Michel Camdessus "Tous les problèmes sont à géométrie mondiale"

 « Nous parlons à une heure critique de l'histoire de l'Europe », commence l'économiste, auteur avec 24 autres experts mondiaux d'une étude de 1500 pages. Et auteur sous sa seule plume d'une synthèse « Vers le monde de 2050 » qui met en lumière onze mégatendances qui dessinent le visage de notre planète demain : démographie, urbanisation galopante, montée d'une classe moyenne mondiale, progrès technologique fulgurant... Alors que l'Europe est confrontée à des forces centrifuges - Brexit, vote italien, ultimatum de la CSU en Allemagne...- et que la géopolitique mondiale paraît pour le moins instable, entre guerre commerciale, rapports de force, flux migratoires massifs et monde multipolaire, un peu de hauteur de vue ne nuit pas. Or le premier péril, pour Michel Camdessus, est précisément « le court termisme des dirigeants », lié à la pression électorale. « or les problèmes qu'on découvre pour l'avenir du monde requièrent une réponse de long terme », martèle-t-il. « Paradoxalement, les coups de boutoir portés à l'europe par les tweets du président américain peuvent aussi être l'occasion d'un sursaut européen, d'un retour à ses valeurs fondatrices ». Mais dans une perspective longue,« l'hypertendance majeure, c'est la démographie. On va vers un monde de 11,2 milliards d'habitants en 2100, dont 4,4 milliards pour l'Afrique, à 16 miles de nos côtes, alors que notre continent aura perdu 80 millions d'habitants ». La réponse ne peut être que d'agir ensemble au développement de l'Afrique, souligne-t-il, pointant aussi bien sûr le défi climatique, la finitude des ressources, les risques épidémiques...

 

“Frankenstein est derrière la porte”

L'intelligence artificielle peut-elle être laréponseàtousnosmaux? «On ne peut pas ne pas être grisé », répond-il, évoquant tour à tour l'intelligence artificielle, le numérique, les sciences de l'information, les formidables avancées des sciences médicales. «En revanche, tout ceci contient aussi des dangers formidables. D'abord les délires du transhumanisme : Frankenstein est derrière la porte. De nom- breux laboratoires travaillent sur les modifications de l'humain, il y a de quoi trembler. ensuite le risque des utilisations militaires de ces avancées ». Parmi lesquelles l'émergence de robots tueurs pour la guerre de de- main.
Comment juguler tous ces risques ?« Il faut une meilleure gouvernance mondiale, l'autorégulation contre l'utilisation perverse de la science ». Pour Michel Camdessus, le G20 n'est plus légitime. Selon lui, il faudrait instituer une rotation pour que tous les pays puissent siéger à ce « directoire mondial », mais aussi modifier le conseil de surveillance des Nations Unies, « renforcer et rendre plus légitime le FMI et la Banque Mondiale, en changeant les modes de représentation ».
Michel Camdessus reste résolument convaincu qu'une grande part de la réponse est en Europe. L'euro, « formidable instrument de discipline collective », doit trouver sa place alors que nous allons vers la fin du dollar.« Sans l'euro, nous ne serons pas à la table ! Si la France reste seule et que l'Europe politique ne se fait pas, nous pèserons en 2050 dans le concert mondial ce que pèse aujourd'hui la Thaïlande. Qui se soucie de ce que pense la Thaïlande sur les affaires du monde ? »

OD