Alice Guilhon, DG de SKEMA : “On veut préparer des diplômés prêts à l' emploi partout dans le monde."

10 ans après la création de SKEMA à travers la fusion de l'ESC Lille et du CERAM Nice, comment jouez- vous votre partition et votre différenciation dans l'univers des business schools ?

SKEMA n'est pas une addition d'écoles mais est née d'une page blanche. L'enseignement supérieur est une industrie mondiale.Il fallait un projet d'enseignement à l'échellemondiale,une structure multinationale comme les industries, alors que n'existaient que des écoles monosites du type de Harvard, comme 98% des business schools dans le monde.

Pourquoi pas créer la première multinationale de l'éducation, mais sur une base d'excellence, avec sa marque globale, son rayonnement sur plusieurs continents, tout endevenant un acteur local ? Ainsi au Brésil, nous sommes Brésiliens, en Chine, Chinois et Américains aux Etats-Unis. Et nous connectons nos sites, en donnant aux jeunes l'opportunité de travailler avec les autres sur les différents sites.

Chaque semestre, 2500 élèves changent de site international, ils apprennent les langues, la vie associative partout. On veut préparer des diplômés prêts à l'emploi partout dans le monde.

Peut-on être global et local à la fois ?

Nous sommes très enracinés. Plus une marque est internationale, plus elle doit être enracinée. Nous avons 120 ans à Lille, nous travaillons ici avec les milieux économiques,où nous comptons d'ailleurs de nombreux diplômés. Nous avons aussi un très fort attachement dans l'écosystème politico-social, par exemple via la Fondation des possibles grâce à qui nous envoyons des étudiants post-bac en situation difficile dans nos campus internationaux.A leur retour, les entreprises de la Fondation vont les recruter. Nous sommes aussi liés à Entreprises & Cités,on peut encore citer la présence d'Edouard Roquette parmi nos administrateurs ou encore Raphaël Robil, fondateur de l’agence web lilloise et parisienne Lemon Interactive qui est aussi président du Centre des Jeunes Dirigeants de la région Hauts de France.

On a le sentiment que les jeunes diplômées d'écoles de commerce dont le but était autrefois majoritairement d'intégrer un grand groupe sont de plus en plus attirés vers la création d'entreprise...

C'est vrai que les grands groupesne font plus autant rêver qu'autrefois. Le changement de mentalité est très fort depuis cinq ou six ans. C'est à la fois un effet start-up mais aussi la quête de sens, dans la vie professionnelle comme personnelle. Les jeunes sont de plus en plus engagés dans des démarches humanitaires, en France et à l'international.

SKEMA est très impliquée dans la création d'entreprises ?

Notre dispositif d'accompagnement SKEMA Ventures est extrêmement atypique, avec le monde pour terrain de jeu. Nous organisons une sorte de Hackathon sur quatre à cinq jours pendant lesquels les jeunes laissent libre cours à leurs idées créatives. Sur les 1200 élèves de la grande école,nous sommes très sélectifs puisque nous ne retenons et finançons que 3 projets, sur 70 présélectionnés en moyenne. Ces derniers restent accompagnés par nos coachs en ligne pendant le cursus, avec notre plateforme collaborative GUST. Les jeunes peuvent continuer à développer leur projet où qu'ils soient, en France, à Raleigh aux Etats-Unis, Suzhou en Chine, ou Belo Horizon au Brésil. Le taux de survie des entreprises créées est de 91 % après cinq ans. Autant de femmes que d'hommes ont aujourd'hui envie de créer leur boîte. Lemon Interactive vient d’ailleurs de créer avec nous le LemonTrophy dans l’objectif de coacher les étudiants créateurs de startup et les aider à accélérer leur développement. SOWCE, start-uplilloise tout juste créée va pouvoir en bénéficier.

Justement Eco121 se penche ce mois-ci sur l'entrepreneuriat au féminin. On observe encore une grande prédominance d'hommes parmi les chefs d'entreprise. C'est amené à évoluer ?

Bien sûr, il y a un effet générationnel. Les femmes sont moins préoccupées par leur vie de famille, les tâches sont partagées, un jeune homme ne s'interdit plus de prendre un congé parental. SKEMA a d'ailleurs mis en place une chaire « femmes et entreprises ». On dit aux femmes : ne vous interdisez pas de créer, d'aller vers des métiers de la finance, vous n'êtes pas cantonnées aux RH ou à la communication-marketing! Nous avons d'ailleurs d'anciennes «skémiennes» qui ont réussi brillamment comme Géraldine Le Meur qui a fondé The Refiners à San Francisco, Mathilde Thomas, créatrice de Caudalie, ou encore Audrey Lieutaud, créatrice de Mon Petit Bikini.

Faut-il donner un coup de pouce, notamment pour féminiser les conseils d'administration ?

Je ne suis pas du tout féministe, mais je suis en effet favorable à un coup de pouce pour bouger les mentalités. Le conseil d'administration avec des vieux bonshommes qui s'endorment après des repas arrosés, c'est terminé ! J'étais moi-même la première femme à diriger une business school, nous sommes sept aujourd'hui. Dans 5-10ans, le paysage aura beaucoup évolué. D’ailleurs, l’Observatoire SKEMA de la Féminisation des entreprises, alimentépar les travaux du Professeur Michel Ferrary montre bien que les entreprises les plus féminisées sont statistiquement les plus profitables et pérennes.

Les entreprises ont toutes de grosses difficultés à recruter. Cela se ressent-il auprès de vos étudiants ?

Les entreprises ont un problème énorme de sourcer les talents avant les autres. C'est
pourquoi nous plaçons souvent au sein de nos partenariats avec les entreprises le sourcing de talents à la racine. Elles viennentd'ailleurs dans les cours directement. Nous n'avons dans ce contexte aucun problème de placement. Les jeunes trouvent rapidement des jobs en France, à l'international. Ils ont souvent plusieurs choix. La problématique de la marque employeur est donc importante. Six mois après le diplôme, nous atteignons 98% de placements en CDI. 

Cela tire les premiers salaires de vos diplômés à la hausse  ? 

Oui, clairement  ! Ils touchent en moyenne aujourd'hui 43 K€ de revenu annuel pour le premier job, 46-47 K€ à l'international. Quand on a créé SKEMA en 2009, on était autour de 33 à 34 K€. L'école était classée 14e, on est 6e aujourd'hui. On n'a pas fait SKEMA pour ça, mais le classement a suivi. L'écosystème a compris que le modèle SKEMA n'était pas idiot. A telle enseigne que pas mal de mes collègues de business school me disent aujourd'hui qu'ils veulent adopter la même structure que nous. Alors qu'à l'époque de la fusion, ces mêmes écoles nous avaient plus que critiqués  ! 

Si on se projette dans cinq ans, à quoi ressemblera SKEMA ?

Nous serons en Afrique! Les «petits» sont très attirés par l'Afrique du sud en particulier, où nous pourrions faire un hub. On y travaille lentement. La Russie attendra, mais on y a déjà développé un double diplôme. Nous allons travailler la marque sur son impact global, de grande qualité et worldwide. J'ai en tête à horizon 10 ans un projet ambitieux dans lequel toutes les boîtes mondiales, qu'elles soient petites ou grandes puissent se dire : si je n'ai pas un diplômé SKEMA à mon comité de direction, j'aurai du mal à travailler dans le monde entier

Recueilli par O.D et J.K.