Les aliments de demain s'inventent dans le Nord

De g. à d.: Fruits et légumes bio et locaux transformés et conservés par lacto fermentation par La Préserverie. Sauce façon bolognaise 100% végétale à base de pleurotes de chez Pleurette. Sushi Onigiri aux protéines végétales de So'Nigiri. Bra De g. à d.: Fruits et légumes bio et locaux transformés et conservés par lacto fermentation par La Préserverie. Sauce façon bolognaise 100% végétale à base de pleurotes de chez Pleurette. Sushi Onigiri aux protéines végétales de So'Nigiri. Bra

Au rythme actuel de consommation, la planète ne pourra plus alimenter ses habitants en 2050. La Région entend bien répondre à ce défi immense. Nos géants de l'agroalimentaire fourbissent leurs armes. Les start up aussi. Plongée dans l'innovation régionale.

Oeufs au Fipronil, pou- lets aux dioxines, “lasagnes pur boeuf“ à la viande de cheval, steaks au E. coli... Les scandales alimentaires ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Entre considérations sociales, environnementales ou bien-être animal, le consommateur remet en question son alimentation. En parallèle, une planète à 10 milliards d'habitants à horizon 2050 serait incapable de nourrir sa population sur les modèles de consommation actuels. L'enjeu est planétaire. Et les grands de l'agroalimentaire l'ont bien compris : la recherche de nouvelles sources de protéines n’est plus une option mais une nécessité.

Les Hauts-de-France sont à la pointe de ce défi historique pour l’humanité. Rien de surprenant puisque la première région agroalimentaire du pays rassemble 1 400 entreprises dans une filière qui pèse 10 Mds € d'activité. Avec des tenors mondiaux comme Bonduelle, Lesaffre, Herta, Lactalis ou encore Roquette, très engagés dans la course. Les investissements battent leur plein. Dans les fourneaux de ces poids lourds, de nouveaux procédés de fabrication et les aliments de demain se préparent.

> A lire aussi : Protéine d'insecte : une législation française insectophobe ?

Bien-être, naturalité et flexitarisme

« On retrouve chez les consommateurs un besoin de naturalité, de retour aux racines et aux méthodes ancestrales », constate Antoine Baule, P-dg du groupe Lesaffre, leader mondial des levures et de la fermentation. Une tendance confirmée par l'essor général du bio et un appétit pour les produits santé et bien-être. Responsable, sain et éthique sont devenus trois ingrédients essentiels. Exit le culte de « l'allégé », bienvenue au « sans » (gluten, sucre, produits laitiers), au microbiote (comme les graines de chia ou le curcuma) et à la protéine végétale. La viande fait de plus en plus grise mine. Selon la revue médicale britannique The Lancet et l’ONG Fondation EAT, le régime idéal serait de diviser la ration de viande par deux et de doubler celle de fruits, légumes et oléagineux. Une alimentation qui « éviterait 11 millions de décès prématurés par an dans le monde ». Thierry Lebrun, directeur du Village by CA Nord de France (lire par ailleurs) explique : « L’idée n’est pas de rendre tout le monde végan mais de créer un déclic chez les consommateurs, de les convaincre des bienfaits du flexitarisme ». Tendance qui prône non pas une suppression mais une diminution de la part de protéines animales dans l’assiette. Les consommateurs adoptent déjà de nouvelles habitudes. Le Centre d'Information des Viandes observe ainsi une diminution de la consommation de viandes de boucherie par habitant. Sur fond d'une hausse significative de lancement de nouveaux produits alimentaires à revendication végétariennes (+25%) et végétaliennes (+257%).

Le goût avant tout

« C’est bien d’innover, de prôner les végétaux, les ingrédients fonctionnels, encore faut-il que tout ceci soit bon ! L’alimentation plaisir est une vraie tendance », note Fabrice Hoschedé, directeur du pôle d’excellence Agroé, qui accompagne Pme et Tpe sur les problématiques de développement durable et d'export. « On ne doit jamais sacrifier le goût, c’est un impératif », renchérit Christine Chêné, directrice d’Adrianor. Près d'Arras, ce centre de ressources technologiques pour les industries agroalimentaires aide les entreprises à lever leurs verrous technologiques. Sur 10 produits lancés, seuls un ou deux parviennent à pé- nétrer le marché. Les échecs étant souvent dus à un mauvais goût, confie James Blunt, responsable du centre R&D local de Tate & Lyle.

> A lire aussi : Patrick Lesueur, directeur R&D chez Bonduelle : “Les protéines végétales engendrent une vraie révolution”

La protéine, nouvelle star

Mis à part les investissements colossaux sur les protéines d'insectes (lire ci-contre), les acteurs régionaux de l'agroalimentaire se focalisent particulièrement sur la protéine végétale. Roquette fut le premier à s'intéresser il y a 15 ans au potentiel du pois protéagineux et à y consacrer une partie de ses 300 chercheurs. Avec 50 brevets protégés mondialement à la clé. Le pari s'avère aujourd'hui très fructueux, au prix d'investissements lourds. Après avoir construit une usine à Vic-sur-Aisne (en cours d'extension, portant l'effort à 100 M€), le groupe familial double la mise au Canada avec une unité à 300 M€. A terme, Roquette pourrait réaliser 20% de son chiffre d'affaires dans les protéines végétales. L'enjeu est gigantesque. Xerfi évalue à 11 Mds€ en 2020 à ce marché en pleine croissance. Le numéro un mondial du légume Bonduelle, qui se revendique également spécialiste du végétal, ne s'y est pas trompé. Il y a deux ans, il lançait une gamme de pâtes aux légumes sans farine faisant la part belle aux protéines végétales. Pour remplacer les produits carnés, le groupe familial propose depuis peu une gamme 100% végétarienne appelée "VeggissiMmm!" Lesaffre rentre aussi dans la danse. Le groupe de Marcq-en-Barœul annonce des "avancées importantes" sur la protéine de levure pour remplacer le sel. "Nos recherches nous permettent de découvrir comment obtenir les protéines végétales par fermentation de micro-organisme. Donc de façon tout à fait naturelle", confie le P-dg. Herta, à Saint- Pol-sur-Ternoise, fabrique pour sa part des steaks et des nuggets au soja et au blé, et des knackis à base de protéines de blé et de pois.

Au-delà des majors, une kyrielle de jeunes pousses sont en train d'émerger, appuyées par des politiques régionales volontaristes. La MEL a lancé son pôle d'excellence dédié, Euralimentaire. Des structures d'accompagnement se multiplient partout (lire ci-contre). La Région se positionne même comme un haut lieu de la protéine végétale : en octobre dernier, elle accueillait le Protein Summit et les lauréats de l'appel à projet mondial du Village by CA.

Signe de l'importance de l'enjeu, les acteurs français de l'agroalimentaire réunis au sein de Protéines France* en appellent aux pouvoirs publics pour la construction d'une véritable filière organisée et réclament leur place au sein du programme d'investissement d'avenir. La révolution alimentaire n’en est qu’à ses prémices. 

* Ce consortium comprend nombre d'entreprises basées en région parmi lesquelles Lesaffre, Roquette, Soufflet, entre autres.

> A lire aussi : Ces lieux où mitonne l'innovation alimentaire