Le "bassin minier" a-t-il un avenir ?

Le bâtiment totem de la Louvre Lens vallée, dédié aux start up culturelles, sera inauguré prochainement, à proximité immédiate du musée. Le bâtiment totem de la Louvre Lens vallée, dédié aux start up culturelles, sera inauguré prochainement, à proximité immédiate du musée.

Contrairement au Nord, l'ancien bassin minier du Pas-de-Calais a fait le choix d'exalter son passé comme levier central de son avenir. Un pari contre-intuitif et risqué. Mais après une longue gestation et une impulsion publique massive, les premiers effets se cristallisent.

«Tout ce que vous représentez devient « tendance » !» Le mot est de Lidewij Edelkoort, une des meilleures prévisionnistes de tendances au monde, venue présenter le 15 avril au Métaphone d'Oignies sa lecture des nouvelles inspirations de la destination « autour du Louvre Lens » : la couleur noire, « devenue symbole de raffinement et d'élégance » ; le romantisme pour le passé « mais pas le passéisme » ; la « façon horizontale de travailler ensemble » ; les jardins ouvriers, « une tendance colossale qui va encore se développer » ; jusqu'à la frite qui se rhabille aux couleurs du luxe et même la brique, devenue un must absolu lors de la dernière Design week de Milan. Même une styliste nippone réputée, Yukari Suda, a lancé avec succès la marque « pas de calais » qui se vend désormais au Japon et à New York : à écouter la papesse du design, notre bassin minier coche toutes les cases.

Mais il coche aussi celles des difficultés structurelles lourdes, toujours pas dépassées, 28 ans après l'extraction de la dernière gaillette de charbon de la fosse 9/9 bis d'Oignies (photo). La longévité y est plus basse que la moyenne nationale de 4 ans pour les femmes, 3 ans pour les hommes. La mortalité prématurée y est nettement plus élevée, la prévalence de certains cancers bien plus forte (121,6 cancers du poumon pour 100 000 personnes contre 82,9 à l'échelle nationale). Le taux de pauvreté y atteint 23,1%, pour une moyenne française de 14,5%. Même s'il a baissé, le taux de chômage demeure lui aussi très pesant, à l'exemple des 13,8% de la population active dans l'arrondissement de Lens-Liévin, et jusqu'à 14,9% à Valenciennes. Sans parler des séquelles sur l'environnement, entre pollution de l'eau, affaissement des sols, de l'absence de véritables centres villes, ou encore du parc de logements issus de Charbonnages de France qui exigent une réhabilitation lourde.

Rapport Subileau

Les problématiques traversent tout l'ancien bassin minier, cette banane étroite qui s'étend de Bruay à Valenciennes. L'Etat, accompagné de la Région et des collectivités, a d'ailleurs pris la mesure du problème depuis fort longtemps pour reconvertir cette immense aire mono-industrielle (hors Valenciennes, qui fut aussi textile et sidérurgique). Ce furent d'abord les grandes implantations automobiles (Française de Mécanique, Chausson...), puis la création de Finorpa, puis, parmi les grandes décisions régaliennes, l'implantation du Louvre à Lens, ouvert en 2012. Cinq ans plus tard, l'Etat adoptait l'Engagement pour le renouveau du bassin minier (ERBM). Doté de 100 M€ suite à un rapport sans concession établi par le grand urbaniste Jean-Louis Subileau, il venait aussi en réponse au vote toujours plus protestataire de la population. Il y eut aussi la rénovation du stade Bollaert (75 M€), celle des sites de mémoire, la Cité des électriciens de Bruay, le stade couvert de Liévin, l'anneau de mémoire à Souchez et aujourd'hui le projet de reconstruction de l'hôpital de Lens (300 M€), un énorme plan bus ou encore l'accueil des réserves du Louvre à Liévin.« L'investissement public sur la période a été considérable, de l'ordre d'1,5 Md €. Y a-t-il beaucoup de territoires en France où il s'est passé tant de choses en 10 ans, partant de si loin », questionne Bernard Masset, qui fut la cheville ouvrière de la démarche collective « Euralens ». La Caisse des Dépôts, bras armé économique de l'Etat, l'accompagne au demeurant de façon massive. « Depuis 5 ans, on a financé 800 M€. et nous avons signé avec les collectivités du bassin minier une convention le 12 mars avec 8 thèmes prioritaires », précise Gaëlle Velay, directrice régionale de la Banque des territoires, qui note aussi l'entrée stratégique de CDC Habitat au capital de Maisons & Cités en 2018. Plus largement, le bassin minier émarge à un nombre impressionnant de programmes : cœur de ville, rev3, ERBM, territoire industrie... 

Un bassin minier, deux stratégies

Mais s'il existe un seul bassin minier géologique, entré au patrimoine mondial de l'humanité en 2012, les stratégies sont très distinctes entre le Nord (Douai, Valenciennes) et le Pas-de-Calais (Lens-Liévin, Hénin-Carvin, Béthune-Bruay). Pour le premier, un parti pris de la diversification économique sans (trop) regarder en arrière. Pour le second, une affirmation identitaire très prononcée. Au point de piéger le territoire dans un passé sclérosant ?

« à titre personnel, je serais pour arrêter d'appeler ce territoire « bassin minier ». Mais comment l'appeler ? », s'interroge - « off the records », un des meilleurs observateurs du territoire, rejoint sur ce point par Philippe Vasseur, président de la mission Rev3. « Est-ce-que “bassin minier” est vendeur vu de Paris ou de la côte d’Azur, je n’en suis pas certain ! ».

Ancrage dans un monde standardisé

Pour autant, cet enracinement dans un destin collectif ne peut-il pas, au contraire, être un ancrage puissant, y compris économique, dans une planète toujours plus standardisée et aseptisée ? D'autant que les acteurs privés ne sont pas les derniers à revendiquer ce passé toujours omniprésent. A l'exemple du groupe de transport-logistique Bils-Deroo dont le nouveau siège de Sin-le-Noble, tout juste inauguré, s'affirme comme une référence à l'histoire. Même Thomas Thumerelle, jeune patron d'une entreprise de la nouvelle économie, Motoblouz, leader des accessoires motos sur Internet, revendique fièrement son appartenance, lui qui a créé sa société à Courrières, dans la cave du père de son associé David. C'est aujourd'hui une des plus belles success-stories du territoire, avec 130 salariés et un chiffre d'affaires de 50 M€.

Mixité sociale

La nouvelle économie pointe d'ailleurs son nez dans le bassin minier, au-delà de la diversification majeure de la logistique, consommatrice d'espace, mais prodigue en emplois peu qualifiés. En atteste la Louvre Lens Vallée, qui accompagne des start-ups culturelles numériques. Sous la direction de Wafâa Maadnous, la jeune structure a déjà soutenu 50 entreprises en 4 ans, qui ont généré 110 emplois. Une nouvelle phase s'engage aujourd'hui avec l'ouverture d'un bâtiment totem, de 2600 m2. De quoi sérieusement monter en puissance et donner plus de souffle à l'effet Louvre-Lens, qui a bien du mal à prendre de l'ampleur.

« La dynamique du Louvre-Lens a été longue à se mettre en place, admet Alain Wacheux, président du Pôle Métropolitain de l'Artois. Mais je reste persuadé que sans lui, on n'en serait pas là ». Et le mouvement semble bien engagé, porté par de nouvelles générations d'élus : le territoire s'inscrit dans la démarche de transition énergétique et a obtenu le statut de démonstrateur rev3 (lire ci-dessous). Le programme de rénovation des logements miniers, porté par Maisons & Cités comme par la SIA à travers l'ERBM va générer un volume d'investissement considérable pendant dix ans, capable de nourrir de vraies dynamiques de filières, notamment autour des éco-matériaux. Et devrait favoriser une mixité sociale que les bailleurs appellent de leurs vœux pour régénérer le territoire. Autre signe, le nombre de grues sur une zone d'activités aussi stratégique qu'Artois-Flandres (Douvrin) dénote une perspective vraiment favorable. Ses responsables évoquent la création de 1000 emplois (Eco121 n°87). De quoi compenser un peu le recul considérable des emplois de la Française de Mécanique depuis quelques années.

Reste un sujet capital : la mobilité. Si la distance entre bassin minier et métropole lilloise est courte, la thrombose routière ou autoroutière, mais aussi la montée du prix des carburants posent des problèmes aigus aux milliers de navetteurs. Le projet de Réseau Express Grand Lille reste à l'ordre du jour, mais sans perspective de calendrier claire. Xavier Bertrand a indiqué son intention de le « picardiser ». Le projet est structurant, mais les moyens financiers à l'étiage. Il faudra sûrement s'armer de patience.

Le développement durable comme levier de transformation ?

« On peut changer l'économie de ce territoire et son image ! » Philippe vasseur, président de la mission rev3, est persuadé que l'ancien bassin minier peut devenir « une vitrine de ce que peut être une mutation économique d'un territoire ». C'est dans ce sens que la mission vient de labelliser le pôle métropolitain Artois comme territoire démonstrateur de la Troisième révolution industrielle (concept développé par Jeremy rifkin et devenu une priorité régionale depuis six ans), vers une économie durable et connectée. Déjà une cinquantaine de projets sont identifiés, dont des initiatives majeures, telle la toute première ligne de bus en France à fonctionner entièrement à l'hydrogène (avant Pau, prévu en septembre).

Le projet a été lancé par le Syndicat Mixte des Transports Artois Gohelle. 6 bus de fabrication française, exploités par Tadao, desserviront dès juin la ligne 6 Bruay-Auchel, soit 13,6 km. Et l'hydrogène sera même produit sur place dans une station ad hoc. Dalkia va utiliser le gaz de mine pour chauffer l'équivalent de 6800 logements de la ville de Béthune. Le très gros bailleur social Maisons & Cités fait de l'îlot Parmentier, à Lens (93 logements) un enjeu stratégique. « C'est notre labo rev3, qui doit permettre de trouver des solutions duplicables », relève son directeur général Dominique Soyer. La cuisine centrale de Liévin, va réunir en un seul site TRI les 5 anciennes unités de la ville, avec un bâtiment intelligent, un « smart grid », des voitures électriques jouant le rôle de batteries, et un objectif annoncé de zéro déchet fermentescible à la poubelle. Sans parler d'un gros projet de méthanisation porté par un groupement d'agriculteurs autour de l'ancien site Metaleurop, ou encore des perspectives de centrales solaires sur les 700 hectares de friches industrielles recensées sur le territoire.