Calais : les comptes se dégradent

Le projet original de Dragon de Calais a "été lancé sur des prévisions de fréquentation peu étayées", estiment les magistrats Le projet original de Dragon de Calais a "été lancé sur des prévisions de fréquentation peu étayées", estiment les magistrats

 

Le dernier rapport de la chambre régionale des comptes s'inquiète de la dégradation financière de la commune. Sa capacité de désendettement est passée de 6,5 ans à 10 ans entre 2016 et 2020. Si rien n'est fait, le seuil des 12 ans sera franchi en 2025.

 

La chambre régionale des comptes a épluché les finances de Calais depuis 2016. Elle constate sur la période « une tendance à la dégradation de sa solvabilité financière », marquée par la baisse de l'épargne brute et la hausse de la dette. Sa capacité de désendettement rentre en zone dangereuse, passant de 6,5 ans à 10 ans aujourd'hui, « et se rapproche du seuil d'alerte de 12 années », avertissent les magistrats financiers. Le rapport reconnaît une maîtrise des dépenses de fonctionnement, les charges de personnel baissant légèrement (-0,4% l'an), grâce à la création de services communs entre l'agglo et la commune. Mais la ville souffre d'un faible dynamisme de ses recettes fiscales : le produit des impôts atteint une moyenne de 426 € par habitant en 2019, quand les villes de de même taille sont à 663 €... En parallèle, les dotations d'Etat ont bien progressé, telle la dotation de fonctionnement (+2,5% l'an) qui pèse pour un quart des recettes de fonctionnement un niveau du double de la moyenne des villes de même taille. « Ce qui illustre les fragilités socio-économiques de Calais et sa dépendance vis-à-vis des dotations de l’État », analyse la chambre des comptes.

Une prospective manquant de réalisme

La ville n'est pas complètement responsable de la situation : la crise sanitaire a obéré ses recettes de 2M€ et accru ses dépenses de 3,1 M€. Mais en parallèle, elle affiche un programme d'investissement ambitieux (120,7 M€ sur la période) qui « suppose un redressement de la trajectoire financière », prévient la Chambre des comptes. L'encours de la dette s'élevait ainsi à 107 M€ fin 2020, avec une trésorerie nette de 1,1 M€, soit 4,6 jours de charges courantes. Les magistrats soulignent la bonne gestion de la trésorerie et donc la réduction des charges financières, mais considèrent que l'étude financière prévisionnelle baptisée « rétro-prospective de 2017 à 2023- atterrissage 2020 » manque de réalisme, notamment en ne tenant pas compte des conséquences de la crise sanitaire. Mais ils notent aussi qu'elle « présente des limites », citant la perspective d'un résultat d'exercice positif de plus de 20 M€ en 2020 alors que l'exercice s'est achevé avec un solde de 0,8 M€ seulement.

La chambre des comptes s'est livrée elle-même à l'exercice de prospective, qui aboutirait, toutes choses égales par ailleurs, à une dégradation de la solvabilité financière. « L’autofinancement, tel qu’il ressort de la prospective, ne permettrait pas (à la commune) de financer les dépenses d’équipement anticipées », et la contraindrait à l'emprunt. Avec en fin de parcours une capacité de désendettement qui franchirait le seuil des 12 ans en 2025. La ville s'appuie aussi sur une estimation de hausse des recettes de taxe foncière grâce à la mise en route du nouveau port, que conteste le rapport. « Pour mener à bien son programme d’aménagement et d’attractivité du territoire, la collectivité devra préalablement restaurer son épargne, en recherchant de nouvelles sources d’économies ou de recettes, mobiliser son fonds de roulement, et, éventuellement, différer certaines dépenses d’équipement », relèvent les magistrats.

 

Un dragon qui manque de flammes 

Le rapport s'attarde aussi sur le projet d'attractivité d'envergure de la ville, à travers « le Dragon de Calais », destiné à redorer l'image de la ville dégradée par la crise des migrants pour un investissement prévisionnel de 25 M€. Une étude menée en 2017 évaluait un potentiel de 1,1 million de visiteurs par an dont une petite moitié payante, avec des retombées chiffrées à 26,9 M€ par an.

Le rapport pointe le défaut d'information du conseil municipal sur ce projet mené avec une grande célérité, mais aussi « les fortes incertitudes entourant les projections de fréquentation et de retombées économiques  (…). « Ce projet structurant, ambitieux et novateur, a néanmoins été lancé sur des prévisions de fréquentation peu étayées »

Ainsi met-il en parallèle l'ambition de 500 000 tickets payants et les 650 000 tickets vendus pour les Machines de l'ile à Nantes, dont l'aire urbaine est incomparablement plus importante. Le président de la Compagnie la Machine, qui opère les deux projets, estime cependant que la comparaison ne peut négliger le positionnement de Calais, à proximité de plusieurs grandes capitales européennes. Enfin, la chambre des comptes s'interroge sur le portage du projet assuré par la commune alors que la communauté d'agglomération aurait été plus pertinente pour ce faire. Natacha Bouchart, maire de la ville, a répondu que la commune disposait de davantage de marge, et que le poids de l'intercommunalité dans l'actionnariat pourra monter « dans une perspective de stratégie intercommunale du tourisme et de l'attractivité du territoire ».

Le projet est piloté par une société publique locale associant la ville et l'agglo. Un choix qui suscite l'interrogation de la Chambre des comptes : « ce choix a pour conséquence de faire peser, in fine, le risque d’exploitation sur les actionnaires de cette société et, en premier lieu, sur la commune ».

La crise sanitaire a évidemment pesé sur le lancement de l'opération avec des fermetures à répétition, l'exploitation n'ayant repris que depuis mai 2021. Les mesures d'aide de l'Etat et la compensation forfaitaire payée par la commune ont néanmoins permis à la SPL de dégager un résultat net seulement faiblement négatif.

 70% des subventions pour dix associations

Le rapport consacre enfin un gros chapitre aux associations de la ville. Les subventions qui leur sont accordées représentaient en 2019 un montant moyen de 176 € par habitant, soir 13,8% des dépenses réelles de fonctionnement, un niveau nettement supérieur à la moyenne des villes de même strate (130 € et 9,42%). Et en 2020, la chambre souligne une poussée des dépenses, qui atteignaient cette fois 16,3% des dépenses de fonctionnement, du fait notamment de la crise sanitaire. Mais sur la période, les dix principales associations ont concentré près de 30 M€, soit 70% du total. Le rapport estime que « la transparence des modalités d'attribution reste toujours à améliorer ». Il met spécifiquement en lumière le cas d'une association « la Maison pour tous » soutenue continument par la ville « en dépit des dérives de sa gestion financière » qui l'ont du reste conduite à la liquidation en aout 2020.