Koussée Vaneecke (Euratech) : « Ma priorité est le climat social avec un environnement de travail sain »

Koussée Vaneecke, présidente d'Euratechnologies. Crédit : Georges Lebon/Euratechnologies Koussée Vaneecke, présidente d'Euratechnologies. Crédit : Georges Lebon/Euratechnologies

Elle a pris la présidence d’Euratechnologies en octobre dernier, dans un contexte particulièrement bouleversé. Après une année de turbulences liées au management décrié de son prédécesseur, Nicolas Brien. Koussée Vaneecke a désormais la lourde tâche d’instaurer un climat social plus serein au sein de l’incubateur lillois. Tout en lui offrant une nouvelle impulsion, aidée d’une levée de fonds historique.

Vous avez été nommée présidente d’Euratechnologies en octobre. Quel a été votre parcours jusqu’ici ?

J’ai été à la place des entrepreneurs puisque j’ai créé et dirigé une start up, SolutionAppart, une plateforme d’intermédiation entre particuliers et architectes d’intérieur. J’ai étudié à l’ESCP puis travaillé dans de grands groupes comme Danone et Pernod Ricard. Je suis également passée par des entreprises à forte dimension en- trepreneuriale comme Webhelp où j’ai été directrice marketing. L’entreprise a connu une croissance spectaculaire puisqu’on a multiplié le chiffre d’affaires par 5 en 6 ans pour atteindre le milliard d’euros six ans après la création. J’ai par la suite travaillé chez Comexposium où j’ai dirigé la business unit d’organisation d’événements cyber et IT en Europe. J’ai rejoint Euratech en janvier 2022 comme Dg.

Il y a eu une année de grosses turbulences avec le management de Nicolas Brien puis son éviction. Euratech a-t-elle été ébranlée dans son fonctionnement et sa relation avec les entreprises ?

Sur la partie SEM, ma priorité est le climat social avec un environnement de travail sain. Notre mission est d’accompagner des entrepreneurs. Quand nos collaborateurs sont centrés sur cette mission et en contact avec les entrepreneurs, ça se passe bien ! Côté entrepreneurs, ils sont là pour développer leur entreprise. Donc, même si on a pu ne pas être au rendez-vous quelques fois, eux sont restés concentrés sur ce qu’ils avaient à développer. Les levées de fonds ont pu se faire, les créations d’entreprises aussi. Nous avons un certain nombre de KPI (indicateurs clés de performance, ndlr) qu’on suit de près. Parce que c’est au cœur de notre mission et aussi parce que nous sommes subventionnés par la MEL et la Région. Qui elles aussi suivent de manière très pointilleuse nos KPI.

Il y a eu pas mal de départs dans vos équipes. Sont-elles stabilisées ?

Nous sommes 45. On est dans une phase d’accélération grâce à notre levée de fonds. On cherche désormais la stabilité et à aller plus loin. Ce qui était important, c’est que l’équipe de start up managers soit le plus complète possible et c’est le cas. Mais on continue de recruter avec un objectif de doubler nos effectifs d’ici cinq ans.

Chez les start up, il y a eu un choc lié à la hausse de leurs loyers et à la commission de 3% sur leurs levées de fonds. Est-ce accepté aujourd’hui ?

On a précisé à nouveau les choses notamment sur les 3%. Le message a été diffusé de manière extrêmement maladroite. Ce n’était pas clair. Je pense que c’est le cas aujourd’hui. Nos accompagnements sont gratuits et le resteront. Euratech fait la mise en relation entre un investisseur et une start up. Si la relation se contractualise, alors nous prenons cette commission. Ce sont des périodes de transformation qui nécessitent du temps pour expliquer.

Certains ont pu penser que ces nouvelles modalités impacteraient votre flux d'affaires. Est-ce le cas ?

En nombre de start up incubées, on a battu les records ! 140 jeunes pousses nous ont rejoint le 3 octobre, c’est du jamais vu. C’est une promo qui a signé et adhéré au contrat d’Euratech.

Cette attractivité est-elle spécifique à Euratech ?

Station F a par exemple changé de vision et a diminué de manière drastique le nombre d’entreprises accompagnées. Notre avantage est la visibilité de nos sept verticales liées à l’histoire des Hauts-de-France. Un site dédié au retail à Roubaix dans les anciens locaux de La Redoute ou encore l’entrée de l’AFM à notre capital sont autant de signaux forts qui donnent envie aux entrepreneurs de nous rejoindre. On est dans une cohérence verticale et territoriale.

Sept verticales, c’est beaucoup... Avez-vous les moyens de toutes les porter ?

C’est beaucoup mais on trouverait factice de faire des regroupements. Elles ont du sens par rapport à nos sites d’implantation et à l’histoire de la région. Et force est de constater que ça fonctionne. On a des success stories dans chacune de nos verticales. L’Agtech de Willems par exemple est situé en plein champ. Pourtant, Sencrop a levé 18 M$ pour ses stations météo de précision.

L’ancrage territorial est l’une de vos priorités ?

Oui. On veut des start up qui créent des emplois sur le territoire. L’objectif est 3 000 emplois nouveaux à horizon cinq ans. Il faut que l'on continue de créer des écosystèmes entre mentors, entreprises partenaires et jeunes pousses pour permettre à de nouvelles start up d’émerger en région, puis de s’étendre en France et à l’international. C’est également essentiel pour Euratech même, afin de lui offrir une dimension internationale. Cette volonté est en ligne avec celles portées précédemment par Pierre de Saintignon et Raouti Chehih.

Vous venez de lever 24 M€. C’est une somme importante. Quels seront vos grands axes de développement ?

Déjà celui d’avoir des start up à la dimension technologique plus forte. Ce qui passe par des investissements dans des équipements de pointe. Nous regardons pour l’achat d’un cyber-range. C’est une plateforme de simulation des attaques cyber, qui permet aux entreprises de faire évoluer leur architecture. C’est un investissement très onéreux, entre 300 K€ et 1 M€, que les start up ne pourraient pas se permettre à titre individuel. On joue nôtre rôle de hub d’innovation. Cet équipement sera aussi mis à disposition d’entreprises externes.

Un autre axe est l’utilisation des moyens du cyber-campus pour la préservation de l’emploi. 80% des Pme victimes de cyber attaques ou de pertes de données ferment dans les deux ans. Opérer ce cyber-campus nous permet de jouer un rôle fort dans la prévention des risques. On aura une mission de réponse face aux attaques mais aussi d’innovation, de formation des Tpe-Pme régionales et enfin de mobilisation et d’animation de l’écosystème. Le 14 décembre, nous lançons les groupes de travail autour de la certification cyber des Pme ou encore de la création d’un livre blanc « cybersécurité et retail ».

Vous avez de grosses ambitions sur la cybersécurité. Qu’en est-il de l’IA ? C’était l’une des priorités de Raouti Chehih lorsque nous l’avions interrogé en 2020...

Tout comme lui, on essaie d’avoir une vision transverse. L’intelligence artificielle a été incorporé dans le produit de beaucoup de nos start up. Dans la SpaceTech (à Saint-Quentin, ndlr) par exemple, Grasp est une start up qu’on accélère et qui lancera début 2023 son premier satellite puis une constellation dans deux ans. Son objectif est d’évaluer la pollution de l’air à un niveau très fin grâce à l’IA.

Votre augmentation de capital a-t-elle vocation à se poursuivre ?

Oui, elle peut s’accroître avec l’arrivée de nouveaux partenaires. Mais c’est tout ce que je peux vous dire sur ce sujet aujourd’hui.

Euratech a accueilli Entreprises et Cités et l’AFM à son capital. Les liens sont-ils déjà en train de se mettre en place ?

Il y a beaucoup d’attente en interne car les partenariats que l’on va nouer avec ces actionnaires permettront aux start up d’avancer plus vite sur leur modèle. Pour les enseignes de l’AFM c’est l’occasion d’avoir un coup d’avance dans le retail. Avec Entreprises et Cités, on investigue deux volets forts. Le premier sur la transformation digitale des Tpe-Pme. On travaille sur des modules qui offriront à ces entreprises le même accès à l’innovation que celui proposé aux grands groupes. Le second volet concerne les promos Stanford. Je veux être dans le renforcement. Avant, c’était tous les deux ans. Désormais, ce sera tous les ans et ce dès septembre 2023. D’après nos Alumnis, en un mois de formation ils ont gagné un an sur le dévelop- pement de leur start up. C’est un programme de très grande qualité.

Le programme restera-t-il le même qu’à l’origine ?

La formule va évoluer mais le principe de base restera une semaine à Stanford et une semaine à Lille, avec un accompagnement à l’entrepreneuriat par des experts de l’Université et de nos sites. On est sur une mise sous tension qui permet de faire évoluer très vite les projets des entrepreneurs. La manière de présenter son pitch reste également un point central du programme. Raconter une histoire, celle de son entreprise, est essentiel pour embarquer les investisseurs, ses clients et ses salariés.

Comment maintenez-vous le lien avec vos Alumnis ?

La maturité d’un écosystème est très lié à ses Alumnis. Euratech entretient sa communauté d’anciens de trois façons. D’abord, par l'immobilier. Les sortants d’incubation louent des bureaux sur nos différents parcs. Puis par l’animation de l’écosystème par nos Alumnis eux-mêmes. Et enfin, via leur présence au sein des jury de sélection de nos promos.

Comment déploierez-vous l’incubateur au-delà de ses sites d’implantation ?

On est en discussion avec plusieurs villes de la région pour essaimer Euratech. Ce n’est pas encore concret mais on pense que c’est une opportunité pour le territoire de renforcer son attractivité. Ça correspond bien à l’étude menée avec EY, la MEL et la Région sur la filière nu- mérique régionale. On sait que l’attractivité et le maintien des talents en région sont de gros enjeux.

La formation et l’emploi le sont également. Comment prendrez-vous part à cette bataille ?

Dans ce qu’on doit proposer aux entrepreneurs, il y a le financement. Une fois qu’ils l’ont, ils doivent embaucher. Donc évidemment la formation est capitale. 72% des entreprises régionales du numérique ont du mal à recruter. Pourquoi ? D’après l’étude, c’est lié au fait que seule une moitié de la population des Hauts-de-France postule aux offres. On manque cruellement de femmes ! On a un rôle à jouer pour faire découvrir et donner envie aux femmes de rejoindre le numérique. Ça fait 8 ans qu’on y contribue à travers les enfants et Euratech Kids. On en a déjà formé plus de 4 000 dans nos ateliers de code et de robotique. On doit acculturer sur tous les âges et pouvoir renforcer nos actions vers les collégiennes notamment.

Comment se portent les levées de fonds et les valorisations des start up d’Euratech ?

A date, on est en ligne avec ce qu’on a fait en 2021. Fin novembre, nous avons fêté deux levées d’1 M€. Le retour des entrepreneurs est le même que celui du reste de l’écosystème : take the money. Prenez l’argent. Certains espéraient plus. On l’accepte ! Mais quand il y a des projets de qualité, l’argent est là.

Existe-t-il un chiffre sur la casse dans l’univers des start up ?

85% de survie au bout de cinq ans. C’est un chiffre qu’on doit remettre à jour suite au Covid. Quoi qu’il en soit, c’est un taux élevé qui se traduit à travers l’occupation de nos parcs. Mais il y a encore de la place. Si une start up à dimension technologique souhaite nous rejoindre, qu’elle n’hésite pas !

Quels liens entretenez-vous avec les autres pôles régionaux comme Eurasanté ?

On travaille de plus en plus ensemble. La Région nous a demandé de le faire. Ces dernières semaines, nous avons vraiment été dans une démarche de connaissance mutuelle des feuilles de route et de recherche d’adjacences pour être capables de construire ensemble et ne pas multiplier nos efforts. On a tous des contraintes de personnel, donc on veut être les plus efficients possibles par rapport à nos ressources humaines et financières.

Bio Express

45 ans, diplômée de l’ESCP

1999 : Chef de produit LU (Danone)

2004 : Chef de produit international Pernod Ricard

2008 : Fondatrice dirigeante de SolutionAppart

2014 : Directrice marketing de Webhelp

2019 : Dg de division de Comexposium

2022 : Dg puis présidente d’Euratechnologies 

Chiffres clés d'Euratech

150 000 m2 de campus répartis sur 4 sites

+500 M€ levés depuis 2009

+300 entreprises abritées pour +6500 salariés. 

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