La région veut doper ses pépites

Attention, la région risque de prendre quelques « G » dans les reins. Ca accélère à tour de bras! Une véritable course de vitesse à donner le tournis depuis surtout trois ans. Bpifrance, Euratechnologies, Alacrité France, Eurasanté, le Pôle numérique régional, l'association familiale Mulliez, le Crédit Agricole et ses Villages by CA, l’IRD et son programme CoBoost, Tektos à Calais... Tous se lancent.

L’objectif affiché est limpide : générer des champions régionaux, le plus vite possible. L’incubation à l’ancienne permet juste d’accompagner des entreprises en création. L’accélération se veut un moment de soutien très intense propre à faire passer plusieurs échelons d’un coup à une entreprise, par une mobilisation à 360 degrés : ressources humaines, finances, business, international, mise en réseau.... «C’est une période courte qu’on veut intense, pour donner accès à l’écosystème, booster le business en facilitant l’accès aux ressources expertes de nos partenaires, y compris technologiques», expose Thierry Lebrun, directeur du Village by CA Nord de France, implanté au coeur d’Euratechnologies depuis janvier 2016, avec déjà 29 start-up au compteur. Parmi les 20 partenaires (bientôt 25) : IBM, OVH, Philips, NEC, Bonduelle, EDF, Rabot Dutilleul. Car la nouveauté est bien là : la puissance innovatrice et «disruptive» des start-up est devenue un enjeu stratégique pour les grands groupes privés.

 

 

12 coups de gong

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le 7 septembre, dans l’atrium d’Euratechnologies, une étrange cérémonie se déroule. Manuel Davy, fondateur de Vekia, brandit un battant pour faire retentir un gong. Onze autres personnes lui succèderont : depuis des années, Euratechnologies a institué cette tradition. Pour chaque levée d’1M€ d’une des sociétés du temple du numérique régional, un coup de gong. Or Vekia vient de finaliser une levée de 12 M€ auprès de Serena Capital et Bpifrance, accompagnée par les anciens actionnaires ZTP (fonds lié à l’AFM), Caphorn Invest et Pléïade Venture. Finorpa profite de l’opération pour réaliser une très belle sortie. «Ca a été de la sueur, des doutes, mais aussi de la passion et de l’enthousiasme», note Manuel Davy, qui souligne la force de l’accompagnement d’Euratech. Née en 2009, la société spécialisée dans la prédiction des flux par l’intelligence artificielle a failli mordre la poussière deux fois. Accélérée par le programme Scale d’Euratech, elle débute une nouvelle vie de championne. «Il faut qu’on ait des Vekia plus vite. Mais ce qui est positif est que ce n’est pas l’arbre qui cache la forêt. On a 30 ou 40 projets dans le portfolio», se félicite Raouti Chehih, directeur d’Euratech, qui voit d’un très bon oeil la soudaine profusion des accélérateurs. «Ils mettent des watts!»

 

Raccourcir l’espace temps

 

L’intérêt des groupes privés ne se dément pas pour ces pépites, qui seront peut être à l’origine des nouveaux modèles économiques. La galaxie de la famille Mulliez l’a bien compris. Le fonds d’investissement ZTP, constitué il y a 18 mois, associe l’AFM et plusieurs entrepreneurs privés dont Sébastien Zecchini (ex AFG notamment). «L’ambition majeure est d’accélérer l’innovation au sein des entreprises AFM. On connecte les start up à notre écosystème et on raccourcit ainsi l’espace temps entre elles et les grands comptes», explique-t-il. En 18 mois, ZTP a généré une centaine de collaborations directes et a déjà pris 14 participations (de 0,3 à 1 M€), dont trois à Lille. La structure a aussi une activité de start up studio autour de sujets très stratégiques identifiés, en recrutant un porteur, sur le même modèle qu’Alacrité (lire par ailleurs), implanté au coeur d’ Euralille par le magnat du numérique Sir Terry Mattews.

 

32 Villages by CA fin 2018

 

Si les initiatives se multiplient, le mouvement n’est qu’à ses débuts. La banque verte déploie aujourd’hui le concept de Village by CA partout en France, avec un objectif de 32 villages en 2018. De quoi construire le fameux écosystème au coeur de tout accélérateur. «Plus on a de partenaires et de start up, mieux ça marche !», défend Thierry Lebrun, qui vise le rythme de croisière d’une soixantaine de start-up accompagnées à Lille. 

 

[caption id="attachment_35175" align="alignleft" width="400"] Ci contre les premières équipes du Village by CA de Lille[/caption]

De quoi surmonter la traditionnelle humilité des gens du Nord face à des usines à jeunes pousses qui prolifèrent en Californie ou à Paris, telles le studio F de Xavier Niel ? Ce dernier a injecté pas moins de 250 M€ dans cette plateforme immense, qui se prétend le plus grand campus de start-up au monde, capable d’héberger un millier de projets. Lyon a développé son propre accélérateur, il en existe dans l’Ouest, à Toulouse...

V-Cult, start-up spécialisée dans l’expérience immersive en 3D «pour sublimer le storytelling des marques», a bénéficié d’un accélérateur de la Silicon Valley, Boost VC, porté par le fonds familial Draper. Soit un programme de trois mois avec deux collaborateurs, avec un accès à tout le réseau d’experts associé... et un logement fourni. « Un soir, Elon Musk est passé au bureau», s’amuse Tom Gauthier, qui a ouvert une antenne à San Francisco. Mais qui met en garde sur les fantasmes sur les Etats-Unis. «C’est plus compliqué de lever de l’argent aujourd’hui car tous les talents du monde viennent là bas, et c’est devenu beaucoup plus compétitif. On n’a pas à rougir de l’écsystème français». V-Cult a d'ailleurs mené à bien une levée de fonds à Lille auprès de plusieurs investisseurs dont le fonds Sparkling Partners de Martin Toulemonde.

 

Et demain?

 

Le flux des levées de fonds est le signe de maturité de la filière. Mais Fabrice Galloo, directeur du Pôle Numérique Régional – en cours de fusion avec la Frenchtech, est persuadé qu’on peut aller plus vite et plus loin, avec un nouvel accélérateur régional de grande envergure, associant les entrepreneurs privés de la région (lire ci- contre). «Les clusters ne créent pas ou peu de champions», souligne-t-il. Début septembre, il réunissait près de 80 personnes au Kipstadium de Tourcoing pour dévoiler les grandes lignes de son projet. A savoir la création d'un accélérateur généraliste, ouvert aussi bien aux start up qu’aux Pme ou aux business units d’ETI, adossé à un fonds d’investissement. D'autres régions ont déjà ouvert la voie, comme Axeleo à Lyon, adossé à des poids lourds comme Michelin ou Vinci, ou ADN Booster, à Nantes, ou encore West Web Valley en Bretagne. «L'idée est que les investisseurs des Hauts-de-France puissent investir dans des entreprises des Hauts-de-France», poursuit Fabrice Galloo.

 

Buzzword et mot valise

 

Si la dynamique générale de l'accélération paraît puissante et vertueuse, il faut aussi se garder de l'effet de mode. «Accélérateur est devenu un mot valise, un «buzzword», pour montrer son attachement à l'innovation. Ca plaît aux analystes», décode sans fard Etienne Vervaecke, patron d'Eurasanté, qui pointe des réalités fort différentes sous la même sémantique. L'entrée au capital est le point clé de l'accélération. Même si celle-ci concerne très majoritairement l'univers du numérique, Eurasanté a choisi de se lancer à son tour, mais sans sortir d'argent frais.

 

Ses avances remboursables peuvent désormais être transformées en prise de participation, contre un accompagnement beaucoup plus intense, avec un comité d'engagement de haut vol associant aux administrateurs d'Eurasanté des représentants du CHRU, de Lille2, de Finorpa et Picardie Investissement, mais aussi des chefs d'entreprise, comme François Cousin, ou le patron de Macopharma. Un premier train de trois entreprises, U Exist (orthopédie), Vaxinano (vaccination par voie nasale) et Autonomad Mobility (pour les personnes à mobilité réduite) vient d'inaugurer la formule encore expérimentale.

«De plus en plus d'accélérateurs se créent, mais pour l'essentiel, ils s'adressent aux sociétés de haute technologie. Pourquoi ne pas donner ces mêmes moyens d'accompagnement à des sociétés de secteur plus traditionnel, dont certaines ont un grand potentiel de développement ?», lance Thierry Dujardin, directeur général adjoint du groupe IRD. Ce dernier a ainsi lancé en septembre 2016 son propre outil, Co-Boost, avec une équipe de quatre personnes dédiées, des partenaires associés (les conseillers du commerce extérieur, Pramex, Centrale, Skema, notamment, et une première sélection de cinq entreprises (Th Leman, Gaz Services, Tea Together, Modular Space et Cooptalis). La phase test s'avère prometteuse, Cooptalis connaissant notamment une expansion impressionnante : créée il y a 36 mois, la société d'Olivier Desurmont spécialiste de la mobilité internationale des cadres compte déjà 300 salariés.

Comme dans tout nouveau marché, il y a fort à parier que tous les acteurs de l'accélération ne survivront pas à l'effet de mode et qu'un « nettoyage » naturel va s'opérer entre eux. Mais en parallèle, on peut aussi se prêter à rêver que les pépites telles que Vekia, Cooptalis ou V-Cult se multiplient pour le plus grand bénéfice de la région. Réponse dans quelques années !

OD

 

[caption id="attachment_35170" align="alignleft" width="400"] Fabrice Galloo présentant son projet d'accélérateur à Kipstadium courant septembre[/caption]

 

FABRICE GALLOO 

Directeur général du Pôle Numérique Régional 

"ON EST EN RETARD PAR RAPPORT A D'AUTRES REGIONS"

 

 

Vous portez le projet d'un nouvel accélérateur régional. Est-ce bien nécessaire devant la profusion des outils ?

Le projet ProductivIT se positionne comme un accélérateur d'entreprises classiques. Il s'agit de reporter le challenge de la digitalisation des entreprises du business classique. Le digital en France représente 3% du PIB. Au sein de ce volume, seuls 3% sont des start up. Et dans ces start up, seulement 3% vont devenir des licornes. Moi je m'adresse aux 97% du PIB qui doivent digitaliser. Les start up ne représenteront que 20% de notre cible.

 

D'autres régions se sont doté d'accélérateurs, Axeleo à Lyon ou ADN Booster à Nantes... Comment voyez-vous ce mouvement ?

Oui, on est en retard par rapport à d'autres régions. En Bretagne ou à Lyon, le projet est parti du cluster. Lyon a déjà investi dans une vingtaine de start up. L'idée de fabriquer ensemble de l'accélération, c'est bien la logique de chasser en meute et que nos entreprises restent françaises. En 2016, les 20 plus grosses levées de fonds ont été faites avec des capitaux étrangers. L'accélérateur Hauts-de-France a vocation a accroître la compétitivité de notre région. Il pourra se décliner ensuite sur la France entière, il y a matière à franchiser. Rien n'empêche d'ailleurs tous les entrepreneurs des clusters de France de s'associer pour construire un fonds et lutter contre l'échappée des plus belles start up vers l'étranger. Tous les clusters numériques sont à la recherche de leur suite logique, qui est un accélérateur privé.

 

Pourquoi ce projet privé alors que le pôle numérique a une forme associative ?
Les clusters créent peu ou pas de champions. OVH est très peu passé par le cluster, il s'est fait tout seul. L'accélérateur est un projet d'entrepreneurs et pour les entrepreneurs, suivi d'un fonds d'investissement. On n'est plus dans l'associatif. 

L' écosystème régional nous permettra de trouver 100 consultants free lance et mentors en capacité d'accompagner. Mais nous rechercherons le soutien public pour nos clients. On peut imaginer par exemple que la région aide l'entreprise accélérée, car c'est une économie qu'on va conserver sur le territoire des Hauts-de-France. La principale faille des TPE ou des start up est de ne pas avoir les moyens des grands, nous construirons donc un advisory board, qui se réunira tous les trois mois, qui sera bienveillant, et qui sera rémunéré.

L'objectif est de démarrer en 2018 pour accélérer 5 à 20 clients, et le fonds fin 2019.

Recueilli par Olivier Ducuing

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