Eau : il va falloir payer !

  Malgré une légère baisse de consommation en région, nos nappes phréatiques ne se rechargent plus assez. Les réseaux ne sont pas renouvelés à un rythme suffisant. La course à la ressource est engagée pour éviter les ruptures. Le modèle économique de l'or bleu est à ses limites. La hausse des investissements et donc in fine des prix apparaît inéluctable. Sécheresse, préservation de la ressource, réseaux : il va falloir payer. Enquête entre deux eaux.

 

"Bienvenue chez les ch'tis !» Dans une scène mémorable, arrivant devant le panneau Nord-Pas-de-Calais, Kad Merad se retrouve sous une drache monumentale. Le cliché est toujours bien ancré : dans le Nord, il pleut toujours ! Sauf que c'est faux. Dunkerque et Bordeaux ont la même pluviométrie. Et depuis quatre ans, la région affronte même une sécheresse récurrente et tenace. Qui nous rappelle que l'eau est un bien rare et précieux. En juillet, la région accusait encore une pluviométrie en recul de 55% sur la normale. L’alerte sécheresse a du reste été prolongée par le préfet jusqu’au 31 octobre dans le Nord. Les nappes sont à un niveau très faible malgré une recharge correcte l'hiver dernier. Mais le précédent avait été très sec et la situation reste donc fragile. A l'été 2019, la région a même connu des ruptures d'alimentation dans quelques zones et des niveaux très bas dans beaucoup d'autres. « On est un peu mieux à cette période qu'en 2019, mais pas beaucoup », estime Emilie Blain-Lefevre, hydrogéologue chez Veolia. « Les simulations avec le changement climatique prévoient un affaiblissement de la recharge de 30% à l'horizon 2030-2050. Il faut travailler en intégrant ces baisses à venir », relève Dominique Wanègue, vice-président du SIDEN-SIAN, plus connu sous le nom de sa régie Noréade.

 

Pressions concentrées

«Les enjeux de l'eau sont une des deux priorités de l'environnement jusqu'au moins 2050. et en France, on a le potentiel pour être dans les trois premières puissances mondiales de l'eau », estime Jean-Claude Lasserre, directeur des salons thématiques Cycl'eau, dont le dernier se tenait à Lille Grand Palais ces derniers jours. Le combat de géants entre Veolia et Suez souligne l'importance du sujet, qui quitte peu à peu les débats d'initiés pour le grand public. On sent clairement la priorité remonter, tout particulièrement dans notre région, dont le rapport à l'eau est très contraint. « C'est un petit territoire mais aussi l'un de ceux où il y a le plus de pressions concentrées, avec près de 5 millions d'habitants dont les trois quarts habitent en zone urbaine », explicite Thierry Vatin, directeur de l'Agence de l'Eau Artois Picardie (qui couvre l'essentiel des Hauts-de-France). Sur ce périmètre, où 93% de l'eau provient du sous-sol, sa qualité reste médiocre. Le fruit d'une histoire industrielle, minière, de grandes cultures avec de gros volumes d'engrais et de produits phytosanitaires, d'une forte densité de population.

Avec seulement 22% des « masses d'eau » régionales jugées en bon état, la performance n'est pas brillante : la moyenne française est à 44%, la Corse à 89% ! Encore faut-il noter qu'on revient de loin, grâce à l'accompagnement de l'Agence de l'eau (en général à 50%) des projets d'investissements des différents acteurs. Avec des enjeux parfois énormes, comme la station d'épuration de Marquette, qui avait mobilisé 185 M€.

Tous les six ans, les acteurs de l'eau lancent un nouveau cycle à travers un Schéma Directeur d'Aménagement et de Gestion des Eaux (SDAGE). La concertation démarre en octobre pour le programme 2022-2027. Objectif affiché : passer à 50% de masses d'eau en bon état. Le défi est de taille. D'autant que selon les projections, le changement climatique pourrait générer un recul de pluviométrie de 5 à 10%, une chute des débits des rivières de 25 à 45%, et un affaissement du rechargement des nappes de 6 à 46% selon les scenarii. Dans ce contexte, la protection de la ressource devient encore plus centrale au risque parfois d'entraver tel ou tel projet. Le président de la CCI Hauts-de-France, Philippe Hourdain, qui porte un projet de parc tertiaire de haut niveau, le Lil'Aéropoarc, au sud de Lille, en sait quelque chose. Si le projet de 35 ha cochait toutes les cases de la troisième révolution industrielle, il s'est heurté l'an dernier au plan de protection des champs captants métropolitains. « Le dossier va être représenté prochaînement avec un nouveau dimensionnement revu quelque peu à la baisse et des engagements très forts et très ambitieux sur le respect, bien légitime, de la ressource en eau », annonce David Brusselle, directeur général de la CCI, évoquant « une adéquation encore plus forte entre développement économique et respect de l’environnement ». Il reste que les tensions sur la ressource s'accentuent. Comment y faire face ?

 

Réduire les fuites

« La meilleure eau, c'est celle qu'on n'a pas à produire. Il faut réduire les usages », répond d'abord Dominique Wanègue, chez Noreade. La sobriété, les incitations, les équipements moins “aquavores” permettent d'économiser de gros volumes. Il faut aussi investir, lourdement. Pour remonter les rendements de réseaux gigantesques. Chez Veolia Eau, le taux de fuite en région est de 19 %, il monte à 24% chez Noreade, sur un réseau rural plus difficile à maîtriser. Le syndicat intercommunal investit déjà 35 à 40 M€ par an pour garder ses 10 000 km de tuyaux à niveau. Il espère monter son rendement à 80%. Le taux de renouvellement des canalisations en France est de 0,7% alors qu'il faudrait 1% pour un renouvellement en 100 ans. Certaines collectivités laissent ce taux à 0,2 ou 0,3%. « Leur rendement va se casser la figure », prévient Didier Bénard, patron de Veolia Eau en région.

Derrière les investissements -environ 200 € le mètre linéaire- se cache la question politiquement très sensible du prix de l'eau. « En France, l'eau a un budget annexe dans les collectivités : c'est l'eau qui paie l'eau. On arrive peut-être à la fin d'un modèle », analyse Didier Bénard pour qui le financement du service par rapport aux volumes d'eau mériterait une part fixe. Car la consommation moyenne recule chez nous de 0,2% l'an en moyenne. L'équation devient très complexe. Ce qui est bon pour la planète l'est moins pour les équilibres économiques. « Si on doit réduire la consommation et faire davantage d'investissements, le prix au mètre cube va forcément monter », confirme Dominique Wanègue.

 

« Eaux non conventionnelles »

La région teste aussi d'autres voies « non conventionnelles » pour renforcer sa ressource. Il s'agit d'aller chercher des volumes importants issus de l'extraction minière, ou des carrières, entre autres. En bon français, des eaux de « re-use ». L'agence de l'eau a lancé un appel à projets en région. Veolia y a répondu avec le bureau d'études Ecofilae à travers un dossier « Cir'CALL » pour imaginer des utilisations pour des eaux de pluies, des eaux de station d'épuration et des eaux de carrière et minières. Une forme d'économie circulaire de l'eau. Une évaluation approfondie du potentiel de réutilisation sera ainsi menée sur 5 sites, mixant les différentes typologies d'eaux (industrielle, eau usée domestique et eaux d'exhaures) et les usages.

Chez Noreade, on travaille sur le gisement des eaux de carrières du côté d'Avesnes-sur-Helpe. La direction générale de la santé a donné son feu vert, sous l'expertise de l'ARS. Les volumes sont significatifs, soit 37 000 m3 par jour. « Ce serait une première nationale », se réjouit d'avance Dominique Wanègue. Outre sa fonction fluviale première, le canal Seine Nord est aussi présenté comme un moyen de sécuriser d'énormes volumes d'eau, notamment pour la métropole lilloise (lire par ailleurs).

Poussée par ces enjeux, l'eau se mue peu à peu en une vraie filière régionale, derrière les deux majors (Veolia Eau, 1400 salariés, Suez, 1000 salariés en région), (encadré parts de marché), les régies, mais aussi une kyrielle de petites entreprises, de start up, et de ressources académiques. Autant de matière grise et de technologie qui viennent alimenter l'innovation, qu'il s'agisse d'objets connectés, de big datas, de systèmes sobres en eau. L'eau 4.0, en quelque sorte.

 

 

Après le méthane et le solaire, un collectif de l'eau 

Vous connaissiez déjà Coresol pour l'eau et Corbi pour la biométhanisation. La région s'est dotée cet été d'un nouveau collectif Eau pour les Hauts-de-France. Réunissant les forces du pôle de l'eau du Grand Est, Hydreos (également membre fondateur du seul pôle de compétitivité national de la filière de l'eau), et l'accélérateur de l'éco-transition le CD2E, ce réseau d'acteurs vise à « conforter l'écosystème (...) et promouvoir la filière de l'eau afin de répondre aux enjeux liés à la ressource du territoire ». Au-delà de la musique des mots, ce regroupement ambitionne de générer des synergies entre les acteurs de la recherche, collectivités, entreprises et organismes publics dans une logique transverse, pluridisciplinaire et décloisonnée. Le collectif annonce qu'il mettra en place tout au long de l'année des ateliers, des formations et journées techniques ainsi que des accompagnements au montage de projets.

Parmi la quinzaine d'acteurs de ce réseau encore balbutiant figurent les majors de l'eau, la CCI de région, l'IMT Lille Douai, et plusieurs sociétés telles que Techsub (lire par ailleurs) ou Amodiag Environnement, ainsi que la Région, la MEL mais aussi l'Agence de l'Eau Artois Picardie.

 

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