Lesaffre se dote d'un campus d'exception

Photo Antoine Duhamel Photo Antoine Duhamel

Marquette-lez-Lille. Le nouvel outil du groupe familial spécialiste de la levure et de la fermentation lui offre un atout concurrentiel majeur. De quoi explorer toujours plus loin les potentialités quasi infinies des micro-organismes mais aussi attirer les talents du monde entier.

 

On aurait pu s'attendre à voir au moins un Premier ministre pour cette inauguration. Mais même aucun secrétaire d’Etat n'avait fait le déplacement, en pleine crise des raffineries et de l'énergie. Le nouveau campus de Lesaffre est pourtant à l'évidence un haut lieu de l'excellence française et de rayonnement mondial. Dans un écrin de nature de 19 hectares en bord de Marque, le groupe familial nordiste a érigé un ensemble de 22 000 m2, conjuguant une rare densité d'équipements technologiques dernier cri et un grand luxe d'espace pour des bureaux particulièrement accueillants pour les 700 salariés de 40 nationalités différentes désormais réunis ici. Pas seulement pour concentrer des équipes jusqu'alors disséminées dans toute la métropole lilloise, mais pour créer une nouvelle dynamique d'innovation. Avec une architecture originale, conçue par le cabinet Tank, sous forme de multiples modules réunis par un axe central de près de 200 mètres de long, la rue Louis Lesaffre, du nom du fondateur. « C'est un espace de vie, d'échange et de transmission, pour faire fermenter de nouvelles idées », résume Brice-Audren Riché, directeur général du groupe pour qui ce nouveau campus doit permettre « d'accélérer notre R & D, les innovations et les collaborations, pour aller plus vite ensemble. L'inauguration du campus est une étape historique dans la construction du groupe ». Le format retenu doit permettre la « cross-fertilization » entre les 150 scientifiques présents sur place et les autres collaborateurs, mais aussi les partenaires, dans une logique de recherche ouverte. Le groupe affiche 60 partenariats avec des universités, start up ou autres plateformes.

L'investissement consenti dans l'opération n'est pas dévoilé, pas plus que l'investissement global du groupe, sa part de chiffre d'affaires consacrée à la R & D ou encore moins sa rentabilité. Après bientôt 170 ans d'existence, le groupe demeure très jaloux de ses secrets, une attitude qui lui a manifestement plutôt bien réussi jusque là. Mais Lesaffre a néanmoins ouvert largement ses portes pour expliquer les enjeux de ce nouveau siège. Le cœur de la nouvelle turbine est baptisé la bio-fonderie (lire encadré). Mais le site comprend quantités d'espaces de recherche-développement, près de 500 machines au total, notamment au sein d'un grand laboratoire de fermentation de précision.

«Potentiel infini»

Les perspectives sont considérables. Le potentiel de la fermentation et des micro-organismes est même « infini », selon Brice-Audren Riché. Dans l'activité de panification qui représente encore le métier principal de l'entreprise, les micro-organismes vont apporter des qualités de goût, d'arômes, notamment. En nutrition-santé-biotech, Lesaffre ouvre son spectre à 360°. On trouve ces micro-organismes dans le substitut à des pesticides chimiques, des alternatives d'arômes ou de molécules naturels : vanilline, vitamine C par exemple. Ils vont trouver de multiples usages pour la santé humaine ou animale en confortant le microbiote, en évitant le recours aux antibiotiques. Certains dérivés de levure vont permettre de réduire le taux de sel ou de sucre tout en préservant le goût. D'autres vont permettre de réduire le taux d'alcool de la bière. D'autres encore vont être utilisés pour la production d'éthanol biosourcé. Le potentiel apparaît d'autant plus immense que l'être humain et les organismes vivants sont eux-mêmes issus de ces micro-organismes : le terrain de jeu est colossal, bien au-delà du levain pour faire lever la pâte à pain.

Ce campus va nourrir le développement d'un groupe lui-même en pleine croissance. A l'international, il va ouvrir deux nouvelles usines en Indonésie (2023) puis au Brésil un an plus tard, tandis que d'autres projets sont en gestation, annonce Thibaut de Ladoucette, président de Lesaffre. En France, le groupe va se doter d'une usine sur une friche industrielle à Denain, pour y produire de la chondroïtine sulfate. Un produit bénéfique aux articulations et qui se substituera à des fabrications réalisées aujopurd'hui à base d'aileron de requin. Ce projet, dont les travaux doi- vent débuter en 2024, devrait générer 400 emplois.

 

LE SAINT DES SAINTS : LA BIOFONDERIE

Il s'agit d'un espace de pas moins de 60 machines et robots capables de miniaturiser, tester et « screener » à des vitesses phénoménales. De quoi cribler, analyser et établir la fiche d'identité et le potentiel fonctionnel de millions de micro-organismes. Objectif : sélectionner les plus intéressants pour leurs qualités de fermentation, de goût, de nutrition, voire leur capacité énergétique ou leur impact physiologique sur l'homme, l'animal ou la plante. Autant dire que l'outil, qui n'a que quatre équivalents au monde et aucun en Europe (privé et public confondus), est crucial pour nourrir l'innovation du groupe. « C'est un atout concurrentiel majeur », souligne Brice-Audren Riché. Et le dispositif, à peine installé, est encore loin de ses pleines capacités. « On est passé de 10 000 souches screenées par an il y a dix ans à 10 000 souches par mois il y a cinq ans. Avec cette biofonderie, on est monté à 10 000 par jour et l'ambition est de passer à 100 000 », décrit Christine M'Rini Puel, directrice R&D