Les collectivités dans la nasse

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

Le conseil général du Nord incapable de trouver 100 millions d'euros lors de la crise financière pour boucler son exercice. Celui du Pas-de-Calais étranglé par les dépenses sociales. Le conseil régional arrivé aux limites de l'endettement acceptable. Les dépenses de fonctionnement des collectivités qui virent au rouge... Les marges des nos collectivités régionales se sont réduites comme peau de chagrin.

100 collectivités en procédure d'alerte

Les craquements se font déjà entendre ici où là. Pas seulement dans les communes bien connues comme Hénin-Beaumont ou Leforest, dont les déséquilibres ont justifié dans un passé récent une mise sous surveillance des budgets. " Plus de 100 collectivités, y compris des grosses, sont dans la région en procédure d'alerte ", souligne un des meilleurs connaisseurs du sujet. Les sonnettes d'alarme tintent partout. Plusieurs départements français sont en situation si délicate que l'Etat a du créer un fonds spécifique pour les renflouer. Pour l'heure, ceux du Nord comme du Pas-de-Calais ont réussi tant bien que mal à surmonter les effets de ciseaux de la flambée des dépenses sociales (APA, RMI puis RSA, handicap...) face à des moyens seulement stabilisés par l'Etat : l'autonomie fiscale, érodée au fil des réformes, est désormais marginale avec la dernière réforme en date. La région ne maîtrise plus que 9% de ses recettes, à travers la seule taxe sur les cartes grises. Les départements sont dans une situation similaire. " Nos recettes dépendent de composantes sur lesquelles nos collectivités n'auront aucune maîtrise. On voudrait étrangler les départements jusqu'à ce que mort s'ensuive qu'on ne s'y prendrait pas autrement ", vitupère Alain Fauquet, vice-président PS du conseil général du Pas-de-Calais en charge du budget. L'exécutif de la collectivité évoque ainsi un passif d'un milliard d'euros que l'Etat lui devrait. Il a même décidé courant janvier d'engager une procédure contentieuse sur l'inconstitutionnalité des lois portant transfert de compétence, en association avec une cinquantaine d'autres départements. 

Les limites de la logique keynésienne

Le mouvement s'est accéléré depuis quelques années : habituées à des dotations d'Etat généreuses, des bases fiscales dynamiques comme la taxe professionnelle désormais disparue (remplacée par la contribution économique territoriale, assise sur la valeur ajoutée) ou le versement transport, les collectivités ont largement joué leur rôle de développement local en investissant fortement, défendant même une logique ouvertement keynésienne, comme le conseil régional : un euro mis sur la table doit en générer d'autres dans un cycle vertueux d'effet de levier. Elles ont même systématiquement débordé de leurs compétences de base dans cette même logique assumée, à l'exemple du conseil régional : plan cancer, rénovation urbaine, Louvre-Lens ou Grand Stade, auquel il a apporté 45 M€. Le plan de rénovation urbaine, unique par son ampleur en France, représente ainsi un programme total de 4 milliards d'euros pour moderniser les villes...et irriguer la filière du bâtiment. Le conseil général du Pas-de-Calais a pu, de son côté, anticiper les JO de Londres à travers une série d'investissements sportifs importants qui lui seront fermés demain, avec la perte de la clause de compétence générale.

Cette époque bénie de la dépense facile est révolue. Les raisons sont multiples : la souveraineté fiscale est désormais un souvenir. Les dotations d'Etat, qui remplacent l'impôt, sont gelées quand elles ne sont pas en recul dans certains domaines. Du coup, les ressources perdent toute dynamique. Par ailleurs, le coût aujourd'hui extrêmement bas de l'emprunt ne saurait durer. Celui-ci a permis de comprimer les frais financiers, passés dans la région de 3,6% à 3,3% des dépenses de fonctionnement entre 2003 et 2009. " La hausse des taux est une certitude. Il faut pouvoir l'anticiper ", alerte Valérie-Marie Aubin-Vaillant, directrice régionale de Dexia. Le taux d'endettement de certaines collectivités ne laisse déjà plus guère de marges. Les ratios prudentiels de Bâle III feront aussi monter les curseurs des contreparties en fonds propres des banques, qui prêteront donc moins facilement à l'avenir. Une évolution qu'a parfaitement analysée Bernard Derosier : le président du conseil général du Nord vient de signer (photo) un contrat de financement inédit en France pour un département avec la Banque européenne d'Investissement. Pour un montant, excusez du peu, de 200 M€. Le vice-président de la BEI, Philippe de Fontaine-Vive, a souligné à l'occasion " les ratios de gestion exemplaires ". Une situation qu'a permise d'importants tours de vis fiscaux ces dernières années, majoritairement supportés par les entreprises.

Dernières cartouches fiscales

D'autres collectivités utilisent à plein leurs dernières cartouches fiscales. Pour son budget 2011, Lille Métropole a augmenté de 11% d'un coup le versement transport payé par les entreprises de plus de 9 salariés, soit une manne de 25 millions d'euros. Le conseil régional, de son côté a utilisé ses deux ultime marges de manoeuvre : une modulation spécifique sur la TIPP, qui lui ramènera 32 millions d'euros, entièrement affectés (par la loi ) au projet de canal Seine Nord Europe. Et la hausse brutale des taxes sur les cartes grises, qui doit lui amener un montant équivalent.

Autre méthode, plus soft : le lissage des investissements. Une pratique déjà engagée ici ou là, pour réaliser en deux ans ce qui était budgété sur un seul exercice.
La diète ne fait que commencer. Le risque est qu'elle se pratique plus volontiers sur les dépenses d'investissement, très entraînantes pour l'économie régionale, que sur les dépenses de fonctionnement, à l'inertie plus grande et où l'effet de cliquet joue à plein. Qui n'a jamais entendu parler du fameux effet GVT (glissement vieillesse technicité) qui entraîne à la hausse la masse salariale en-dehors même de toute augmentation volontaire? Pour l'heure, aucune collectivité régionale n'a touché à ses effectifs, sujets hypersensible s'il en est. Le conseil général du Nord a seulement suspendu la campagne importante de recrutement dans le SDIS (le service de sapeurs pompiers), dont les coûts se sont littéralement envolés depuis plusieurs années, comme dans l'ensemble des départements.

"Nous sentons très régulièrement une inquiétude auprès de nos interlocuteurs.  Nous aussi, en tant qu'opérateurs, nous sommes en veille pour voir comment les choses vont s'ajuster., c'est aussi une inquiétude comme prêteur, commente Didier Manessiez, membre du directoire de la Caisse d'Epargne Nord France Europe. "

 Je vous accorde que la partie va être compliquée, mais il ne faut pas noircir le tableau au-delà du raisonnable

 ", nuance-t-il.


Trois questions à Pierre Mathiot, directeur de Sciences-Po Lille

" Ce qui se joue aujourd'hui, c'est la découverte d'une culture de rigueur "

La disette des finances locales et la réforme territoriale vont-elles avoir des conséquences lourdes ?

Dans la réforme récente, ce qui pose question n'est pas tant la baisse des moyens financiers que l'autonomie fiscale des collectivités. Jusqu'alors, c'est la logique girondine d'auto-déssaisissement par l'Etat central de ses compétences et de son pouvoir fiscal qui s'était imposée. L'élément central de la réforme est que les élus de la République ont perdu une très grande partie de ce pouvoir fiscal dans les collectivités.

Faut-il s'attendre à des changements importants dans le fonctionnement de nos collectivités?

Derrière l'hostilité des élus à la remise en cause de leur compétence générale, ce qui se met en place est une nouvelle logique de rigueur dans les dépenses publiques. Avant, on votait des dotations élevées pour des projets de développement territorial à l'intérêt général parfois limité, chaque élu voulant son boulodrome ou son terrain de basket. Il n'y avait pas une extraordinaire rigueur dans la gestion des fonds ou dans la hiérarchisation des projets qui méritaient d'être soutenus. Ce qui se joue aujourd'hui, c'est la découverte d'une culture de rigueur. Pour obtenir des crédits pour un projet, il faudra que celui-ci soit bon, et pas seulement connaître un tel ou un tel. Ce qui va impacter de manière considérable les habitudes!

Ces changements sont -ils déjà perceptibles selon vous ?

Pour répondre, je reprendrai la formule de Bourdieu, " le mort saisit le vif ". Autrement dit, certains coups sont partis, comme le Louvre-Lens, le Grand Stade. L'ancien est encore là, il y a encore des pratiques de l'ancien monde. On donne encore de l'argent aux Boulonnais quand on a donné à la Métropole. Dans les réunions internes ou techniques des collectivités, la prise de conscience est déjà très claire. Mais les élus sont souvent pris dans un dualisme de vouloir aussi répondre aux sollicitations du terrain. Ils ont du mal à se départir de la prodigalité de l'élu local par rapport aux territoires.

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