Mobilisation générale sur nos coeurs de villes

Ci-contre la transformation du rez-de-chaussée de l'hôtel consulaire de Lille en cellules commerciales. Ci-contre la transformation du rez-de-chaussée de l'hôtel consulaire de Lille en cellules commerciales.

Fragilisés par les centres de périphérie et par l'essor fulgurant du e-commerce, les commerces de nos centres-villes asphyxient. Plan national, nouveaux dispositifs régional, locaux, la bataille est engagée pour régénérer nos villes.

«Il faut arrêter le massacre », lançait comme un cri d'alarme il y a quelques mois Patrick Vignal, président de l'association Centre-ville en mouvement. Les chiffres sont en effet implacables. La dégradation de la vitalité commerciale est continue dans les centres des villes moyennes. Elle commence à affecter aussi les grandes villes, sous l'effet des zones commerciales de périphérie, multipliées jusqu'à plus soif, la disparition de services publics intra-muros, ou l'implantation d'équipements publics en extérieur, et bien sûr l'explosion du e-commerce.

Depuis 2010, le taux de vacances des villes a augmenté d'un point par an, pour atteindre 11,3% en 2016 dans les zones urbaines de plus de 25000 habitants, selon l'institut pour la ville et le commerce. Certaines anciennes rues passantes se retrouvent jalonnées de dents creuses aux façades léproïdes, entraînant un mouve- ment délétère et irrépressible de chute d'attractivité. Depuis 1995, l'Etat avait déployé le Fisac, fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce. Utile mais insuffisant face à l'ampleur du phénomène. En mars dernier, le gouvernement a lancé un programme d'une tout autre ampleur, Action Coeur de ville, doté de 5 Mds€, pour revitaliser les villes moyennes. 222 précisément, dont 22 en Hauts-de-France. La Région a décidé d’accompagner cette démarche, mais aussi d'initier un dispositif complémentaire au profit d'autres pôles de centralité, non retenus à l'échelon national. Un appel à projet régional sera lancé début 2019 selon des modalités précisées à l'issue des Assises régionales du commerce et de l'artisanat de centre-ville, démarrées à Bapaume le 14 novembre. Xavier Bertrand y a annoncé une enveloppe très substantielle de 60 M€ pour cette nouvelle stratégie.

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La métropole lilloise n'échappe pas à la tendance nationale. Aussi la MEL a-t-elle décidé de créer un fonds de concours dédié de 500 K€ pour le financement d'études techniques préalables, l'acquisition de murs commerciaux, la construction ou la rénovation de locaux. Elle teste aussi un nouveau dispositif« Ma boutique à l'essai », porté par la Fédération des boutiques à l'essai. Les porteurs de projet pourront tester leur concept dans un local vacant pendant 6 mois, renouvelables une fois, à des conditions avantageuses (loyer modéré, prêt d'honneur à taux 0...) avec l'objectif de pérenniser le commerce dans le local identifié par les communes volontaires.

Vulnérabilité

Si la problématique touche d'abord les collectivités de taille moyenne ou petite, la capitale régionale est aussi impactée par ces bouleversements de fond. Ville commerçante depuis toujours, elle traverse depuis quelques années des temps compliqués, que confirment des pas-de-porte à céder ou à louer, les difficultés récurrentes du centre des Tanneurs (en cours de rachat), et un taux de vacance à la hausse. « Lille est une agglomération à l'architecture commerciale forte, mais dont le centre- ville reste un peu décevant, qui demeure difficile d'accès et est confrontée à une périphérie commerciale forte », analyse Emmanuel Le Roch, délégué général du cabinet spécialisé Procos.

« Difficile d'accès », le sujet fait polémique depuis deux ans, quand la mairie a décidé de transformer radicalement le plan de circulation de la ville. Après une courte phase de congestion intense, quelques adaptations ont été apportées et la situation s'est détendue. La ville a en outre élaboré un programme up commerce ! pour appuyer les commerçants, par l'aménagement urbain et la qualité de l'espace public, avec une vingtaine de places de stationnement Shop and Go, le déploiement annoncé d'une Market Place, la valorisation des commerçants dans les outils municipaux de communication...

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Accessibilité

Mais le lancement de travaux dans la foulée dans le Vieux-Lille notamment a à nouveau crispé les professionnels. D'autant que les chiffres de l'observatoire commercial de la Ficomel fait apparaître la vulnérabilité du tissu économique, dont le chiffre d'affaires décline depuis deux ans (encore - 8% en septembre). « Le taux de vacance à Lille reste acceptable, largement au-dessous des villes moyennes, et passe de 5% en 2011 à 7% aujourd'hui, mais au-dessus de Lyon, Nantes. c'est un vrai sujet de préoccupation qui nécessite de regarder les choses. L'attractivité mass market accrue d'euralille avec l'arrivée de Primark a nui à la rue de Béthune dont le chiffre d'affaires, avec l'épisode du 31, est nettement inférieur à ce que les acteurs du commerce pourraient espérer», décrypte Emmanuel Le Roch, qui insiste sur l'accessibilité. « Même si cela ne fait pas plaisir, la facilité d'accès est un sujet prioritaire. Sous-estimer ce problème et mettre de l'argent pour réaliser de beaux espaces publics pour exemple sans tenir compte de cet aspect en priorité est voué à l'échec. Si les gens rencontrent des difficultés pour s'y rendre, ils n'iront pas...» Or deux sondages coup sur coup réalisés l'un par la Ficomel (Fédération commerçante du cœur de ville), le second par la Voix du Nord le confirment : le plan de circulation a affecté les comportements des clients. 67 % des 1 246 sondés de la Voix disent avoir réduit leur activité shopping à Lille et indiquent consommer de la même façon mais ailleurs qu'à Lille.

«Arrêtez de savonner la planche sur laquelle vous êtes assis... Cela renvoie une mauvaise image de la ville et du commerce, » critique Franck Hanoh, adjoint en charge du commerce à la mairie de Lille. Romuald Catoire, président de la Fédération Lilloise du Commerce (14 unions commerciales), voit quant à lui dans le plan de circulation non un problème, « mais une opportunité pour faire venir dans le Vieux-Lille », car « le commerce ne se construit plus exclusivement autour de l'auto. »

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Au demeurant, plusieurs événements importants devraient apporter une sérieuse bouffée d'oxygène au commerce lillois : l'arrivée du 5e Mama Shelter de France prévu en 2019, la reconversion de la friche Galeries Lafayette rue de Béthune (le « 31 ») en 10 000 m2 de commerces en façade par Redevco, l'avènement du plus grand Zara de France, la transformation du rez-de-chaussée de l'hôtel consulaire en pôle commercial haut de gamme, ou encore l'ouverture du Lillenium à Lille Sud. Ce dernier projet, associé au futur complexe Pathé, ne fait toutefois pas l'unanimité, certains redoutant un effet de pompe aspirante au détriment du quartier Gambetta en particulier. Lille est« devenue une destination économique crédible et donc attractive », tranchait Martine Aubry, le 24 septembre lors de la Soirée des Commerçants. Certes, mais le commerce connaît une telle mutation qu'il a besoin d’aide notamment pour se digitaliser.

« Les commerçants de grandes enseignes sont déjà accompagnés en interne. Nous voulons absolument accompagner les indépendants, qui sont les vrais commerçants qui permettent de faire vivre notre ville », souligne Yann Orpin, président de la CCI Grand Lille. Un dispositif élaboré avec la Région permet de financer à 80% l'ingénierie pour conseiller les commerçants en vue de créer un site Web, pour moins de 2000 € à leur charge. « Cela les incite ensuite à repenser l'intérieur de leur magasin », se réjouit l'élu consulaire, satisfait des tout premiers résultats. Au-delà, la perspective d'une «marketplace» lilloise réunissant les différents commerces est en gestation depuis trois ans. Mais elle ne réussira qu’en générant du flux en ligne. Pour regagner une attractivité collective face aux pure-players du web et aux complexes commerciaux de périphérie.

Luc Maréchal