Le coworking prend racine en région

Depuis trois ou quatre ans, les ouvertures d’espaces de coworking se multiplient dans la région, avec une course à l’emplacement. S’il semble répondre à une évolution profonde de l’organisation du travail, ce marché émergent interpelle les professionnels du secteur pour le futur.

Il y a dix ans, ni les banquiers, ni les élus n’y croyaient. Peu à peu, les espaces de travail partagé se sont pourtant imposés, sur un modèle souple : les clients (citadins free lance, salariés expatriés ou TPE en devenir) payent la location d’un bureau (2 à 5 € HT/h ou 120à 300 € HT/mois), avec ou sans place personnalisée, tout en bénéficiant de services annexes parfois payants (cuisine commune, location de salles de réunions, restaurant, formation...). Selon la CCI Hauts-de-France (*L’étude “L’hébergement de la jeune entreprise“ est disponible sur https://hautsdefrance.cci.fr/actualites), la région compte aujourd’hui une centaine d’espaces de coworking : une vingtaine sur la métropole lilloise dont la moitié sur Lille, et un peu partout sur le territoire régional (Amiens, Compiègne, Beauvais, Arras, Douai, Lens, Dunkerque, Calais ...). Et de nouveaux espaces vont ouvrir d’ici 2020 comme à la Louvre-Lens-Vallée, à Villeneuve d’Ascq, Lille (ShAKe, Wenov, Bazar St-So), Ennevelin (La Passerelle), Boulogne-sur-Mer (La Tour Méhul)... Certains sont spécialisés, dédiés au textile, aux métiers d’art ou à l’économie créative comme le futur espace du Bazaar St-So. Porté par InitiativesETcité et SMart, ce dernier accueillera fin 2019 artisans, architectes, designer... sur 2500 m2 (250 postes nomades et sédentaires) et 850 m2 d’ateliers partagés.

Les pionniers associatifs

Les précurseurs étaient associatifs à l'instar du Mutualab (premier site de coworking en 2010) ou de la Coroutine à Lille, avec une forte implication des résidents dans la cogestion.

Ces modèles collaboratifs répondaient déjà à des besoins de télétravail, de mobilité, d’incubateurs informels aux porteurs de projets, de création d’un réseau accélérateur d'affaires... Comme l’entreprise lilloise Valeurs & Valeur (innovation RH) qui a commencé en 2014 au Mutualab et ne s’est installée dans ses propres locaux qu’en 2019, après avoir recruté 11 collaborateurs. Pour Marie-Aude Tran, consultante associée, « cela nous a permis de tester notre concept, trouver nos premiers clients et grandir en diminuant les risques financiers. »

Bien-être des salariés

Mais avec le temps, l’esprit a changé, selon Emmanuel Duvette, fondateur du Mutualab : « Les résidents qui avaient participé à la création du projet ont commencé à partir pour évoluer professionnellement. Et les  nouveaux ont été moins impliqués dans la cogestion et plus exigeants en terme de qualité de service. » Pour Hugues Laffineur chez Tostain & Laffineur Real Estate Solution, d’autres raisons expliquent l’accélération de ce marché : « la reprise économique, la mentalité des jeunes salariés plus enclins à ces nouvelles formes de travail et la multiplication des aides aux TPE. Par ailleurs, de nombreux vieux bureaux ne répondent plus aux critères de bien-être des salariés. On en profite souvent pour les reconvertir en espace de coworking. »

Ces évolutions ont poussé certains sites associatifs à se tourner vers le privé, afin de continuer à surfer sur la vague. En 2019, le Mutualab (50 postes de travail nomades et sédentaires sur 1000 m2) s’est ainsi rapproché d’un grand acteur du secteur de coworking, Lab’Oïkos. Il lui a confié la gestion et le développement commercial. L’association reste pour l’heure propriétaire de la marque et du mobilier. A terme, en 2021, Mutualab by Lab’Oïkos va s’étendre sur 2500 m2 et se spécialiser pour devenir La Cité de la RSE (responsabilité sociétale des entreprises)  et de la performance, explique Natalie Delabroy, la responsable du développement : « Notre chiffre d’affaires sera essentiellement généré par la location des espaces mais aussi par du conseil en matière de RSE auprès des entreprises et collectivités, pour assurer notre équilibre. »

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Rentabilité du modèle

Car la location à l’heure d’un poste de travail n’est pas forcément rentable, surtout au coeur des grandes métropoles. Les professionnels du secteur comptent davantage sur la location au mois et d’autres sources de revenus (location de salles, conseils, prestations de services). C’est le cas du récent site premium Now-Coworking Lille, qui loue les locaux du rez-de-chaussée de la CCI Grand Lille (3200 m2, 75 bureaux, soit 400 places disponibles). « Nous proposons en plus une salle de sport, un coiffeur, un barbier... », précise son manager, Maxime Givon. « Depuis notre création en 2018, nos objectifs sont dé- passés, grâce aussi à une communauté de 250 personnes sur le site chaque jour, soit plus de 600 inscrits sur la métropole. Nous sommes rentables et espérons atteindre cette année 1,5 M€ de chiffre d’affaires, générés à 70% par la location de bureaux. » Outre l’emplacement du site et les services annexes, la taille de la communauté, l’occupation quotidienne des postes (plus de 60%) et une surface minimale (plus de 2000 m2) conditionnent donc l’équilibre du modèle. 

Marché à potentiel ou bulle spéculative ?

Selon une étude internationale d'IWG (Regus, Spaces...), 53% des professionnels travaillent déjà à distance plus de la moitié de la semaine. Et selon Les Echos-Etudes, le taux de pénétration du coworking parmi la population française cible ne dépasse pas 3%. Le potentiel semble énorme. D'autant plus que la tendance paraît durable.

« Il faut s’attendre à une deuxième vague d’ouvertures de sites dans des villes secondaires, vu les prix élevés de l’immobilier à Paris et dans les grandes métropoles », pressent Hugues Laffineur. Emmanuel Duvette renchérit : « la tendance devrait perdurer car les grandes entreprises sont tout juste en train de comprendre l’intérêt de recourir au coworking, même si cela implique pour elles une révolution culturelle interne qui touche les RH, la sécurité, l’immobilier... » D’ailleurs, les professionnels de l’immobilier de bureaux sont de plus en plus sollicités par les entreprises, pour leur trouver des sites de co-working avec des demandes pouvant aller jusqu'à 70 voire 100 postes.

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André Bartoszak, responsable de l’Observatoire des bureaux de la métropole lilloise, rappelle certaines réalités : « sur les 4 millions de m2 de bureaux de la MEL, ces espaces restent encore minoritaires en terme de volume et d’activité. Mais c’est un développement à suivre qui va s’accélérer sur les dix prochaines années. »
Hugues Laffineur n’hésite pas à comparer la course au coworking à celle des drives en 2000. Pour Olivier Lebecque, manager chez IWG Lille, « nous sommes dans une phase de maillage, les opérateurs cherchent à occuper un maximum de sites disponibles, parfois au détriment de la rentabilité. Aux Etats-Unis, on constate déjà une bulle spéculative sur ce marché. Il faut s’attendre à une rationalisation du marché français à terme, avec la disparition de certains espaces non rentables ».

Coworking : le Hainaut aussi

C'est après une petite étude de marché basée sur 200 questionnaires qu'Agnès Moyère et son associée Nicole Boileau ont sauté le pas. Les deux femmes étaient managers seniors en vente à domicile des ustensiles de cuisine Demarle. Mais après dix ans de ce travail, elles souhaitaient davantage préserver leurs week-ends pour leur vie de famille. En mars 2018, elles jettent donc leur dévolu sur un espace de 135 m2 en face de la gare de Valenciennes, pour en faire un nouveau lieu de coworking. Elles pensaient attirer beaucoup de profs et d'étudiants, ce sont finalement des cadres d'entreprises, TPE, des indépendants et même des commerçants qui utilisent plutôt le dispositif. Outre un espace de travail partagé de 26 places assises, le Cafe@work offre aussi une salle d'entretien, « le bocal », une salle de 10 personnes, « la bibliothèque », et une salle plus grande, « l'atelier », avec un écran interactif. Le principe : les usagers paient au temps passé, consomment à volonté avec un accès à la fibre. 5€ TTC la première heure, puis 8 centimes par minute supplémentaire, avec un plafond de 25€ la journée.

L'activité est plutôt neuve à Valenciennes et les deux entrepreneuses, concurrencées désormais par Wereso, qui s'est installé à la CCI, défrichent le marché : ce sont plutôt les salles de réunion qui attirent aujourd'hui les suffrages. « On est à Valenciennes, ce ne sont pas les mêmes habitudes qu'à Paris ou Lille », note Agnès Moyère, confiante dans l'avenir même si les débuts sont encore modestes. O.D