Laury Ducombs et Yvonne Tassou, Urssaf : "Tôt ou tard, il faudra payer !"

Bientôt 18 mois après le début de la crise sanitaire et des aides d'exception pour sauver l'économie, il nous est apparu pertinent de rencontrer l'Urssaf Nord-Pas-de-Calais, dont les cotisations sociales ont fait l'objet de reports massifs.Comment sort-on de cette phase exceptionnelle ? Comment gérer les effets d'aubaine et la lutte contre la fraude ? Rencontre avec le directeur de l'Urssaf Nord-Pas-de-Calais Laury Ducombs et sa présidente Yvonne Tassou.

 

Voilà plus d'un an que l'Etat a gelé les dettes sociales et fiscales. Les Urssaf n'assignent plus les mauvais payeurs devant le tribunal de commerce. Quand le système sera-t-il remis en route ?

Laury Ducombs. Effectivement, depuis mars 2020, nous avons autorisé les reports de cotisation, mis en place en quelques jours, et nous n'avons pas de politique de recouvrement forcé. Ces reports sont massifs, on est monté jusqu'à 1,3 md € dans les Hauts-de-France. Au 31 mai, on est à 622 M€ de non-paiements de cotisations. Cela veut dire que les entreprises qui pouvaient payer l'ont fait, que la relation de confiance qu'on a essayé d'introduire avec les entreprises a fonctionné. C'est aussi grâce auxPGE.

Est-ce comparable aux autres régions ?

On est dans les mêmes eaux, mais un peu mieux classés. A fin mai, le taux d'impayés s'élève sur les Hauts-de-France à 3,2% ; pour la France entière, c'est 3,8%. Ce n'est pas l'épaisseur du trait. En temps normal, on devrait être en-dessous de 1%. Et vous avez 31% d'entreprises débitrices, qui doivent des cotisations à l'Urssaf, contre
31,6% pour la France entière. Ce n'est pas une petite crise qui ne touche que les restaurateurs.

Quand allez-vous reprendre les recouvrements forcés ?

A l'heure actuelle, on ne fait même pas de relance amiable ou forcée, seulement des communications chaque mois sur les possibilités de report. On ne reprendra pas tout de suite, hors lutte contre le travail illégal et des points précis.

Yvonne Tassou. Mais on prévient les entreprises. On leur dit que de toute façon, tôt ou tard, il faudra payer.

LD. On essaie de poursuivre notre posture d'accompagnement des entrepreneurs. Clairement, on n'est pas sur de l'effacement de dette. Depuis février, on envoie des propositions d'échéanciers, environ 20 000 déjà. On va au-devant d'eux, en fonction de leur dette, sur des durées variables, de 3 à 24 mois, et on leur demande leur accord.Ils ont un mois pour répondre. Sur leur compte en ligne, ils peuvent simuler des échéanciers. Dans 14% des cas, les entreprises ont décidé de payer tout de suite, car leur trésorerie le permettait. D'autres disent que ce n'est pas possible, d'autres demandent 12 mois au lieu de six... On peut pousser les durées de remboursement jusqu'à 36 mois.

Donc plus de la moitié des impayés a déjà été résorbée, mais ne va-t- on pas vers les dossiers les plus  difficiles maintenant ?

En effet, on peut penser que ceux qui restent sont ceux qui ont eu le plus à souffrir de la crise. Mais on met en place cet échéancier quand ils le peuvent et on module la durée de remboursement sur les possibilités financières ; quand on rend possible un remboursement sur trois ans, on peut penser que la croissance économique va favoriser les choses. Le choc conjoncturel a duré plus d'un an, l'idée est qu'il ne se transforme pas en choc structurel. Si on prend le cas des restaurants qui rouvrent, ils vont dans les prochaines semaines et mois se refaire de la trésorerie.

YT. Il y a une vraie volonté d'accompagnement de l'Urssaf sur les retards des cotisations, mais on reste vigilants en même temps sur les cotisations courantes. Il ne s'agit pas non plus que les difficultés augmentent par le non-paiement des charges habituelles. Car ces charges, c'est aussi tout notre système social.

Comment les Urssaf se financent-elles avec de tels reports ?

LD. Les délais de paiement pour les entreprises, ce n'est pas nouveau pour les Urssaf. On était sur 20 000 délais de paiements traités en Hauts-de-France en 2019. Plus de 80% des demandes de délais sont acceptées en temps normal.

L'Urssaf Nord-Pas-de-Calais, ce sont 650 personnes qui, du jour au lendemain,ont  été mises en télétravail. Et les cotisations et la trésorerie ont continué de circuler pour faire fonctionner le système. Pendant toute cette période où on a eu de moindres rentrées (-10 mds € nationalement), on a continué à financer sans qu'il y ait d'incident. L'Acoss, la Caisse nationale des Urssaf, a eu la possibilité d'emprunter sur les marchés financiers, plus qu'avant, avec un plafond de dette court terme augmenté.

La dette française atteint des niveaux astronomiques. Ce n'est pas durable...

L'Acoss se finance à taux négatif, on gagne de l'argent! On ne dit pas qu'on va annuler toutes les dettes de Sécurité Sociale. Le ministre ne l'a jamais dit, lesUrssaf non plus. Notre rôle est double : financer la Sécurité Sociale et accompagner les entreprises et les entrepreneurs.On n'a aucun intérêt à aller devant une entreprise ou un travailleur indépendant et lui dire : vous avez trois mois pour rembourser.

YT. On ne va pas scier la branche sur laquelle on est assis !

 

Certes, mais après le gel des défaillances d'entreprises en 2020, l'effet rattrapage va entraîner un recul des cotisations...

On peut être assez sûrs que la baisse des défaillances est un effet artificiel lié aux aides, aux PGE, etc. Certaines entreprises n'ont pas déposé le bilan alors qu'elles l'auraient fait en temps normal. Il y aura sans doute un retour à la normale. Mais il faut aussi parler des créations d'entreprises.

En mars 2021, on est quasiment au niveau d'emploi de fin 2019, avant crise, avec 1 444 691 salariés privés hors agricole en région. C'est une baisse de 0,2% seulement. L'emploi dans la construction, en mars 2021, représente 2,8% de salariés en plus que fin 2019. Il y a aussi bien sûr des secteurs en fort repli comme l'hébergement ou la restauration, à -8,6%.

La crise a donné lieu à des aides massives, comme le chômage partiel. Avec son lot d'effet d'aubaine ou d'abus ?

Le chômage partiel a été décidé pour éviter que la crise ponctuelle ne se traduise par des licenciements. Son recours a été très important, à unniveau jamais vu. Il s'est aujourd'hui très fortement réduit. On peut espérer, avec un retour à la normale ou quasi-normale en septembre, qu'il soit ramené à un taux d'avant-crise. Quant au risque de fraude, on n'a jamais arrêté la lutte contre le travail illégal, même au plus fort de la crise. On n'a d'ailleurs jamais autant redressé en 2019 et 2020. Il y a eu des occasions, des aubaines. Dès qu'il existe une nouvelle mesure, les fraudeurs peuvent essayer de la détourner. On travaille en partenariat avec l'inspection du travail et le fisc. Je ne peux pas dire qu'il y a eu recrudescence des fraudes. Mais avec les mesures  nouvelles,il y a eu plus de possibilités.

Sur la fraude, diriez-vous qu'on est plutôt sur des lectures différentes des dispositifs parfois complexes ou sur de la mauvaise foi ?

Prenons les possibilités de report des cotisations au début de la crise.C'était très simple à mettre en œuvre: une demande par Internet à l'Urssaf. Sans réponse sous 48h, c'était accordé. C'était quasi-automatique, soyons clair. Nous avons eu très peu de reports non justifiés. On a pu avoir quelques grandes entreprises qui l'ont demandé, on leur a demandé s'ils étaient vraiment sûrs, et ça s'est réglé en un coup de téléphone. Et elles ont payé.

L'Urssaf essaie de mettre en place depuis quelques années une relation de confiance avec les entrepreneurs. Ce par iprésuppose la bonne foi.Ce principe a été validé : une proportion importante d'entreprises a payé d'elle-même. Il n'y a pas d'abus.

Vous parlez de relation de confiance. Un récent livre* écrit par le nordiste François Taquet présente
un tableau très différent, avec des interprétations très extensives du travail dissimulé, une course au chiffre...


YT. C'est un peu comme les antivax, cette histoire de cancer de l'Urssaf. Il y a une poignée de personnes qui ontune très faible audience mais qui répandent des idées fausses à partir d'événements vrais. C'est particulièrement agaçant car ce livre a mis en exergue un contrôle dans un café où il a monté en épingle une affaire d'aide familiale, alors que tout a été largement résolu depuis,mais il vit toujours sur ce fond de commerce. Dans l'ensemble, les dossiers cités sont très anciens.

Plusieurs critiques sont assez fortes comme la conception très extensive du travail illégal...
On garantit l'équité entre les entreprises. Lutter contre le travail illégal, c'est s'assurer qu'une entreprise n'emporte pas unmarché parce que des heures ne sont pas déclarées au détriment d'une autre qui respecte le droit. On oublie aussi souvent l'ouverture des droits des cotisants. Quand on n'est pas déclaré, on perd des droits à la retraite, à l'assurance maladie etc. Il ne faut pas voir que l'aspect punitif.

YT. Beaucoup de gens l'oublient.Vous avez besoin d'un test PCR, c'est gratuit. Pourquoi ? Parce que le système d'assurance social le permet. Le même test, vous allez le payer 70 € en Espagne, au Portugal 90€, en Grande-Bretagne 250 € car le système social n'est pas le même.

LD. Après se pose la question de la limite où se situe le travail illégal. Les Urssaf appliquent le droit. Il y a un cadre juridique clair, qu'on applique avec rigueur dans la lutte contre le travail illégal avec intention de frauder. Mais quand on est face à une entreprise qui se trompe, on applique le droit à l'erreur, on fait une distinction forte. Il y a alors régularisation, sans pénalisation financière.

Il y a tout de même eu des cas limites, oùl'Urssaf amis endifficulté des associations caritatives en faisant jouer la solidarité financière, car elles avaient employé des entreprises de sécurité qui elles, n'étaient pas en règle...

YT. On a été interrogés. On est montés jusqu'au ministère en demandant une application à due concurrence du marché passé avec l'association et l'entreprise contrôlée.

LD. On essaie d'appliquer la réglementation sur la solidarité financière avec discernement.Et on essaie de communiquer davantage auprès des entreprises sur les erreurs à ne pas commettre. Quand vous êtes donneur d'ordre, demandez une attestation de vigilance !

Un autre grief porte sur les recours  qui seraient faussés, la commission de recours amiable (CRA) étant une émanationde l'Urssaf elle-même...

YT. Cette CRA est constituée par des membres du conseil d'administration, deux représentants du collège salarié, deux du collège patronal.Les dossiers sont présentés par le service juridique de l'Urssaf. Si les administrateurs ne sont pas d'accord, il y a discussion, rejet de la proposition interne et contre-proposition.

Dans l'exemple précité, ce sont les administrateurs qui ont dit qu'il n'était pas possible que l'association soit taxée au niveau où elle l'était. Il y a eu un autre cas il y a quelques années avec un redressement de 24 M€ sur une entreprise régionale. On s'est battus, c'est allé jusqu'auministère, car il y avait mauvaise interprétation d'un compte rendu de Comité d'entreprise par le contrôleur. Les administrateurs ont contesté, c'est monté au gouvernement. On a obtenu gain de cause. La CRA permet d'aller dans le sens de l'entreprise quand c'est justifié.


Le livre pointe aussi un ratio énorme de 90% de redressements après contrôles...

En 2019, nous avons eu 79,6 M€ de redressements sur le Nord-Pas-de-Calaiset 10 M€ restitués, pour 2216 actions de contrôle. Quand on va en lutte contre la fraude, on va sur les secteurs où on pense trouver le plus de travail illégal! Nous avons un rôle pédagogique, mais on agit aussi en contrôle. Alors, il y a sanction et majoration, oui bien sûr. Mais les restitutions prouvent bien qu'on rembourse aussi quand on trouve que l'entreprisese trompe dans un sens qui la dessert. Nous sommes aussi présents dans la prévention.

Nous avons signé une convention avec les groupes de prévention agréés des tribunaux de commerce et développé avec eux des actions pour que les entreprises n'arrivent pas trop tard au tribunal. On a intérêt à ce que les entreprises vivent le plus longtemps possible !

La nouvelle Convention d'objectif et de Gestion 2023-27 avec l'Etat se prépare-t-elle ?
Les réflexions commencent tout juste. Quels seront nos prochains objectifs ? On sera sûrement encore sur l'accompagnement, la garantie et la fiabilisation des droits des salariés et travailleurs indépendants. Par exemple, grâce au data mining, on observe parfois des erreurs par rapport à la déclaration sociale nominative.