Jean-Bernard Bayard, Pre?sident de la chambre dagriculture NPDC : La bio-e?conomie est une chance de redressement e?conomique, social et environnemental
Texte Julie Dumez /Photos Olivier Ducuing
Crise du lait, crise du porc, comment se porte lagriculture re?gionale ?
Cette crise e?tait pre?visible puisque larre?t des quotas a e?te? de?cide? il y a maintenant dix ans. Certains ont cru quon al- lait rester sur ce sche?ma connu. Or de- puis, les choses ont e?volue?. Certains disaient quon pouvait encore inverser la tendance pendant 4-5 ans puis les pays nordiques ont change? dorientation. Ils se sont mis en totale ade?quation avec le marche?. Si bien que nos voisins belges ont du lait paye? 250-260 la tonne. Nous sommes actuellement a? 310 et nous re?clamons 340 . Au nom de quoi pouvons nous de?terminer le prix du lait ? La de?cision politique de 340 , cest se moquer du monde ! On nest plus dans une e?conomie administre?e, alors dire quil faut e?tre en prise directe avec les marche?s... La me?thode de calcul quon a connue sur le prix du lait permettait de?viter les a?-coups. Ce?tait un outil de lis- sage dans une sorte de tunnel. Une fois que vous ne?tes plus dans cette gestion, le sche?ma nest plus adapte?.
Êtes-vous inquiet pour les producteurs de lait ?
Aujourdhui, nous sommes fortement concurrence?s par les Belges, les Allemands, les Danois sans compter le phe?nome?ne perturbateur de lembargo russe et une demande chinoise qui existe toujours mais dans des proportions plus faibles. Vous perdrez les producteurs laitiers au regard des conditions de travail et de la rentabilite?. Le secteur agricole a su sadapter en permanence. Les quotas laitiers ne sont pas la seule raison. Une politique contractuelle sur des desserts lacte?s est facile a? mettre en place.
Quelles solutions pouvez-vous apporter ?
Notre mission est daccompagner les agriculteurs dans les prises de de?cisions. Je suis tre?s inquiet pour le?levage dans notre re?gion. Dans les anne?es 80- 90, nous e?tions a? 50-50 entre productions ve?ge?tales et animales. La production animale ne repre?sente plus quun tiers. La situation de le?levage, tre?s complexe, de?passe le cadre du prix : il y a les conditions de travail, dacceptabilite? socie?tale, les contraintes auxquelles il faut ajouter la situation du marche?. Donc certains e?leveurs jettent le?ponge. Nous, Chambre dagriculture, demandons a? lEtat et a? de?faut aux Re?gions, de nous accompagner sur des audits de fond, qui de?passent le cadre de la pure rentabilite?. Si vous prenez la rentabilite? sur une ou deux anne?es, quelquun de de?moralise? tournera la page. En re?alisant une expertise approfondie conside?rant les terres, les conditions de travail, les de?- bouche?s, on trouvera peut-e?tre de nouvelles pistes de sortie pour ne pas tourner le dos a? le?levage. Chaque exploitant est responsable de son entreprise. A nous de les accompagner vers les meilleures de?cisions. Laide re?gionale est pertinente parce quune filie?re est une spirale. Si lamont de?croche, laval de?crochera et vice-versa. Sans cela, il ne restera plus de?levage.
Quid de le?levage porcin en re?gion ? Certains disent quil est trop tard pour retrouver une compe?titivite?...
Cest une question de dimension. Les outils de ces exploitations vieillissent tre?s vite. Et les projets de porcherie font face a? une leve?e de bouclier des populations orchestre?e par les politiques. Exemple concret : la porcherie industrielle dHeuringhem. Ceux qui nen veulent pas nous disent quil sagit dindustrie. Allons en Belgique, en Bretagne, aux Pays-Bas et on verra dautres projets bien plus grands. Mais on ne veut plus de cochons et apre?s on se?tonne de la situation. Cest scandaleux, dautant plus lorsque les politiques vous disent quil faut cre?er de la valeur ajoute?e et de lemploi, ou re?fute? par des associations dans leur bulle et non confronte?es a? la re?alite? e?conomique. Je prends les faits et jessaie dapporter des re?ponses pragmatiques et concre?tes. Or, la consommation de porc augmente dans la re?gion mais sa production baisse.
Lintensif est-il la solution pour un retour a? la compe?titivite? ?
Je ne sais pas ce que veut dire intensif, si ce nest que lorsquon emploie ce mot, on entend pollution. Je suis convaincu, nen de?plaise aux e?colos et aux associations, que notre responsabilite? est dessayer de produire plus et mieux. Nous savons le traduire puisque la quantite? dengrais utilise?e a re?duit dans la re?gion.
A titre personnel, je fais attention aux quantite?s dazote et dengrais applique?es. Je suis choque? lorsque des filie?res seffondrent et quon fait venir de le?tranger des produits ayant subi ce qui nous est interdit. Cest un choix politique. Je suis pour la responsabilisation des gens tant au niveau de la production, de la transformation que de la commercialisation. On doit e?tre capable de re?fle?chir collectivement a? la manie?re de ge?rer ces e?tapes. Cest avant tout une question culturelle. Quand vous avez tope? avec un Allemand, vous ne revenez pas sur ce qui a e?te? e?crit : ce nest pas toujours le cas chez nous. Il faut garder des agriculteurs, or toutes les de?cisions prises vont a? lencontre de cela. On fait de la de?magogie quand on voit la situation financie?re de certains secteurs.
Est-ce que « big is beautiful » ?
La taille des exploitations augmente depuis toujours en Nord-Pas-de- Calais. On a su un peu freiner les choses dans la re?gion pour maintenir des hommes et des femmes a? la te?te des exploitations. La taille moyenne est a? 64 hectares aujourdhui contre 60 auparavant. Cest relativement bas compare? a? la moyenne franc?aise. La porte de sortie a? laquelle je crois, cest un rapprochement entre colle?gues, une forme dagriculture associative. Pourquoi le?levage baisse? Prenons la ferme des 1000 vaches. Lan dernier une de?le?gation de Sue?de nous a demande? notre position. Elle ne comprenait pas le de?bat au regard de la pre?sence chez eux dexploitations bio de plus de 1 000 vaches, construites sur le me?me mode?le que celui de Ramery. Ce nest quune question culturelle.
Le renouvellement des ge?ne?rations est-il assure? ?
Lagriculture demande des capitaux. Certains diront que cest un sche?ma industriel qui de?pend des me?chants de lagro-fourniture, prisonnier de la grande distribution... Mais il y a un gros point dinterrogation sur linstallation. Il ne sagit pas dinstaller pour le plaisir mais davoir des gens qui se?panouissent sur le plan humain et professionnel. Lagriculture ne?chappe pas a? la re?gle : quand on sen sort bien, il y a de la reprise, sinon il y a un frein comme pour les commerc?ants. On na pas assez porte? la forme associative pour avoir des re?gles de fonctionnement identiques a? ce qui se pratique dans lindustrie et le commerce.
Le retour du circuit-court, le?mergence de fermes urbaines et verticales en ville annoncent-ils des changements ?
Il ny a plus de mode?les pre?de?finis avec des productions de?die?es a? lexport et dautres pour la proximite?. Nous sommes pluto?t en te?te sur le circuit-court avec notre belle marque Saveurs enOr qui a fait ses preuves. Penser que la grande exploitation ne fait pas de circuit- court est une erreur. Nous avons besoin des deux.
Que repre?sente le bio en re?gion ?
Pas grand chose. Le proble?me, qui e?volue, est que nous avons dabord vu un producteur bio avec en face un consommateur bio. Mais une filie?re se de?cline avec un marche?, des transformateurs... Cest exactement la me?me chose quen agriculture conventionnelle et la cle? si lon veut monter en puissance. Cultiver bio demande aussi de?tre ve?ritablement pointu. Me?me si les ayatollahs e?colos de la re?gion ne le comprenaient pas, nous avions pre?conise? quil fallait se servir de techniques du bio pour diminuer la consommation des intrants dans le conventionnel. Je de?plore que lagriculture ne soit aborde?e que sous langle des pesticides. Lorsque la me?nage?re nettoie son four avec un de?capant avant dy enfourner son poulet label de Licques, on oublie de dire quelle a dabord mis des pesticides dans son four.
Vous inscrivez-vous dans la Troisie?me Re?volution Industrielle ?
Nous y prenons part mais certains sont oppose?s a? la me?thanisation sans com- prendre que lagriculture peut participer. Nous avons 30 unite?s de me?thanisation dans la re?gion dont 11 dans le secteur agricole. On travaille main dans la main avec la CCI de re?gion, lorsquil sagit de linjection directe dans le re?seau, il existe 13 unite?s en France, 4 dans le Nord-Pas- de-Calais dont 2 agricoles. Cest une opportunite?. Lagriculture est au cur du sujet : on peut avoir un projet agricole comple?te? avec des industriels, amener les communaute?s de communes, dans une politique territoriale. Nous avons justement 20 projets dans les tiroirs. Mais lorsque vous parlez dun projet de me?thanisation, certains imaginent une centrale atomique ! Jentends les inter- rogations mais je ne comprends pas les peurs moyena?geuses.
La fusion avec la Picardie va-t-elle rebattre les cartes ?
Le?largissement est une chance phe?nome?nale. Nous avons e?norme?ment datouts avec de bonnes conditions climatiques, des axes de transit, de bonnes terres, des industries agroalimentaires, un bassin de population de 6 millions dhabitants, 80 millions dans un rayon de 300 kilome?tres, des instituts de formation, de la recherche... Pour des his- toires de nombrilisme on ga?cherait ces atouts. Il serait temps de se rapprocher du terrain et de regarder, sans dogme, lagriculture. La bio-e?conomie est une chance de redressement e?conomique, social et environnemental pour notre territoire.
Vous e?tiez le premier a? fusionner les chambres dagriculture de?partementales, serez-vous le premier a? cre?er une chambre a? le?chelle de la nouvelle re?gion ?
Non parce quil faut que lon soit daccord avec la totalite? des de?partements. Il y a trois chambres de?partementales et une chambre re?gionale en Picardie. On porte le projet dune seule chambre sur le territoire Nord-Picardie. Nous sommes en phase avec la Somme et lOise mais il y un blocage avec lAisne. Cela va nous obliger a? passer des conventions entre chambres pour travailler ensemble. Javais pourtant cru comprendre que le monde agricole demandait de la simplification : administrative, sur la PAC, dans les dossiers durbanisme... et la? on va alourdir le fonctionnement ! Cest notre seule responsabilite?. On sera tout de me?me oblige? de pre?senter au 1er janvier 2016 un budget re?gional mais dune coquille vide.
Les CCI subissent de plein fouet les pre?le?vements dEtat. Comment se porte financie?rement la chambre dagriculture re?gionale ?
Dans la mesure ou? nous avons e?volue? en fusionnant nos chambres de?partementales, nous avons eu moins de pre?le?vements que nos colle?gues. Je souligne aussi que nous avons un soutien tre?s fort des pre?fets et de la DRAAF, notre tutelle. Je?tais porteur dune seule chambre dagriculture en sachant que nous ne ferions pas de?conomie dans limme?diat mais dans un deuxie?me temps. Depuis 2011, nous avions gagne? en efficacité.
Ces articles peuvent également vous intéresser :
Le billet de Bruno Bonduelle : NO PASARÁN
Dimanche soir, 6 décembre. Stupéfaits, les citoyens de Nord-Picardie découvrent que les sondages avaient raison. Le Pen frôle les 40% ! Si rien ne change, elle aura la majorité des sièges.
Pierre Berthe, dirigeant de Proplast : « Savoir se remettre en question tous les jours »
Le PDG de Proplast explique à Eco121 les recettes de la croissance spectaculaire de son groupe depuis 1990.
Les entreprises familiales europe?ennes affichent confiance et capacite? dadaptation
Le 4e barome?tre KPMG des entreprises et groupes familiaux a e?te? publie? en septembre en partenariat avec le Mouvement des Entreprises de Taille Interme?diaire et le Family Business Network.