“Il y a un capital très fort à exploiter en matière de tourisme”

Le Comité régional du tourisme vient de réviser sa stratégie après la fusion des deux anciennes régions. L'occasion pour son président, par ailleurs maire d'Arras, d'exposer sa vision des enjeux du tourisme de demain dans les Hauts-de-France. Qui place le client au cœur du spectre.

Quelle est la stratégie du CRT depuis la fusion des deux régions ?
En 2016, nous avons fait un état des lieux de la filière touristique et décanté les forces en présence sur notre territoire pour definir un portrait identitaire des Hauts-de-France. L'idée était d'identifier les points similaires et ceux de différenciation des deux régions et de rechercher leurs points forts. Le travail stratégique effectué a fait ressortir de nombreux points de convergence. On a la chance d'avoir une région construite autour de villes moyennes avec des territoires à l'identité forte : les Flandres, l'Artois, l'Avesnois, le Beauvaisis, l'Oise, la Côte d'Opale...
Il y a un capital très fort à exploiter en matière de tourisme. On peut faire autant de découvertes culturelles que de balades en nature, trouver ses centres d'intérêts dans les terres puis profiter de la richesse du littoral, par exemple. Toutes les régions de France n'ont pas la chance d'avoir cette diversité. Il est vrai que nous sommes plus exposés au froid, aux pluies et aux conditions climatiques qui peuvent laisser penser que le tourisme n'est pas tellement notre affaire. Mais avec 4,5 % du PIB (soit 7 Mds € en 2017), 25 millions de visiteurs par an, 70 000 emplois CHR et les potentialités de la région, nous avons une carte à jouer. 

Quel est l'enjeu pour la région et les acteurs du tourisme ?
Nous devons faire dialoguer les thématiques touristiques entre elles. On ne viendra pas chez nous à plusieurs reprises pour faire la même chose, sauf si on est un passionné. Prenons un touriste intéressé par la mémoire : s'il vient et garde un excellent souvenir de son passage, tout l'enjeu pour nous est de le faire revenir avec sa famille et qu'il communique positivement sur la région. Nous devons lier le tourisme de mémoire à celui de la culture, de la nature ou encore du sport. Bref, faire dialoguer les atouts et les valeurs des Hauts-de-France. Cela n'était pas forcément dans la culture du Nord-Pas-de-Calais, mais plus dans celle de la Picardie. Qui avait sur le marketing territorial et la stratégie économique touristique une longueur d'avance. C'est pourquoi j'ai choisi un directeur davantage tourné sur ces approches modernes et sur une stratégie construite à partir d'une meilleure connaissance du client. Nous voulons hiérarchiser les valeurs de la région pour donner du tonus au tourisme. 

> Lire aussi : Dossier #83 - Tourisme : Les 6 grands défis de la région.

Cette manière picarde de travailler, issue de l'expérience de marque, irriguera-t-elle tout le territoire ?
C'est en marche, sans jeu de mot ! Nous avons utilisé cette méthodologie pour la définition du portrait identitaire de la nouvelle région, pour définir notre stratégie mais aussi pour la mobilisation des équipes. Nous avons recherché de nouveaux collaborateurs et redéfini les postes de ceux déjà présents. On essaie d'avoir des personnes spécialisées dans un domaine (l'international, l'histoire, etc.) et qui passent autant de temps en Hauts-de-France qu'ailleurs pour attirer les touristes chez nous.
Le budget du CRT est de 8,5 M€. Il sera renforcé par une fusion à 3 (et non à 2) avec Luc Doublet et le bureau des congrès, la structure qui valorise le tourisme d'affaire. Nous essayons de faire en sorte que chaque territoire se révèle, se « customise », que chaque acteur du tourisme - qui dégage une valeur particulière et partage notre stratégie - performe sa présentation, sa connaissance du client et la mise en valeur de son produit.

Ça fonctionne très bien sur le papier, mais comment approcher un professionnel du tourisme installé sur un territoire éloigné et lui dire : "Il faut performer la valeur de votre produit" ?
C'est assez simple. Pour le portrait identitaire, nous avons mobilisé les acteurs du tourisme en région qui ont été co-réalisateurs. Nous avons eu 4 000 contributeurs, ce qui n'est pas rien ! Les premiers rendez-vous ont été pris en décembre 2016 à Arras pour présenter la nouvelle stratégie. La deuxième rencontre s'est faite un an plus tard pour présenter le portrait identitaire conçu et coécrit avec ces contributeurs.
Cette ambiance collective que nous souhaitons engager autour du tourisme se met en mouvement progressivement. Nous devons faire en sorte que les professionnels de la filière et les habitants comprennent qu'il y a du potentiel et qu'il sera vivant, vivace et séduisant seulement si eux-mêmes sont souriants et accueillants. Et ce, qu'ils soient dans le Bassin mi- nier ou dans l'Avesnois. L'accueil et le sourire ne servent pas uniquement à combler l'écart que l'on a en région (et en France en général) sur la maîtrise des langues. Un étranger qui voyage aime bien être à l'étranger. Si on lui parle dans sa langue, il n'a plus ce sentiment d'être à l'international.

Pourtant les langues sont l'un des freins identifiés par les professionnels comme le président de l'UMIH régional Gérard de Poorter...
C'est un frein oui, mais il ne faut pas en faire un sujet de blocage ! Si on s'habitue à accueillir l'étranger, on s'ouvrira à lui et cela deviendra naturel avec le temps. Bien sûr il faut organiser des modules de formation. Ce que fait déjà la chambre de commerce en direction de ses ressortissants. La chambre des métiers pense aussi à travailler avec ses adhérents, car un boucher ou un fromager qui voit passer un étranger doit pouvoir lui parler et vanter ses produits.
Au delà de ce que représente le besoin de parler une langue étrangère, nous ne devons plus avoir peur de l'étranger et être bienveillant envers lui. Notre mission est d'acculturer les habitants et à leur faire comprendre que nous sommes une région touristique.

> Lire aussi : Dossier #83 - Tourisme : Questions à Gérard de Poorter, président de Union des Métiers et des Industries de l'Hôtellerie.

Que vendons-nous finalement aux touristes ?
Une expérience touristique différente et plutôt de courts séjours. En revanche, nous travaillerons à l'élaboration de produits différents. Il ne faut pas se priver de valoriser la Côte d’Opale et les séjours mi-longs, voire longs. Il faut qu'on sache parler d'Astérix, de Chantilly, du Touquet, des cathédrales, des places d'Arras, de la plage de Dunkerque... Les territoires doivent parler d'eux en s'appuyant sur leurs valeurs, leurs points forts, sans avoir de pudeur ni de retenue. Il faut qu'ils se libèrent et qu'ils se disent que la réalité touristique dans leur territoire n'est pas une petite réalité ! Le CRT Hauts-de-France travaille à débloquer les esprits et lance des lignes dans les territoires proches ou ceux plus éloignés ; les Chinois, les Indiens, les Canadiens, les Néo-Zélandais ou encore les Australiens. Qui ont eu des connexions un jour ou l'autre avec la région et autour desquels nous devons continuer à construire.

Comment capitaliser là-dessus ?
En liant la mémoire aux musées et aux expositions, en liant la mémoire qu'on redécouvre aux carrières Wellington à Arras avec Lorette ou Vimy, en liant la cathédrale d'Amiens et son mapping avec le cœur de ville et peut-être la métropole lilloise... Il faut faire en sorte que les publics qui voyagent passent par la région Hauts-de-France pour une raison, qu'ils la choisissent comme destination. Et non plus qu'ils la traversent pour se rendre ailleurs. 

Mais tout cela nécessite qu'on fasse connaître les valeurs de la région. Par quels moyens ?
Par un certain nombre de campagne qui vont se jouer en partie sur les réseaux sociaux, des campagnes institutionnelles, mais pas seulement. Le meilleur ciment est celui qui passe par un travail de fond, porté par le territoire et non par de grands panneaux d'affichage. Aujourd'hui l'économie touristique n'aura de chance que s'il y a de la mobilisation sur le territoire !

Recueilli par Guillaume Roussange & Julie Kiavué