Le Brexit, miroir aux alouettes ou réelle opportunité pour notre région ?

Un épais fog flotte toujours sur le Brexit. Fin mars 2019, il deviendra réalité. Mais ses modalités demeurent très incertaines, dans un climat de grande faiblesse du gouvernement de Theresa May.

L'enjeu de la sortie – sans précédent- d'un pays majeur de l'Union est énorme. « Les enjeux sont colossaux. En 2016, 560 milliards d'euros de valeur marchande ont transité entre le Royaume-uni et le continent, dont 350 milliards par le seul détroit du Pas-de-calais », rappelle Jean-Alexis Souvras, directeur des affaires publiques de Getlink (Eurotunnel).

Pour tenir les délais, l'accord devra être finalisé fin octobre. Au printemps 2019, début de la probable période de transition, des centaines de conventions sectorielles devront être signées, dans tous les domaines. 

« La géographie ment moins que la politique » 

« Brexit ou pas, les Anglais vont-ils se replier uniquement sur leur île ou continuer à commercer avec l'Europe ? », interroge Xavier Bertrand : « Qu'il s'agisse du tourisme, du commerce, de l'industrie, une grande partie va vouloir continuer à travailler en Europe et avec l'Europe. La géographie ment moins que la politique !» De fait, à seulement 27 km des côtes anglaises, notre région est LE point d'entrée en Europe. A 1h20 d'Eurostar de Londres, Lille est la première grande métropole continentale. Le Kent et la Côte d'Opale sont d'ailleurs apparentés, note Thaddée Segard, président du Cercle Synergie Côte d'Opale. « Ce sont des populations d'origine saxonne, les toponomies sont très similaires, les affinités culturelles patentes. Il y a des perspectives évidentes de complémentarité entre le Kent et le Pas de calais ».

Le Brexit ne saurait tuer les échanges économiques entre les deux pays. « Il y a une interdépendance économique vitale entre le continent et le Royaume-Uni. Il n' y a aucune raison qu'elle s'arrête brutalement », pointe Jean-Alexis Souvras, qui rappelle l'impact de la grève portuaire à l'été 2015 : en trois jours, les supermarchés britanniques n'avaient plus d'eau ou de yaourts... 

Et les Hauts-de-France ?

Le Royaume-Uni est le troisième pays d'exportation de notre région (9,4% de nos exportations), et le septième pays d'importation (4,4%).

« Aujourd'hui la question de l'Irlande touche un point terriblement sensible pour les Britanniques. Mais d'un point de vue économique, il y a dix fois moins de camions à la frontière entre Irlande et Royaume-uni qu'à la frontière entre Hauts-de-France et Royaume Uni : le rapport est entre 400 000 et 4 millions ! », relève le président de Région.

SBE, groupe familial boulonnais, figure parmi les groupes nordistes opérant en Grande-Bretagne. Ce spécialiste de la maintenance de produits électroniques grand public compte 2000 salariés, dont 500 à Ashford depuis 20 ans. Il réalise outre-Manche 25% d'un chiffre d'affaires de 200 M€. Le groupe nordiste est en veille rapprochée pour anticiper les évolutions. Le climat d'incertitude inquiète ses salariés en Angleterre, dont 300 étrangers (polonais, roumains, tchèques...), qui s'interrogent sur leur couverture sociale, les enregistrements obligatoires... « J'ai un directeur financier qui m'a demandé à rentrer en France à cause de l'incertitude », indique Hervé Besème, le patron de SBE.

26 km de camions ?

« Les conséquences possibles du Brexit? c'est une succession de points d'interrogation ! » répond Natacha Bouchart, maire de Calais.

Sa première angoisse porte néanmoins sur le renforcement des contrôles douaniers. Avec 10 000 poids lourds quotidiens, le calcul est vite fait. 2 minutes de contrôle supplémentaire généreraient … 26 km de bouchons ! Sans compter le risque renouvelé des assauts de migrants pour rentrer dans les poids lourds. Les solutions existent, note Xavier Bertrand, évoquant notamment le Fast Pass électronique expérimenté en Autriche, permettant de dématérialiser les démarches. Chez Eurotunnel, on se veut serein.

« Il ne faut pas se focaliser sur le contrôle frontalier qu'il fautdissocier des formalités de dédouanement. Le contrôle frontalier ne sert qu'à vérifier que les marchandises et les personnes sont bien en règle. Il n'y a aucune raison a priori que les contrôles frontaliers soient augmentés dans des proportions colossales, si les formalités de dédouanement sont correctement faites. Pour les conteneurs, c'est quasiment une lecture de code barre sur un colis et les formalités sont faites, » souligne Jean-Alexis Souvras.

D'autres interrogations pèsent sur la pêche, si le Royaume-Uni devait interdire ses eaux territoriales à nos bateaux, mais on ne semble pas prendre cette direction. A l'inverse, on peut imaginer le retour du duty-free – qui avait représenté jusqu'à 33% du commerce calaisien, ou bien sûr l'implantation d'entreprises cherchant un siège dans l'Union européenne pour conserver les avantages de l'Europe. De la même façon, la logistique devrait tirer bénéfice de la nouvelle situation, avec la possible création de zones tampon pour les camions. Pour la métropole lilloise, le cœur de cible sera plutôt les activités de back office de la City, avec l'avantage majeur des coûts immobiliers trois fois inférieurs à Londres.

Consulat économique

Alors que certaines collectivités ont adopté une stratégie très offensive, comme une réponse au « red carpet » brandi jadis par Boris Johnson, les Hauts-de-France revendiquent une politique « win win ». Avec des premières actions mises en place très rapidement : une représentation permanente à Londres, une campagne de com, un numéro vert, un « business lounge » réalisé par la CCI de région à Lille Europe. Xavier Bertrand dévoile par ailleurs un projet très avancé de doter la région d'un consul honoraire économique, dans « une logique très friendly ». « Il ne faut pas être donneur de leçon, être très à l'écoute, s'adapter à ce qui va sortir de cette discussion. On voit bien la complémentarité entre nos deux pays », renchérit Hervé Besème.

Autre sujet, un projet de zone franche à Calais avait été évoqué avec Emmanuel Macron. On s'orienterait vers un autre dispositif de suppression de taxes pour les nouvelles implantations.

Le projet de « métro transmanche » de train cadencé, préconisé depuis des années par Thaddée Segard, reprend aussi de l'intérêt. Tous les acteurs y semblent favorables. « Mais pour se fiancer, il faut être deux. Les autorités du Kent n'ont pas les mêmes pouvoirs que la présidente de l'interco ou le président de Région. Ca se décide plutôt à Londres où, en ce moment, l'obsession, c'est Brexit, Brexit, Brexit », nuance Xavier Bertrand

Olivier Ducuing

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