Louvre-Lens : Enfin, le déclic ?

Beaucoup se souviennent d'une séance mémorable au conseil régional, en septembre 2008. Ce jour là, Daniel Percheron, atterré de l'immobilisme local en dépit de l'arrivée du plus grand musée du monde dans la conurbation de Lens, organise une réunion pour placer le territoire devant ses responsabilités. " La greffe peut-elle ne pas prendre ? " interroge-t-il alors publiquement, demandant à la communaupôle Lens-Liévin de mettre 100 M€ sur la table en développement local pour accompagner cette opportunité historique. L'angoisse absolue ? Que le Louvre soit un Ovni culturel d'exception au coeur d'un urbanisme fatigué et d'une population indifférente, et sans prise sur le développement économique.

Trois ans plus tard, le musée file bon train. " Nous tenons les délais, on pourra inaugurer le 4 décembre 2012 ", soutient-on à l'hôtel de région. Le principal bailleur de fonds de ce projet à 150 M€ n'a pas d'inquiétude -personne n'en a- sur l'attractivité de ce futur équipement ni sur sa fréquentation qui dépassera certainement les très prudents 500.000 visiteurs annuels initialement espérés. En revanche, la circonspection reste de mise sur la capacité du territoire à mettre en route un cercle vertueux de développement. La première étape, la création d'une structure de gouvernance, Euralens, a permis de poser les premiers jalons, sous la direction du grand urbaniste de renommée internationale Jean-Louis Subileau. Le schéma directeur d'Euralens devait être présenté le 8 juillet, offrant au territoire une perspective forte, par cercles concentriques. La double signature Portzamparc-Desvignes apporte une vraie dimension à ce projet. La labellisation " Euralens " d'opérations menées sur les deux agglos de Lens-Liévin et Hénin-Carvin devrait là aussi donner un souffle nouveau.

C'est peu dire que ce dernier est attendu. Car Euralens devait au départ travailler sur trois sujets : le projet de tramway, les éco-cités du XXIe siècle, et le futur axe de transport. Le premier (pour la première ligne) est en stand-by, les études viennent d'être suspendues pour remettre l'ouvrage sur le métier. Et les éco-cités n'ont pas connu l'embryon d'un commencement. Le projet de RER Lille-Bassin minier est quant à lui posé, mais sur une perspective de long terme. " Le territoire ne se mobilise pas ", déplore un proche du dossier sous couvert d'anonymat.

Et l'économique dans tout cela?

C'est Isabelle Pétonnet, sous-préfète de Lens, qui conduit depuis un an un travail intense et unanimement reconnu d'animation d'une commission d'Euralens sur le développement économique. Il en est sorti une série de 80 propositions (lire Eco 121 n° 4) et l'ambition de développer cinq clusters, sur le modèle de ce qui a réussi à Bilbao (le fameux " effet Guggenheim "). " C'est un travail techno bien fait, mais elle n'a pas réussi à le vendre aux élus ", note le même responsable.

"Bilbao, ça s'est fait en dix ans", rétorque la sous-préfète. Et des premières mesures sont déjà adoptées, avec des moyens fléchés depuis les conventions de revitalisation du territoire. Un chargé de mission a été recruté par le CDT pour créer la destination Louvre-Lens. Un consultant est mandaté par Euralens pour la communication. Une assistance à maîtrise d'ouvrage est également sur les rails pour un futur pôle des métiers d'art, qui pourrait permettre l'émergence d'un institut de formation.

" Je fais le constat que les choses devraient bouger plus vite. L'apport de personnes venant de l'extérieur pour apporter leur bonne volonté n'est pas inutile ",indique Philippe Vasseur, nouveau président de la CCI de région, tout en prenant grand soin de ne donner de leçon à personne. L'ancien ministre apporte sa pierre à l'édifice en ouvrant au premier juillet une antenne de la CCIR dédiée au Louvre-Lens, confiée au très efficace Sylvain Kleczewski, qui présente en outre le grand avantage d'être un pur Lensois (photo).

Hébergement déficitaire

Parmi les enjeux majeurs figure la dynamisation du secteur commercial et de l'hôtellerie, et rapidement : que faire des centaines de milliers de visiteurs qui, ayant achevé leur visite du musée, vont déambuler dans une ville sans armature touristique adaptée ? " L'hébergement est déficitaire aujourd'hui pour accueillir dans de meilleures conditions les visiteurs et les garder le plus longtemps possible ", reconnaît Édouard Magnaval, président de la CCI d'Artois et ancien président de celle de Lens, qui a multiplié les visites en délégation à plusieurs territoires. Mais l'élu consulaire souligne aussi qu'une étude conduite sur la question par un cabinet parisien n'a pas décelé beaucoup de besoins quantitatifs en hôtels 1, 2 ou 3 étoiles. Pour les quatre étoiles, " quatre chaînes veulent s'implanter, dont deux projets ont été validés ", note Guy Delcourt, député-maire de Lens, qui ne rate pas une occasion de souligner le renouveau qu'apporte le changement de présidence à la communauté d'agglomération. " A cause des élus de l'époque, on a pris un retard considérable, c'est exact. Aujourd'hui on se réveille, tant mieux ", lâche-t-il. Édouard Magnaval renchérit, pour la CCI de l'Artois: " On a perdu beaucoup de temps. On va y aller au pas de charge ."

Un pôle numérique de la connaissance?

Une conférence de presse organisée à la va-vite un vendredi soir, sans le moindre document d'appui, et que son principal instigateur, Jean-Pierre Kucheida, président de l'agglo de Lens-Liévin, quitte avant la fin : le moins que l'on puisse dire est que le lancement d'un " cluster " numérique de la connaissance à Lens le 24 juin ne sentait pas le projet abouti, et s'apparentait davantage à une pétition d'intention qu'à la pose réelle des fondations.
Pour autant, l'idée d'un pôle d'activité autour du numérique culturel, déjà posée par le rapport Pétonnet, n'est pas absurde.

Quatre ou cinq niches

Raouti Chehih, directeur d'Euratechnologies (et originaire lui aussi de ce bassin) prête son concours et son expertise pour amorcer la pompe après un travail de benchmarking. " Il y a une vraie opportunité sur la numérisation du patrimoine. On va chercher les 4 ou 5 niches pas couvertes et voir comment on peut avoir une spécificité " , explique-t-il, faisant référence aux besoins numériques des 42 musées de la région, mais aussi aux ressources existantes dans le territoire. Ce dernier compte notamment le leader de la numérisation documentaire, Jouve-Safig (Eco 121 n°11) mais aussi des compétences universitaires et de recherche pointues. Et la société Doublet vient de décider l'implantation sur place d'une activité liée à la numérisation des œuvres en grand format. Une cellule de préfiguration sera installée très vite dans l'école Paul Bert de Lens avant qu'un grand incubateur de 3000 m2 soit créé à Avion, sur la zone de la Glissoire, sous l'égide de l'intercommunalité. Jean-Pierre Kucheida évoque sans ciller une perspective de 1000 à 1500 emplois dans ce cluster. On aimerait y croire.