous avons été submergés de demandes !

Certes, il y a des possibilités de subventions. Mais sortent ainsi des cartons près de 300 projets industriels sur les Hauts-de-France. Déjà une trentaine de projets ont été validés, entre 0,5 et 2 à 3 M€. On n'est pas du tout sur la grande entreprise, c'est plutôt l'entreprise familiale classique, qui va saisir des opportunités qu'ouvre cette crise.

 

Précisément, la forte densité d'entreprises familiales, plutôt long-termistes par nature, est-elle un vrai atout en temps de crise ?

C'est une force de résilience. Au fond d'elles, elles ne se projettent pas à six mois. Pour résumer, c'est, « comment je tiens » pour les six prochains mois, mais « comment je gagne » à horizon trois ans. Il n'y a jamais eu autant d'outils et d'argent public sur un temps si court : le plan de soutien de l'Etat, son plan de relance, celui de la région, et ceux de beaucoup de collectivités. C'est vrai que c'est un peu le maquis, qui nécessite de se faire accompagner, que ce soient les experts-comptables, les chambres de commerce. Ce qui n'est pas acceptable est qu'un entrepreneur n'utilise pas ces outils !

 

Comment transformer cette crise en source d'opportunités pour les entreprises qui le peuvent ? Les critères d'éligibilité ont-ils évolué ?

Pour se projeter aujourd'hui, il y a une prise de risque de l'entreprise. Nous aussi avons créé des outils qui nous permettent de prendre un peu plus de risques, il y a le PGE, il y a le prêt vert, le prêt tourisme. Prendre plus de risque peut être aussi donner plus de temps à l'entreprise, par exempe sur dix ans au lieu de trois, de quoi donner plus de temps à certains secteurs de se retourner et de reconquérir des marchés. Si on prend le tourisme au sens large – restauration, événementiel inclus, on a déjà un prêt sur 10 ans avec 2 à 3 ans de différé, alors que le PGE va jusqu'à six ans. On reste sur des taux de 1,8% sur dix ans sans garantie, très attractif. On va créer des opportunités avec un fonds FAST sous forme d'obligations convertibles jusqu'à 400 K€ pour le même secteur. Dans les prochaines semaines on va créer d'autres outils de durée longue à taux attractifs avec différés de 2-3 ans également, pour l'ensemble des entreprises, notamment celles qui s'orienteront dans une logique de décarbonation.

 

Voilà qui résonne avec la politique rev3 …

Tout à fait ! Cela fait partie pour nous du plan rev3, on travaille avec l'Adème et on amplifie. On retrouve du reste deux axes transversaux quasiment partout : le digital, qui transforme toutes nos façons de travailler, et l'économie décarbonée. Les dirigeants doivent absolument les prendre en considération dans leur stratégie.

 

Il faut tout penser à l'aune de cette toile de fond ?

Oui. Aujourd'hui, l'innovation intègrera forcément ces paramètres même s'ils n'en sont pas le cœur, et il y aura des innovations qui leur seront dédiées. On a aussi dans le plan de relance des soutiens considérables dans les deux ans qui viennent dans le domaine de l'innovation, dans l'industrie, la deeptech et un courant plus récent, la greentech, l'innovation qui a un impact favorable sur la décarbonation, avec des entreprises spécialisées.

 

Avec un risque de financer des belles idées mais dont le modèle économique reste à prouver ?

On ne quittera pas des yeux les fondamentaux de ce que doit être une bonne innovation : un produit qui répond à un besoin de marché, qui est innovant, avec une bonne équipe. Sans ces trois paramètres, il ne faut pas y aller.

 

Pas mal d'entreprises sont en situation tendue aujourd'hui, mais la crise offre des opportunités. Doivent-elles foncer ?

Dans nos outils, un domaine a baissé, celui des garanties, ce qui se comprend eu égard au développement des PGE, tandis qu'un autre s'est beaucoup développé, celui des transmissions. Cela signifie qu'il y a des repreneurs particuliers, et des croissances externes. Les crises, qui sont des transformations rapides de la société, ont toujours représenté des opportunités. C'est juste un peu plus difficile de prendre les décisions, mais ça s'analyse.

 

Les dirigeants sont-ils plus ouverts aujourd'hui à faire évoluer leur capital ?

Oui. On a d'une part ceux qui souhaitent acheter depuis un moment, qui souhaitaient se rapprocher d'un confrère, d'un concurrent, de s'ouvrir sur un nouveau marché, et en parallèle une prise de conscience chez d'autres acteurs qu'on ne peut pas repousser indéfiniment les décisions. Il faut savoir les prendre, transformer les difficultés du moment en opportunité. Les crises sont souvent une occasion pour une entreprise rachetée de rebondir, de s'ouvrir de nouveaux marchés et finalement de pérenniser l'emploi.

 

Les flux internationaux ont été fortement impactés par la crise sanitaire. Cela remet-il en cause la vertu de l'export ?

Cela fait partie des axes que nous continuons de pousser. Pour les entreprises qui exportaient déjà, c'est plutôt une période qui leur permet de trouver des marchés dynamiques, au-delà du marché domestique. Ils exportent de façon un peu différente, par amplification du digital. C'est un très bon outil quand on se connaît et que la confiance existe déjà. Pour celles qui envisageaient d'aller à l'export, c'est un peu plus en stand-by car c'est difficile d'envoyer quelqu'un à l'international.

 

Les acteurs régionaux ont montré depuis le début de la crise une vraie cohésion. Ce volontarisme collectif se retrouve-t-il partout en France ?

Ce qu'on savait faire avant la crise, la crise n'a fait que l'amplifier. Notre région fonctionnait déjà bien entre la Région, l'Etat, Bpifrance, les CCI, j'en oublie. Je sais qu'ailleurs les choses sont plus compliquées. Ici tout s'est fait très vite et sans forcer notre nature. Ce qui compte c'est la valeur ajoutée qu'on peut apporter aux habitants ou aux entreprises.

 

En 2020, la réponse publique a été très forte et a joué à plein. Les finances des collectivités se tendent, vont-elles pouvoir suivre ?

Les efforts avaient été faits ces dernières années, elles font un effort important, en jouant ce rôle contracyclique. Elles sont en capacité d'assumer leurs engagements, je le vois avec nos outils, qui nécessitent de l'argent, mais qui produisent un gros effet levier. L'attente des entrepreneurs n'est pas d'avoir un soutien indéfini, c'est de pouvoir faire leur métier. Ces dispositifs de soutien ont vocation à s'arrêter et c'est bien normal.

 

Les fonds d'investissement se sont multipliés ces derniers temps. Est-ce le bon timing pour une entreprise pour renforcer ses fonds propres ?

Les fonds propres, c'est le temps long. L'ouverture du capital, c'est le partage de risque, ce qu'on vit cette année. Le capital amortit les pertes quand il y en a. Pour résumer, plus il y a de capital, plus on est en capacité d'amortir des périodes difficiles et de lever de la dette. C'est une nécessité. Heureusement, il y a eu démultiplication d'outils depuis des années, notamment dans l'innovation, mais aussi dans les entreprises traditionnelles. L'offre est assez importante, peut-être sur les petits dossiers en-deça de 500 K€, il n'y a pas tant de monde que ça. Jusqu'à quelques millions d'euros, il existe beaucoup de structures, et qui ont de l'appétence, y compris les nouveaux fonds capables d'accompagner des périodes un peu plus creuses, comme le fonds Reboost, que nous avons accompagné.

 

On parle beaucoup de l'épargne accumulée par les Français pendant le confinement. Vous avez développé un outil qui permet d'attirer cette épargne vers le financement des entreprises...

BPI France a créé un FCPR Entreprises 1 : il s'agit d'un portefeuille de 1500 entreprises dans lesquelles des fonds indépendants ont investi, et que BPI abonde. Il a les mêmes risques que ce qu'(on peut imaginer en bourse puisqu'il n'y pas de garantie en capital, mais sa force est qu'il est extrêmement réparti, et sur des entreprises de taille intermédiaire ou de PME souvent familiales, à capital familial ou privé, qui sont un véritable reflet de l'économie française, l'économie à proximité de chez nous et qui se développe. C'est pour moi un investissement qui a du sens. Mais ce qui poussera d'abord les gens à utiliser leur épargne, c'est la projection intellectuelle qu'on va s'en sortir. Quand on croit à l'avenir on investit, quand on y croit pas, on met de l'argent de côté pour se protéger.

Cette crise sanitaire, on ne sait pas quand, mais on en sortira.

 

Quand BPIFrance est née, il y avait beaucoup de scepticisme sur l'oxymore que constituait une « banque » « publique ». Aujourd'hui, on n'entend plus que des louanges. BPI a prouvé sa légitimité ?

On a pris une vraie place, c'est probablement par ce regard un peu nouveau que nous avons porté sur l'accompagnement des dirigeants, une banque de plus en plus digitale. Depuis 4-5 ans, Bpifrance a montré son côté créatif et son agilité à offrir des solutions nouvelles, le prêt rebond, l'accompagnement des entrepreneurs, qui a beaucoup surpris au début mais qui est devenu une évidence, avec des formations, du diagnostic, des accélérateurs. L'entrepreneur ne peut pas tout affronter seul. A Bpifrance, on est très fier du parcours réalisé mais on ne se dit jamais « on y est », on considère que les challenges sont toujours devant nous.

 

Il y avait eu un premier rebond après le premier confinement. Peut on être raisonnablement optimiste pour 2021 ?

Dès lors qu'il y aura de la visibilité , ce sera un moment très positif et intéressant à vivre. On peut encore aujourd'hui se dire que 2021 peut être une très belle année. Si l'éclaircie arrive un peu plus tard, ça décalera évidemment vers la fin 2021. Tous les secteurs de l'économie auront souffert, certains davantage, mais une part importante de notre économie aura grandi, se sera digitalisée, aura trouvé de nouveaux vecteurs de commercialisation, des nouvelles façons de travailler, une confiance dans le travail à distance. On a globalement accru la confiance des dirigeants envers leurs collaborateurs. Quand on vit bien ensemble, on crée de la valeur.