Le Louvre-Lens : un modèle économique encore fragile

Lens. La Chambre régionale des comptes vient de rendre un rapport qui pointe les faiblesses d'un musée gratuit pour 82% des visiteurs, reposant sur un financement public prédominant, et en appelle à un plan de maîtrise de ses charges.

 

Contrairement à d'autres structures, le Louvre-Lens sort renforcé de la crise sanitaire. Certes, la fréquentation s'est effondrée avec les mois de fermeture, entraînant une perte de recettes d'1,3 M€. Mais les 2,4 M€ d'économies réalisées par les fermetures ont au final amélioré sa capacité d'autofinancement et le fonds de roulement.

Cette particularité souligne bien le caractère spécifique du Louvre-Lens, qui ressort clairement du dernier rapport de la Chambre régionale des comptes : son fonctionnement s'appuie pour l'essentiel sur les contributions des collectivités (12,5 M€/an dont 10 pour la Région), tandis que le bâtiment, propriété de la Région, est mis gratuitement à sa disposition. Un régime qui dispense le musée des droits et obligations du propríetaire, en particulier en matìere de gros travaux, souligne le rapport, qui en appelle à un nouveau régime d’occupation constitutif de droits ŕeels.

Accès à la culture

Or les recettes d'exploitation sont bien modestes, à hauteur de 1,6 M€ par an, dont près de deux tiers en billeterie, un niveau « faible en comparaison de muśees de taille comparable ». Mais ce n'est pas une surprise puisque le conseil d'administration a maintenu depuis l'ouverture le principe de gratuité de la Galerie du Temps et du pavillon de verre. Dans son rapport de 2015, la chambre des comptes avait déjà pointé ce sujet et recommandé « d’engager une réflexion sur l’impact financier, culturel, touristique de la politique de gratuité de l’exposition permanente ».

Mais ce choix politique assumé permet d'atteindre un haut niveau de fréquentation qui en fait le 3e musée de province derrière le Mucem et les Confluences à Lyon, avec 4,3 millions de visiteurs depuis l'origine. La Chambre -qui relève en parallèle un biais méthodologique consistant à compter deux fois ceux qui visiteraient le même jour la galerie du temps et les expositions temporaires, n'en reconnaît pas moins l'impact social et culturel du musée. Les habitants des Hauts-de-France se sont appropriés le Louvre-Lens, dont ils représentent 70% des visiteurs. Le public scolaire en représente 20%. Par ailleurs, selon une étude interne du musée en 2018, 27 % des visiteurs, correspondant à des publics prioritaires ou eloignés de la culture ne se seraient pas rendus au muśee si l’accès avait été tarifé.

16% de financement privé

Mais en contrepartie, les ressources propres (billetterie, locations, redevances, partenariats, mécénat) sont limitées, soit 16% des produits du musée en 2019, en-deça de la cible visée de 20%. Les redevances de la librairie-boutique, le restaurant et la caféteria ne pesaient que 0,13 M€ en 2019. «Les recettes totales de redevances perçues par visiteur ne s’́el̀event qu’à 0,24 € au Louvre-Lens, quand celles des autres musées de taille comparable en rapportent dix fois plus », tacle le rapport, qui évoque aussi un fait de vols dans les caisses de la caféteria (27 000€) qui n'aurait pas été rapporté au conseil d'administration. « La Chambre encourage le musée à poursuivre ses efforts, la préservation de ses équilibres financiers passant par un renforcement des ressources propres afin d’̂etre moins exposé à un modèle économique caractérisé par une tr̀es forte dépendance aux financements publics. »

2 scénarios : 2021, 2023

D'autant que, sur la période de contrôle, la Chambre observe aussi une sensible poussée des effectifs, passés 82,5 équi- valents temps plein en 2016 à 97 en 2019. Et la masse salariale, en parallèle, s'envole de 15%. Le rapport préconise plus largement une programmation pluriannuelle. « Le muśee ne dispose pas d’outils prospectifs ni ne s’appuie sur des programmes pluriannuels d’investissement ou de fonctionnement, bien qu’un projet de rénovation de la Galerie du Temps existe ».

La chambre établit deux scénarios 2021-2023 autour de ce projet chiffré à 4 M€. Le premier table sur des charges maîtrisées, un mécénat accru, permettant un niveau de fonds de roulement évitant l'emprunt pour la Galerie du temps. Le second, moins optimiste, prévoit une hausse limitée des recettes et une poussée annuelle de 3,5% des charges salariales. L'épargne serait négative d̀es 2021 pour se dégrader ensuite, la situation financìere n'étant plus équilibrée. « Les collectivités publiques, dont les financements représenteraient 87 % des produits du musée en 2023, devraient certainement être mises à contribution pour équilibrer ses comptes », s'inquiète le rapport, qui appelle le musée à se doter d'outils prospectifs, mais aussi de s'engager dans un plan de maîtrise de ses dépenses.

 

229 M€ de coût, 191 M€ de retombées

La Chambre des comptes évalue le coût global du musée depuis l'origine pour les seules collectivités territoriales à 229 M€ : 118 M€ pour la construction (Région 91,2 M€, CALL et Lens 13,1 M€, CAHC 1,7 M€), auxquels s'ajoutent les dépenses statutaires des collectivité depuis l'origine. Elle met en parallèle les retombées économiques évaluées autour de 191 M€ et 527 emplois (source ALL et Euralens), très loin de l'effet Guggenheim de Bilbao. La référence à ce musée, très gros levier de développement économique du pays basque espagnol (une grosse délégation régionale s'était même rendue sur place à l'époque), a du reste disparu du nouveau projet scientifique et culturel du Louvre-Lens de 2019