Dunkerque, le réveil

Janvier 2009. Stéphane Raison prend ses fonctions au grand port maritime de Dunkerque. C'est le choc. Ce jour là, pas un seul bateau n'entre ni ne sort du troisième port français ! Après la faillite de Lehman Brothers, l'éco- nomie mondiale est à l'étiage. Dunkerque, point nodal des flux, de l'énergie et de l'industrie se trouve en catalepsie. En cinq ans, le territoire va perdre 2400 emplois.

11 juin 2018. A Cappelle-la-Grande, Isabelle Kocher, la patronne d'Engie appuie sur le bouton inaugural d'un pilote de production d'hydrogène à partir d'électricité verte réinjectée dans le réseau (projet Grhyd, 15 M€, lire p.38).

Trois jours plus tard, l'usine Ecocem est inaugurée sur la zone portuaire avec le gratin de la métallurgie locale. La nouvelle société fabrique du ciment écolo à partir du laitier des hauts fourneaux, un modèle particulièrement vertueux d'économie circulaire, au prix d'un investissement de 37 M€. Et son doublement est déjà annoncé à horizon deux ans.

Le 21 juin, le groupe belge Ecophos inaugure en fanfare son usine Aliphos Dunkerque, qui produit des phosphates pour l'alimentation animale avec un procédé là encore très vertueux. Et son président Mohamed Takhim annonce une phase deux, avec l'implantation d'une ligne capable de produire des phosphates avec des cendres d'incinération des boues de station d'épuration. Total : 120 M€ et 100 emplois.

Cerise sur le gateau, Christopher Nolan fait un carton mondial (un demi milliard de dollars de recettes) avec son film Dunkirk qui retrace l'opération Dynamo, tout en redonnant soudainement son âme et son histoire à la ville la plus septentrionale de France. Et un gros coup de dopamine au tourisme, dont la fréquentation a explosé en un an. Signe des temps, un hôtel quatre étoiles de 100 chambres va même voir le jour sur la digue de Malo.

Record de production d'ArcelorMittal

Simple coïncidence passagère heureuse ? Sans doute pas. Car les implantations, développe- ments et projets se multiplient tous azimuts sur ce territoire industrialo-portuaire. Le consortium anglais GFG Alliance vient de racheter la plus grosse fonderie d'aluminium d'Europe, Aluminium Dunkerque, à Rio Tinto. Et laisse entrevoir de gros projets de développement (eco121 n° 79). Le chimiste français SNF Floerger a confirmé son arrivée sur le port dans les deux ans, avec dans ses fûts 110 à 160 M€ d'investissements et 150 emplois, pour produire des polymères hydrosolubles, dont il est déjà leader mondial. ArcelorMittal, la locomotive du territoire, dont la moitié de la production est dédiée à l'automobile, est en pleine charge avec la reprise économique, et a même atteint un record de production en 2017, avec 7 millions de tonnes d'acier. Le groupe H2V a annoncé quant à lui son intention d'investir 450 M€ dans une filière de production d'hydrogène et de biogaz, avec 200 emplois à la clé.

« Dunkerque est un endroit formidable pour toucher les plus grands marchés du nord de la France, le Benelux, la Grande-Bretagne », déclarait Donal O'Riain, fondateur du groupe Ecocem, lors de l'inauguration de son usine nordiste.

Stratégie territoriale et élan collectif

Outre son positionnement géographique, Dunkerque présente des atouts considérables : un énorme foncier disponible dans l'enceinte portuaire, une très grande accessibilité multimodale, et une authentique culture industrielle. « c'est un argument n'est pas un frein à l'embauche », analyse Patrick Petit, directeur général de Dunkerque Promotion. De quoi positionner fortement Dunkerque sur la carte européenne des métropoles « industry friendly » pas si nombreuses.

S'ajoute une grande visibilité de la stratégie territoriale. Celle-ci a été refondée par le tombeur de Michel Delebarre en 2014, Patrice Vergriete (lire son interview par ailleurs), à travers des Etats généraux de l'Emploi Local qui ont clairement fixé les priorités. « Il y avait une nécessité de rebooster. Toutes les composantes du développement économique -CUD, ccI, port, Dunkerque Promotion, clubs de zones, etc... travaillaient déjà bien ensemble, mais la mobilisation autour des états généraux de l'emploi a créé un nouvel élan », analyse Patrick Petit. L'implication convergente des acteurs locaux pour faciliter les implantations est d'ailleurs unanimement saluée par les nouveaux arrivants comme un atout majeur du Dunkerquois.

Parmi les grandes priorités : demeurer un pôle industriel, bien sûr, mais en accompagnant sa mutation vers les filières d'avenir et l'industrie du futur, et l'économie circulaire, le tourisme et les services, notamment avec un nouveau pôle tertiaire programmé derrière la gare, l'esprit d'entreprise, et la captation de la valeur ajoutée des flux sur le territoire.

Cap 2020 vers le conteneur

Sans renoncer au port industriel et à ses millions de tonnes de vrac, l'économie des conteneurs, en plein boom mondial au profit notamment des géants du range nord-européen (Rotterdam, Zeebrugge...) est dans le viseur. Alors que le port de Dunkerque plafonnait dans les années 2000 à un niveau presque indécent de 200 000 boîtes par an, il frisait le double l'an dernier. Et le projet « Cap 2020 » porté par le Grand Port Maritime et son patron embléma- tique, Stéphane Raison, vise à en faire une grande priorité, pour chercher le seuil des 2,5 millions de « boîtes » d'ici à 2035. Avec un investissement en perspective de plusieurs centaines de millions d'euros, qui permettra d'aménager 350 ha logistiques, et d'accueillir simultanément plusieurs megamax, les plus gros porte-conteneurs de la planète.

Pari gagnant pour demain ? Sans doute. La structure économique locale, marquée par une concentration de grands sites industriels, dont les centres de décisions sont pour la plupart très éloignés, reste vulnérable aux à-coups conjoncturels. Au moins le territoire a-t-il pris pleinement la mesure de son destin et fait le pari des changements de longue haleine. 

 

L'ESPRIT D'ENTREPRISE EN BERNE

 "Nous sommes à 38 créations d'entreprises pour 10 000 habitants quand la moyenne nationale est à 81, ça veut dire qu'on est passé à côté de quelque chose", déplore Jean-Yves Frémont, élu à la communauté urbaine de Dunkerque. Culture du salariat de masse, grands groupes industriels, l'esprit d'entreprendre ne souffle guère dans ce territoire littoral, passé complètement à côté du rebond spectaculaire de la région dans ce domaine, dans le sillage de ce qui fut le Plan Régional pour la Création et la Transmission d'Entreprises (PRCTE). Ce point faible criant est clairement identifié par les acteurs de la conurbation portuaire. Lors des Etats Généraux de l'Emploi Local, l'entrepreneuriat a d'ailleurs été ciblé comme une des priorités stratégiques partagées. Début 2018, il s'est traduit par la création d'une « communauté entrepreneuriale », inspirée d'une expérience réussie dans la ville québécoise de Shawinigan. 400 « ambassadeurs » se sont réunis pour porter une démarche commune, avec l'en- semble des acteurs de l'entrepreneuriat local : CUD, BGE, Flandre Création, Entreprendre Ensemble, Initiative Flandre, Dunkerque Promotion, Chambre des Métiers, CCI Littoral. En arrière-plan, l'aggloméra- tion a décidé d'investir fortement (8 M€) dans la création d'un nouvel outil, « la Turbine ». Il s'agira d'une maison de l'entrepreneuriat, regroupant l'ensemble des acteurs de l'accompagnement. « On sait que ce sera long, mais il faut commencer », lance Patrice Vergriete, président de la CUD.

 

 

 

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