L'apiculture régionale se cherche un avenir

Néonicotinoïdes, frelon asiatique, biodiversité en berne, nouvelle vie de l’ancien ministre Montebourg... Pas une semaine sans que l'avenir des abeilles ne fasse couler l'encre des médias. Avec des enjeux énormes : la FAO (agence de l'ONU pour l'alimentation et l'agriculture) considère que l'apport des insectes pollinisateurs représente l'équivalent de 153 milliards de dollars.

Et dans les Hauts-de-France ? Même si l'année 2018 s'avère « exceptionnelle » en production, selon l'Association des apiculteurs APPNP, le constat de fond n'est pas brillant. Dans une région de grandes cultures comme la nôtre, qui offrent une ressource alimentaire limitée dans le temps aux abeilles, difficile de parler de “filière” pour l'apiculture. Notre région de 6 millions d'habitants n'affiche que ... 30 apiculteurs professionnels, totalisant au moins 200 ruches. Seuls deux disposent de plus de 500 ruches. En intégrant les apiculteurs de loisirs, ils sont 2142 à élever des ruches dans la région, à peine plus que la Normandie, lanterne rouge française. Mais six fois moins qu'en Rhône-Alpe Auvergne, par exemple. La région abrite également deux start-up, Hostabee, qui connecte les ruches et BeeCity, qui les loue en entreprises (voir p.20-21). Quentin Bellon, diplômé de l’Edhec, vient aussi de lancer une start-up similaire, Cheptel, mais basée à Orléans.

Saveurs picardes

Jean-François Villaire, à Chavignon (Aisne), est l'un des plus gros acteurs de la région avec ses 800 ruches. Fier d'être la 4e génération d'apiculteurs de sa famille, ce comptable de formation est un “transhumant” : impossible sans cela de proposer du miel d'appellation, le must du métier, qui permet de hisser la qualité et donc les prix.Il véhicule ses petites protégées dans 15 départements au gré des « miellées », jusqu'en Haute Provence, pour aller chercher les floraisons massives de robiniers faux acacia, de châtaigniers ou de lavande. Il vend à 80% dans un réseau de petits magasins grâce à une structure collective, la SAS Saveurs picardes, qui rassemble 42 producteurs (dont quatre apiculteurs) et la chambre d'agriculture. La société a été constituée à l'époque pour offrir à Center Parcs qui s'installait dans l'Aisne des produits locaux. « Cela permet aux producteurs d'écouler leur marchandise sans se soucier de la commercialisation », se félicite l'apiculteur, membre du conseil de direction. La société vend aujourd'hui pas moins de 350 produits pour un chiffre d'affaires d'1 M€. L'Axonais commercialise en outre en nom propre du matériel apicole sous le nom « le Complexe apicole ».

Bien que très modeste, l'univers de l'apiculture régionale n'est pas homogène, et les actions « collectives » ne le sont pas toujours autant qu'espéré. Les professionnels voient plutôt d'un mauvais œil l'engouement des particuliers. « Il faut être bon techniquement pour s'en sortir. Beaucoup de gens ne changent pas les reines, ne font pas les interventions nécessaires, traitent mal le varroa, avec de la poudre de perlimpinpin... », déplore Grégory Dussenne, détaché par la chambre d'agriculture du Nord - Pas-de-Calais à l'animation de l'association Apiculteurs Professionnels en pays du Nord-Picardie (APPNP), qui accompagne les apiculteurs en place et les nouvelles installations (2 à 3 par an sur toute la région). Conséquence, des mortalités considérables de colonies chez les particuliers, qui attribuent souvent aux seuls pesticides leurs déconvenues en méconnaissant trop la menace du varroa. « C'est difficile de rassembler tous les apiculteurs. On est un des rares métiers où on est professionnels avec un numéro Siret avec une seule ruche ! Pour moi, il faut un minimum de 450 ruches pour vivre, sinon il faut un autre métier. Nous sommes 2300 apiculteurs professionnels en France, je pense que quelques centaines suffiraient !», n'hésite pas à clamer Jean-François Villaire. “Quand on voit ce qu’on importe, il y a de la place pour beaucoup de monde. Et c’est intéressant pour des jeunes car il n’y a pas beaucoup de foncier”, rétorque Hélène Fiers, apicultrice sur le littoral. Mais l'apiculture de jadis, où nombre de fermes et de maisons de campagne avaient leur ruche et leur miel sans guère s'en occuper, est révolue. Les nouvelles menaces nombreuses pesant sur l'abeille rendent aujourd'hui son élevage particulièrement délicat et technique. 

Potentiel important

Néanmoins la profession juge le potentiel de la région important. Non seulement les rendements y sont plutôt élevés mais elle dispose aussi d’un miel de tilleul de grande qualité, il est d’ailleurs en attente de reconnaissance d’une IGP (Indication géographique protégée).

En revanche, c'est au tour des entreprises de se découvrir un intérêt apicole. ArcelorMittal a implanté des ruches dans son périmètre depuis une dizaine d'années. Paprec Recyclage Nord, Nord'imprim, à Steenvorde, pour n'en citer que quelques-unes, ont leurs ruches. Et la start up BeeCity (voir ci-contre) en a fait son cœur d'activité. « C'est du green washing ! C'est du business. Pour la profession, ce n'est pas de l'apiculture », tacle Grégory Dussenne, de l'APPNP. Tout en reconnaissant quand même à cette initiative la sensibilisation aux problématiques de l'abeille. 

Car au-delà des inévitables querelles de clochers bien gauloises, la chute terrible de la biodiversité régionale mérite qu'on s'y penche d'urgence. Les entreprises pourraient jouer un rôle très bénéfique dans ce domaine. Fauches tardives, friches fleuries, plantations de vergers, les mesures à adopter sont très simples et vraiment peu coûteuses. « L'abeille est un point de départ pour la nature et la biodiversité », lance Sylvain Breuvart, de BeeCity. Chiche ?

 

Hostabee met des puces dans les ruches

Hygrométrie, température, géolocalisation. Avec ces trois paramètres, la jeune start up saint-quentinoise Hostabee créée en 2015 par Maxime Mularz, permet à un apiculteur de contrôler à distance ses ruches. « Notre capteur est capable de dire s'il y a une rentrée de miel ou pas. Il y a un microclimat dans la ruche car les abeilles régulent la température et l'humidité. Quand on a 33 degrés sur les côtés, on sait que la ruche est pleine. On sait aussi quand la reine arrête sa ponte ou la reprend ».

De quoi séduire les 2300 apiculteurs français et leurs 1,2 million de ruches? Les débuts ont pourtant été difficiles : crainte des ondes magnétiques sur les abeilles, rejet du numérique dans une activité traditionnelle, réticences de principe, on a même pu traiter Hostabee de « fossoyeur » de l'apiculture. Trois ans après, le débat s'est calmé.

L'entreprise a équipé plus de 1000 ruches de son dispositifB-Keep, qui ne remplace pas l'apiculteur mais se présente comme un outil d'aide à la décision. « La ruche connectée permet de savoir si une ruche est en disette, et de détecter des troubles », vante Jean-François Villaire, apiculteur de l'Aisne, très satisfait de son modeste investissement.

Un voleur de ruches interpellé

A ce jour, aucune ruche équipée n'aurait vu d'effondrement de colonies, aux dires de Maxime Mularz. Le système dans les ruches a même permis d'interpeler un voleur de ruches dans l'Aube. Le boîtier connecté - qui coûte 96 €/an, abonnement inclus-trouve désormais preneur hors des frontières. La société en a livré en Turquie, en Tunisie, en Autriche, au Royaume-Uni, parmi d'autres. Elle travaille aujourd'hui à optimiser l'interface, pour la saison prochaine, avec édition de graphiques automatisés. Sur les vingt start up dans le monde qui travaillent sur la ruche connectée, dix neuf se concentrent sur le poids de la ruche. Mais cela suppose des équipements coûteux. Maxime Mularz persiste et signe dans son approche différenciante, qui pourrait être complétée par des outils de comptage des abeilles, voire des varroas.