La filière betterave lance un SOS

Face à la crise sanitaire actuelle,  la filière réclame de pouvoir à nouveau utiliser, de façon dérogatoire, les semences enrobées de néonicotinoïdes Face à la crise sanitaire actuelle, la filière réclame de pouvoir à nouveau utiliser, de façon dérogatoire, les semences enrobées de néonicotinoïdes

La betterave a la jaunisse. Derrière la formule qui pourrait prêter à sourire, c'est toute une filière économique qui se dit menacée dans son existence si elle ne peut pas recourir aux néonicotinoïdes de façon dérogatoire pour se prémunir de la crise sanitaire. Des enjeux économiques considérables . 

Qui pourrait croire que la filière de la betterave, culture historique et majeure des Hauts-de-France, est menacée dans son existence même ? C'est pourtant bien le cri d'alarme -lancé à l'unisson par les exploitants et la Région, ainsi que les autres régions productrices, Grand Est, Ile-de-France et Normandie. Alors que les rendements en sucre croissaient très régulièrement, permettant de franchir depuis deux ans la fin des quotas sucriers, et que la culture semblait totalement sécurisée, un puceron vert sème la panique. Tout vient d'une décision prise à travers la loi biodiversité en 2016, mise en œuvre en 2018, d'interdire l'enrobage des semences par des néonicotinoïdes, molécules mises à l'index car supposées tuer les abeilles. La bonne intention louable se retourne aujourd'hui contre la France : le puceron vert résiste aux traitements aériens, et cause des dégâts considérables en inoculant la jaunisse à la betterave. Et ce alors même que la betterave est une plante sans fleur ni pollen, donc non mellifère, et donc jamais visitée par les abeilles. Résultat : la photosynthèse ne se produit plus, les rendements dégringolent, les betteraviers désespèrent. Sur la campagne actuelle, le rendement est déjà attendu en recul de 30%. Sur certaines exploitations, on parle de pertes de 80%. Pour la France, ce sont 600 000 à 800 000 tonnes de sucre en moins en perspective pour l'année. Si 2020 sera donc à l'évidence exécrable pour la filière, la question se pose surtout de son avenir. « Notre grosse inquiétude est le choix que devront arbitrer les agriculteurs sur les cultures à adopter dans leur exploitation. Beaucoup vont soit réduire les emblavements, soit arrêter la culture, car il n'est pas possible de mettre en danger le revenu de l'exploitation », décode Guillaume Gandon, président du syndicat des betteraviers de l'Aisne. D'autant que la France se trouve concurrencée une grosse douzaine de pays d'Europe qui, eux, ont obtenu une dérogation pour l'usage des fameux « néoni ». Les professionnels et les collectivités en appellent aussi à cette dérogation urgente pour la France, pour sécuriser les agriculteurs qui feront leurs choix de cultures dans les prochaines semaines. Ils sont 12 500 dans la région à produire, soit 20 millions de tonnes l'an dernier, la moitié de la production nationale, pour une valeur de 450 M€ environ.

 

La vie économique de 35 000 salariés dans la balance

Avec les sucreries (dont 9 sur 21 sont dans notre région), la logistique, c'est une économie de la betterave qui emploie 35 000 personnes qui se trouve ébranlée dans ses fondations. « Nous sommes en état de crise sanitaire. Il faut qu'on soit logés à la même enseigne que tous les pays producteurs de betteraves, or 14 sur 19 ont la dérogation », clame Franck Sander, président de la confédération générale des planteurs de betteraves.

70 à 80% des parcelles seraient touchées en Picardie, le puceron gagne le Nord de la France et ses dommages sur la campagne 2020 ne sont pas encore connus. L'urgence désormais est d'obtenir la dérogation temporaire sur l'usage des néonicotinoïdes. « La filière est en danger à court terme », résume Marie-Sophie Lesne, vice-présidente à l'agriculture de la Région Hauts-de-France. «Laissez le temps au temps pour trouver des alternatives. Mais le temps de la recherche n'est pas celui de l'agronomie. Je suis très inquiète de voir toute une filière mise à néant », s'alarme Clotile Eudier, son homologue de la Région Normandie, productrice de betteraves elle-même, qui réclame avec force la dérogation.

 

 "On a la solution, il faut juste le courage politique"

 

« Le monde agricole n'est pas fermé. La filière porte un projet de recherche variétale (Modify) avec un semencier, les collectivités sont à nos côtés pour aller plus vite. Mais qu'est-ce qu'on peut faire à ce stade ? Aujourd'hui, on est face à une impasse», déplore Franck Sander, qui conclut : « On a la solution, il faut juste le courage politique ». La réponse de l'Etat est donc attendue avec une impatience extrême. Devant l'Assemblée nationale, le ministre de l'agriculture a déclaré qu'il ne laisserait jamais tomber la filière. La pression est forte. « Si l'Etat ne fait rien pour contrecarrer cette crise violente, on pourra parler de démantèlement volontaire », assène Guillaume Gandon, du côté des betteraviers. Le temps est compté. Deux à trois semaines, pas davantage avant que les agriculteurs ne prennent leurs décisions de plantation pour la campagne future. Et pour le devenir de 10% de la surface agricole utile régionale et des sucreries en aval.