Bridgestone : préméditation, choc social et pas de plan B?

Le groupe japonais a annoncé le 16 septembre avoir pris la décision de fermer son usine de pneus de Béthune d'ici au deuxième trimestre 2021. Le plan alternatif proposé par les autorités publiques étant rejeté, reste la cession du site et la revitalisation.

 

"Trahison », « humiliation », « assassinat »... Les mots ne viennent pas des salariés de Bridgestone mais des élus locaux et du gouvernement. En cause ? Après 59 ans d'implantation à Béthune, le groupe nippon Bridgestone a décidé en catimini de fermer son site d'ici six mois. Une usine de grande envergure, qui a compté jusqu'à 2000 salariés et qui en emploie toujours 863. Avec un impact social bien plus im- portant en comptant les emplois induits, entre la logistique intégrée sur le site, la maintenance, la sécurité et les fournisseurs. Olivier Gacquerre, maire de Béthune et président de la communauté d'agglo Béthune-Bruay Artois Lys Romane, évalue, peut-être un peu généreusement, à 4000 le nombre d'emplois directs et indirects menacés par la fin de l'usine. 

Ce qui ne passe pas chez les pouvoirs publics, à Paris comme à Lille, Béthune ou Arras, c'est que l'industriel a refusé à maintes reprises les mains tendues pour accompagner d'éventuels plans de modernisation et de diversification de production. L'entreprise a laissé glisser par inertie le niveau de performance du site, en n'y investissant plus depuis des années. « L'usine compte environ 40 à 45 machines outils obsolètes, pour des productions obsolètes », dénonce le maire centriste, qui n'hésite pas à parler de préméditation. « Je peux d'autant plus le dire que j'étais à la table des négociations quand on a essayé une médiation avec le Préfet. Fin 2019, ils nous ont affirmé qu'il n'y avait aucune inquiétude à avoir de fermeture. c'est très vicieux», s'étrangle l'édile qui parle d'une stratégie d'assèchement.

La décision du groupe nippon n'est pas liée à la crise sanitaire, qui a seulement accéléré la dégradation de la situation (lire ci-contre), vécue également par les autres grands équipementiers : Michelin ferme son site de la Roche-sur-Yon, Continental a annoncé presque simultanément à Bridgestone sa décision d'arrêter son usine d'Aix-la-Chapelle (1800 salariés). Chez Bridgestone Béthune, les volumes sont tombés de 18 000 pneus en 2018 à la moitié aujourd'hui. Le groupe a tenté en vain de convaincre les salariés de signer en 2018 un accord de performance collective (APC) pour améliorer la productivité, en promettant un plan de... 6,5 M€ d'investissement. Une ambition manifestement faible qui n'aurait sûrement pas suffi à repositionner le site sur des productions à valeur ajoutée.

 

Bras de fer

Sous-investissement chronique, absence de stratégie alternative vers des produits plus rentables, refus systématique des mains tendues : tous nos interlocuteurs publics se sont montrés persuadés de la volonté délibérée et préméditée du groupe de sacrifier l'usine depuis longtemps. D'où leur colère et leur volonté de faire payer cher si la décision devait être irrévocable. « Les gens qui sont capables d'une telle brutalité, on ne peut pas leur faire confiance pour la suite », juge Xavier Bertrand, qui se veut néanmoins pragmatique.

Avec un bras de fer qu'on peut résumer ainsi : les pouvoirs publics peuvent se débrouiller pour faire traîner les pro- cédures et faire payer tellement cher Bridgestone que l'industriel aurait intérêt à accepter l'alternative proposée d'investir dans ce segment plus haut de gamme avec l'accompagnement des plans de relance national et régional, pour sauvegarder une activité, même si une grosse partie des emplois resterait sacrifiée. « Le plan B d'investissement peut leur coûter moins cher que le a d'assassinat », traduit Xavier Bertrand. Sauf que le groupe a maintenu ses positions lors des discussions menées sur place en présence d'Agnès Pannier-Runacher, ministre en charge de l'industrie, et de Xavier Bertrand.

Le plan B paraît donc très compromis. Il reste alors la seule option de céder le site, et de revitaliser – une obligation légale pour le groupe. Il s’agit de retrouver des perspectives aux salariés licenciés, dans un territoire moins en difficulté que par le passé. L'arrondissement avait en effet vu son taux de chômage descendre à 9,5% au premier trimestre, tandis que la dynamique économique avait plutôt porté le territoire. A l'exemple de l'implantation annoncée de la gigafactory de batteries automobiles par PSA associé à Saft, à Douvrin. Xavier Bertrand imagine déjà des possibilités de formation pour flécher les ex Bridgestone vers cette nouvelle usine 20 minutes de distance. Olivier Gacquerre, pour qui il y a un enjeu de transition économique pour le territoire, imagine aussi des activités liées au futur canal Seine Nord Europe, sachant que le site Bridgestone dispose d'un kilomètre linéaire de bord à canal. 

« Pourquoi pas un atelier de construction et réparation de péniches, voire de batteries électriques pour le fluvial ? », réfléchit l'élu. Compte tenu des échéances évoquées par Bridgestone, même si les pouvoirs publics arrivent à retarder les choses, il est clair néanmoins que la course est engagée pour préparer l'après.

Que dit l'entreprise ?

Bridgestone justifie sa décision de mettre la clé sous la porte par l'état du marché, surcapacitaire, en particulier sur le marché LRD (jantes de moins de 18 pouces), spécialité de l'usine française. Un marché sur lequel les marques asiatiques à bas coûts taillent des croupières aux industriels tels que Michelin, Continental ou Bridgestone. Leur part de marché serait ainsi passée de 6% en 2000 à 25% en 2018.

« Depuis plusieurs années, Bridgestone enregistre des pertes sur les pneus produits à Béthune et les dynamiques actuelles du marché ne laissent, en l'état, entrevoir aucune amélioration de la situation », indique le groupe japonais dans son communiqué du 16 septembre. L'usine nordiste est présentée comme la moins performante parmi tous les sites de production européens de Bridgestone, qui dit n'avoir pas réussi à redresser la situation malgré « toutes les mesures engagées » au cours des dernières années.

« Malheureusement, il n'existe pas d'alternative qui nous permettrait de surmonter les difficultés auxquelles nous sommes confrontés en Europe. Cette étape est nécessaire pour pérenniser les activités de Bridgestone à long terme », argumente le patron de Bridgestone Europe, Laurent Dartoux.

 

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