LOGISTIQUE LA RÉGION SURFE SUR LA VAGUE DU CONTENEUR

Autoroutes ferroviaires, transport combiné, terminaux à conteneurs : les acteurs publics comme privés de la région prennent clairement le train de la massification des flux, avec de lourds investissements, avant même le canal Seine Nord. Focus sur un mouvement de fond parfois peu visible.

 

Prenez une situation géographique exceptionnellement favorable aux portes de l'Europe du Nord ; un bassin de consommation de presque 80 millions de personnes à fort pouvoir d'achat dans un rayon de 300 km ; une tendance de fond à décarboner le transport ; une saturation routière et une pénurie massive de chauffeurs en Europe, la première façade maritime du pays et un réseau fluvial dense : tous les ingrédients sont réunis pour faire de notre région logistique un haut lieu des caisses mobiles et du report modal. En clair : un boulevard paraît ouvert pour la voie d'eau et les autoroutes ferroviaires.

D'autant que les compagnies maritimes poussent toujours plus loin le curseur du transport conteneurisé, avec le développement de mégamax ou ULCS (Ultra Large Container Ships). Le mouvement a du reste déjà démarré. Bloqué autour des 200 000 conteneurs pendant des années, le port de Dunkerque va investir lourdement pour raisonner en millions de boîtes à moyen terme (lire par ailleurs). Les lignes ferroviaires sur lesquelles les camions peuvent embarquer commencent à se développer comme à Calais il y a quelques mois, avec la filiale dédiée de la SNCF, VIIA. Après une première ligne vers le Boulou (près de Perpignan), la deuxième autoroute ferroviaire s'est donc lancée vers l'Italie. Les plateformes multimodales connaissent une montée en régime indiscutable depuis quelques années. 16 ans après sa création ex nihilo, la plateforme Delta3, à Dourges, est quant à elle devenue un haut lieu de la massification des marchandises. « La géographie compte vraiment", insiste son directeur commercial Xavier Perrin. Le site traite pas moins de 6 trains par jour, dans les deux sens, couvrant l'axe Nord-Sud.

« On constate une rupture de tendance depuis 2015. Le marché fluvial du conteneur connaît une croissance à deux chiffres », se réjouit ainsi Guy Arzul, directeur du développement de la voie d'eau chez VNF (Voies Navigables de France). Le trafic fluvial en région atteint 14 millions de tonnes, dont 108 000 conteneurs. Les chiffres sont encore modestes, mais la montée en puissance est nette, portée par des choix d'acteurs importants. Ainsi de la Société de Recherche de Synergies (SRS), qui centralise les achats de transports d'une trentaine d'enseignes de la galaxie Mulliez. Le groupe sucrier Tereos est entré à son tour dans la danse l'an dernier, pour envoyer à l'export de très gros tonnages conteneurisés. Depuis quelques mois, la Foir'fouille utilise aussi une barge entre la plateforme multimodale Delta 3 et le port de Dunkerque. Le métallurgiste ArcelorMittal a choisi de quitter progressivement le port d'Anvers pour Dunkerque pour gérer certaines ex- portations de bobines d'acier vers l'Inde et la Chine.

Le géant des ingrédients alimentaires Roquette est quant à lui engagé dans un projet de délestage fluvial vers le port de Santes via Béthune. Ports de Lille construit un entrepôt dédié de 48 000 m2 à Santes. Le trafic ainsi envoyé sur le fleuve pourrait atteindre les 10 000 EVP annuels à compter de 2020.

Extension de Saint-Saulve

«Il y a non seulement un potentiel mais aussi une demande des chargeurs à basculer de la route vers le transport combiné », confirme Gilles Bredel, directeur de Contargo North France. « Notre terminal est saturé, on refuse du trafic », poursuit-il. Installé sur le port fluvial de Saint-Saulve depuis 2015, Contargo a doublé son trafic depuis et revendique déjà la quatrième place française des terminaux fluviaux, derrière Paris, Strasbourg et Lyon. Le site pèse à lui seul la moitié du trafic fluvial des conteneurs en région. Un programme d'extension est d'ores et déjà en cours, avec un allongement de 100 mètres du quai, une extension du terre-plein de stockage de 17 000 m2, et la création d'un atelier de maintenance de conteneurs. Une fois le chantier achevé, fin 2020-début 2021, la capacité du site sera portée autour de 160 000 EVP. Les opérateurs privés sont d'ailleurs confiants, à l'instar de Combipass, loueur de conteneurs et châssis, qui étend son implantation à Dourges en direction des transports internationaux. «On incite beaucoup de nos clients en pénurie de chauffeurs, ou des industriels, à tester des solutions de stockage mobile et de transport combiné », explique Gilles Delvigne, directeur de la société, qui compte renforcer sa présence dans le Nord et ses équipes. Elle va d'ailleurs investir dans 10 à 12 000 m2 d'ateliers.

500 000 chauffeurs manquants

« Nous sommes confiants dans l'avenir pour plusieurs raisons, relève Aurélien Barbé, délégué général du Groupement National du Transport Combiné (GNTC). D'abord la grande pénurie de chauffeurs routiers et de conducteurs – il en manque 25 000 en France, 500 000 dans toute l'europe. ensuite, la question environnementale. De plus en plus de chargeurs, d'industriels et de transporteurs veulent verdir leur activité, ce que nous leur apportons ».

La filière routière demeure aujourd'hui ultra-dominante, avec 88% des marchandises trans- portées. Mais le fer mord de plus en plus, avec 10% des volumes. Et la part du fluvial ne demande qu’à progresser. Si le canal Seine Nord, enfin entériné, ne sera opérationnel qu'à une échéance encore trop lointaine (2028) pour les acteurs économiques, la structuration de l'hinterland régional à travers Norlink Ports, depuis deux ans, apporte une première réponse cohérente.

« On s'inscrit clairement dans une volonté régionale de devenir un hub logistique », confirme Luc Foutry, président de la commission transports au Conseil régional, qui pointe l'encombrement des ports belges et néerlandais. « On aura à jouer la carte de la complémentarité ».

Plan national stratégique

« Si on considère toute la région, on va devenir un pôle logistique majeur en europe, c'est clair, affirme Xavier Perrin, de Delta 3. Il y a le savoir-faire, l'expertise, et pas seulement l'argent pour construire les mètres carrés. Il y a ici les acteurs qui savent gérer les flux ». Ce n'est sans doute pas un hasard si c'est sur la plateforme Delta3 que vient d'être conduite par la société d'ingénierie Gaussin une première mondiale, un véhicule portuaire autonome, circulant sans capteur au sol et sans chauffeur. Le projet a mobilisé plusieurs partenaires dont Polytech Lille.

Derrière ce nouvel engouement, certains se montrent vigilants. A commencer par la profession. « aujourd'hui, il n'y a pas de coordination nationale pour les plateformes. Nous demandons un plan national stratégique pour un réseau de transport combiné », plaide Aurélien Barbé, du GNTC. Qui en appelle aussi à la création de sillons ferroviaires dévolus au fret, voire à des sillons de jour. « La massification est essentielle. si chacun veut sa plateforme multimodale entre la mairie et l'église, c'est démassifier le transport combiné et c'est donc le tuer », avertit Gilles Bredel, de Contargo à Saint-Saulve.