La mobilité de demain se prépare dans la région

Quand un territoire compte trois filières automobile, ferroviaire et aérienne sur son sol, avec une densité urbaine hors norme, sa légitimité pour tracer la route des transports durables ne fait pas débat. La matière grise s'agite en région pour inventer la mobilité du futur aussi bien dans le champ public que dans le privé, sur fond de décarbonation accélérée.

Vélos à assistance électrique, trottinettes, petits véhicules de micro-mobilité, voitures électriques... Ce qui faisait encore tourner la tête il y a cinq ans seulement est devenu parfaitement banal. La révolution de la mobilité durable est déjà bien engagée dans nos villes. La crise sanitaire, qui a fait fuir la population des transports publics, a même accéléré le mouvement. Avec un retour en force du bon vieux biclou, électrique ou pas. «On a constaté une hausse de 30% de la pratique du vélo. c'est du jamais vu, car dans les mobilités il existe toujours une certaine inertie », s'exclame Mathieu Chassignet, expert à l'Adème, ingénieur mobilité et qualité de l'air. Les ventes ont littéralement explosé en France pour dépasser par exemple les 500 000 vélos à assistance électrique (VAE) en 2020.

Mais la trottinette électrique leur est passée devant avec 640 000 unités vendues l'an dernier ! Intérêt collatéral : de nouveaux publics sont venus au vélo avec le VAE, féminin à près de 60%, plus âgé (au-delà de 50 ans en moyenne), et pour des distances plus grandes. Un VAE effectue en moyenne 7 km par jour contre 3 à 4 km pour un vélo ordinaire. Autre impact positif : « Il y a un effet « l'essayer, c'est l'adopter ». Une fois que les gens ont testé le trajet, ils continuent dans le temps », se réjouit Mathieu Chassignet. La crise a donné un puissant coup d'accélérateur aux évolutions normalement lentes vers le durable. Pas seulement dans les grandes métropoles, mais jusqu'aux intercommunalités rurales, souligne-t-on à l'Adème, qui promeut des projets mariant déplacement quotidien et outil touristique.

« On a énormément d'effervescence autour du sujet « sustainable » (durable, ndlr), pas seulement sur les start up, mais aussi les équipementiers et nos prestations core business, qui nous a poussés à des collaborations qu'on n'avait jamais eues », se réjouit de son côté Florence Sanson, dirigeante de Carstudio, filiale innovation du groupe nordiste Mobivia (22 000 salariés, 260 points de vente, chiffre d'affaires de 2,9 milliards d'euros). 

Toutes les mobilités sont dans le vortex de l'innovation. Jusqu'au fauteuil roulant capables de s'adapter aux obstacles, aux équipements de « glisse urbaine », à la combustion hydrogène pour les bus aujourd'hui et les avions demain, en passant par les voitures mais aussi les trains autonomes, le transport de colis par drône promis demain le long des autoroutes, les chaussées connectées et intelligentes ...

« On est bien sur une tendance de fond de nouvelles pratiques », confirme Stéphane Meuric, directeur du nouveau pôle des mobilités durables Transalley, à Valenciennes.
L'automobile électrique, parée de toutes les vertus dans le débat public en dépit de nombreuses
questions à la fois de modèle économique et de bilan carbone réel, devient un enjeu industriel majeur : Stellantis a tiré le premier avec son usine de batteries en projet à Douvrin, prenant la place symbolique et réelle de la Française de mécanique, spécialiste du moteur thermique. Renault prend la suite en implantant son pôle électrique mondial dans notre région.

Ecosystèmes vertueux

Toutes les lignes de paysage se redessinent en même temps, à la croisée de l'innovation technologique et des usages. D'où la nécessité de créer de véritables écosystèmes vertueux. Le premier s'épanouit enfin après dix années de gestation. Né sur le campus universitaire de Valenciennes, le pôle d'excellence sur la mobilité durable Transalley monte en régime et en ambitions. Le 2 juillet, une piste d'essais ultra-connectée de 850 mètres linéaires, Gyrovia, devait y être inaugurée, au terme de 3 M€ d'investissement de Valenciennes Métropole. Objectif : simuler un environnement urbain pour tester tous types de flux de circulation, intégrant piéton, personnes en fauteuil roulant, voitures, autonomes ou non, équipements de micro-mobilité électrique ou non...

Il s'agit tout à la fois de décoder une complexité croissante des flux et des mobilités, mais aussi de générer une dynamique entrepreneuriale, similaire à celles d'Eurasanté ou d'Euratechnologies. Déjà les premières entreprises innovantes sortent leurs solutions de retrofit électrique de voitures thermiques (Phoenix Mobility), de location par les entreprises de flottes de petit électrique (Plume), par exemple.

Move factory

Chez Mobivia, leader de la réparation automobile et de la mobilité, le sujet est tout aussi majeur. Il s'inscrit d'ailleurs en filigrane du futur siège du groupe de réparation automobile et de mobilité à Villeneuve d'Ascq, qui doit ouvrir à l'été 2022. Avec une philosophie très affirmée d'open innovation, pour « ouvrir la mobilité durable à tous », la raison d'être du groupe. Avec pour traduction la construction d'une « move factory » autrement dit un écosystème expert de la mobilité, flanqué d'une communauté digitale. De quoi permettre à toute la dynamique d'innovation interne comme externe, avec plusieurs participations dans des start up prometteuses, de se déployer pleinement.

La technologie va sans nul doute opérer encore des progrès majeurs... et quelques fiascos. On se souvient de l'expérience ratée des navettes autonomes de la MEL sur le campus scientifique ou du projet jamais abouti de péage positif pour des raisons administratives. Mais le cœur de cible dans l'univers de la mobilité est l'évolution des comportements.

Or ceux-ci ne sont pas toujours aussi vertueux qu'on le croit. La distance domicile-travail augmente en moyenne d'un kilomètre tous les dix ans. « L'éloignement est une tendance lourde. On fait aujourd'hui quatre déplacements par jour en moyenne comme il y a 50 ans, mais des déplacements de plus en plus longs », pointe Mathieu Chassignet, de l'Adème. Les zones à faible émission (ZFE), que déploient de plus en plus de métropoles, visent à chasser les véhicules les plus polluants des centres villes. Et plus largement à vider les centres des voitures. Mais avec un risque social et politique non négligeable, celui de créer de nouvelles ségrégations voire de réveiller une nouvelle forme de gilets jaunes, fut-ce pour d'excellentes raisons. L'enfer est pavé de bonnes intentions.

Le sud Somme veut faire rouler ses bus à l'hydrogène vert 

La Communauté de communes Somme Sud-Ouest (CC2SO) compte alimenter les véhicules de transport scolaire avec de l'hydrogène issu de sources renouvelables. Et d'en devenir un pôle de référence.

Il n’y a pas que les territoires urbains denses, tels que l'Artois, Versailles ou Pau, à s’intéresser aux transports à l’hydrogène. Les zones rurales aussi, à l’image de la Communauté de communes Somme Sud-Ouest (CC2SO) qui nourrit depuis deux ans un projet ambitieux. Son projet ? Transformer la cinquantaine de bus scolaires de la zone en véhicules verts, les camions de ramassage des ordures ménagères, les tracteurs et même des poids lourds travaillant sur les zones logistiques voisines, le géant JJA par exemple. Pour produire la précieuse molécule, la collectivité aux 40 000 habitants, répartis sur 119 communes, s’appuie sur des ressources locales : des méthaniseurs produisant du biogaz à partir de déchets agricoles, mais surtout les plus de 200 éoliennes installées dans son périmètre. Une fois reliées à un électrolyseur, ces machines pourront exploiter « l’excédent » d’électricité non injecté dans le réseau pour produire quelque 400 kg par jour d’hydrogène en 2023. « L’objectif étant de dépasser la tonne d’ici 2030 », selon Alain Desfosses, président de la communauté de communes. De quoi alimenter l’ensemble du Grand Amiénois, qui deviendrait ainsi l’un des territoires les plus en pointe sur cette technologie. Ce changement d’échelle permettrait en outre de diminuer les coûts, l'installation d’un électrolyseur avoisinant actuellement les 700 K€.

Bien que très prometteuse, cette technologie hydrogène reste perfectible, les coûts de production étant élevés et les rendements insuffisants. Pour garantir l’équilibre économique, la collectivité bénéfice du soutien de la Région, du département, du Grand Amiénois, mais aussi de l’Ademe. Le projet est emblématique de l’impulsion que le gouvernement veut insuffler à cette technologie en France. Annoncé en septembre 2020, le plan Hydrogène doit mobiliser 7 mds € sur dix ans, dont une part pour le rural via l’appel à projets « Écosystèmes territoriaux hydrogène» de l’Ademe, auquel la CC2SO a candidaté. Pour ce territoire rural, l’enjeu est d'importance : en devenant une référence dans le domaine, il espère pouvoir attirer de nouvelles entreprises et start-up spécialisées. Une pépinière d’entreprise (de près de 4 M€ d'investissement) est d’ailleurs prévue pour accueillir les premiers porteurs de projet en 2023.