“Notre re?ve serait d'aboutir a? la valle?e de l'e?colonomie” Emmanuel DRUON, POCHECO

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Vous e?tes entre? chez Pocheco il y a 20 ans et vous l'avez rachete?e a? votre pe?re en 2008. Quel regard portez-vous sur ce parcours ?
Il faut pluto?t revenir 40 ans en arrie?re. La premie?re fois que je suis entre? chez Pocheco, j'avais onze ans, et ce moment a de?termine? une bonne partie de mon existence. On a des jours importants dans sa vie comme ce matin de juin 1976. Je suis arrive? avec mon pe?re, il y avait cette belle lumie?re de fin de printemps, la journe?e n'e?tait pas encore chaude mais on sentait qu'elle serait tre?s agre?able. Il y avait a? l'entre?e du site un faux cypre?s dans lequel j'avais le sentiment d'un million d'oiseaux qui s'e?gayaient. J'ai eu cette premie?re impression d'entrer dans un lieu un peu retire?, plein de verdure, de vie. Et en avanc?ant de quelques me?tres, j'ai ce souvenir du mur de brique de?ja? un peu chauffe? qui commençait a? sentir le sable tie?de. Et puis de l'entre?e de l'atelier, des odeurs de graisse, du bruit des machines et des sourires des gens. Pocheco ce jour la? s'est inscrit comme c?a dans mon cœur et dans mes tripes. Je m'aperc?ois a? 50 ans que je n'ai eu de cesse depuis cette journe?e de composer une partition qui consiste a? me rapprocher le plus possible de la sensation que j'ai ressentie ce jour la?.

Vous avez the?orise? « l'e?colonomie » qui vise a? entreprendre sans de?truire, qui vous a valu un te?moignage remarque? dans le film « Demain ». Comment avez-vous fait ?
Il a fallu fe?de?rer des talents, ce que j'aime faire, mettre en de?bat le projet et le construire avec une dynamique telle qu'on n'est jamais reste? sur place. On a de?fini notre de?marche de manie?re empirique. Dans le capitalisme de Schumpeter de la destruction cre?atrice, on est dans une forme de brutalite?. Dans l'e?colonomie, on est pluto?t des enfants de 11 ans, de cette pe?riode enchanteresse de la vie ou? on de?couvre a? la fois l'astronomie, la profondeur du ciel la nuit, la distance incroyable des e?toiles, mais aussi le microcosmos, ce qui se passe dans l'herbe, les fore?ts, les plages de sable et la vie qui se de?ploie.

Avez-vous mis Cousteau dans Pocheco ?
Exactement ! C'est la bonne question. Est-ce que Hubert Reeves, Nicolas Hulot, Jean-Jacques Rousseau, Voltaire, Montesquieu, Gide, Gracq, Genet, Colette sont entre?s chez Pocheco ? Autrement dit, peut-on envisager l'entreprise non pas comme un lieu de destruction mais de cre?ation, de cre?ativite?, d'imagination, dans lequel il serait possible de tenter l'aventure de l'intelligence humaine, sans brutalite??

Ce discours est pluto?t atypique. Comment l’avez-vous mis en pratique ?

La particularite? du parcours qu'on a construit avec mes colle?gues est pre?cise?ment que nous ne sommes pas seuls et que nous sommes solidaires. C'est fondamental et fondateur. Pour ce projet d'e?colonomie, nous nous appuyons depuis 20 ans sur le savoir-faire des services publics franc?ais, depuis le conservatoire de botanique de Bailleul a? la Dreal en passant par l'Agence de l'Eau. Dans la gestion de l'entreprise, le meilleur auditeur financier que j'ai rencontre? n'est pas EY, c'est l'E?tat franc?ais ! Pour moi, un contro?le fiscal est la garantie d'avoir le jugement de l'E?tat franc?ais, le plus inte?gre et le plus pur qui soit, sur ma gestion. Pourquoi se de?fier des autres?

Beaucoup de dirigeants sont a? l'inverse se?ve?res avec la sphe?re publique, souvent juge?e pesante...
Il faut un syste?me dans lequel il y a des re?gles. Qu'elles doivent e?voluer re?gulie?rement, certainement. Mais c'est une illusion de penser que l'on vivra sans re?gles. On peut ra?ler, lutter, contrecarrer; la dispute peut e?tre cre?atrice a? condition qu'elle ne soit pas bloquante et scle?rosante. L'administration franc?aise empe?che de sortir des clous de la re?gle commune, pas de cre?er, j'en suis la preuve vivante. A aucun moment on n'a cru ne?cessaire de suivre la me?me voie que tout le monde. On s'est affranchis de ce qui est conventionnel. Qu'on ne me raconte pas qu'il n'est pas possible d'e?tre cre?atif en France. Chez Pocheco, en respectant la loi, en e?tant inte?gre, nous avons pu de?ployer des multiples solutions et jamais personne ne nous a interdit de le faire. On discute avec l'administration.
Les libe?raux de?mocrates d'aujourd'hui conside?rent qu'il y a trop de re?gles. Avec le risque de cre?er les conditions de la jungle.

Prenons l'exemple des seuils sociaux. Passer de 49 a? 99 salarie?s serait instituer la loi de la jungle ?
C'est un non sujet, sans inte?re?t, au vu des sujets socie?taux auxquels nous sommes confronte?s! Si les entreprises n'embauchent pas au-dela? de 49, c'est qu'elles n'ont pas pris le recul ne?cessaire pour regarder ce qui compte vraiment. A savoir, nous espe?ce humaine, nous occidentaux en particulier, serons-nous capables dans les 20 ans qui viennent de changer nos habitudes, sans faire la re?volution, sans e?tre punitifs, sans e?tre dans la souffrance, de mettre notre intelligence collective au service de cette transition qui permettra aux espe?ces vivantes de rester vivantes ? Regarde-t-on le petit bout de la lorgnette, les 49 ou 51 salarie?s, ou bien monte-t-on au balcon pour regarder la ve?rite? du monde : les enfants de vos lecteurs vont- ils vivre dans un monde ou? le seuil de bas- cule climatique sera de?passe? ou pas ?

La re?ponse peut-elle venir du politique ?
Stop ! Il faut arre?ter c?a aussi ! C'est trop facile de se de?barrasser du proble?me en disant, ce n'est pas moi, c'est l'autre. La responsabilite? individuelle est fondamentale. Ce n'est pas de la philosophie. Ici on fabrique des enveloppes en papier, 2 milliards par an, nous sommes tre?s concrets. Simplement, nous avons re?duit une injonction paradoxale principale qui nous rend tous fous : nous avons conside?re? qu'il faut que le travail ait du sens, non par l'accumulation des richesses par quelques uns ou par le simple traitement des questions techniques du quotidien.

La souffrance collective, que ce soit le burn out ou l'e?puisement des ressources, sont a? peu pre?s le me?me sujet. Tout le syste?me est en train d'aller dans le mur, en klaxonnant. On peut ra?ler contre les institutions et re?clamer que les politiques fassent ceci ou cela. Mais on n'est jamais mieux servi que par soi me?me. Si on conside?re que l'environnement est une question de survie, alors mettons-nous a? son service.

Sans vos de?marches d'e?colonomie, ou? en serait Pocheco ?
Elle aurait de?pose? le bilan depuis 20 ans! C'e?tait une question de survie, la cre?ativite? nous a permis de nous en sortir, et de nous libe?rer des dogmes paradoxaux, notamment de celui de l'accumulation. Il ne s'agit pas que des dividendes mais aussi de l'e?chelle des salaires, limite?e chez nous de 1 a? 4. Si vous mettez l'argent a? sa place, vous libe?rez tout le reste. Il faut se retirer du bras cette espe?ce de seringue de l'addiction au fric facile. Donner du sens aux choses sans faux semblant, sans ostentation, donne des satisfactions d'un autre ordre, de celui de la reconstruction inte?rieure. Notre socie?te? est confronte?e a? une sorte de de?construction par l'obligation consume?riste. Quand vous voyez la souffrance des 8,5 millions de personnes sous le seuil de pauvrete?, des 10 millions de travailleurs pauvres, des 5,6 millions qui cherchent du travail, l'essentiel est-il d'avoir une Rolex a? 50 ans ou de contribuer, a? son e?chelle, a? re?duire cette fracture?

 

L'e?colonomie aurait engendre? 15 M€ d'e?conomies chez Pocheco. Pouvez-vous aller plus loin?
Plus vous vous engagez dans cette forme d'entrepreneuriat, plus les ide?es qui surgissent vous semblent accessibles et plus il est possible de de?velopper. Par exemple, on constate qu'on aura du mal a? augmenter les salaires car le marche? de l'enveloppe est en effondrement. On a cherche? d'autres voies comme la cre?ation d'une association pour se de?placer en ve?hicule e?lectrique a? quatre par voiture. Au lieu de de?penser 400 € par mois pour leur ve?hicule thermique, nos colle?gues de?pensent moins de 100 € avec un ve?hicule e?lectrique qui se recharge sur la centrale photovoltai?que implante?e sur l'usine. Pour certains, l'e?conomie est de 300 a? 500 € par mois.

Vous aviez aussi un projet d'e?olienne...

C'est en cours. Mais entre le moment ou? on de?cide un projet d'e?olienne et celui ou? il se re?alise , il s'e?coule 7 ans en France. C'est tre?s long, mais c?a va se faire. L'e?lectricite? supple?mentaire sera donne?e aux gens du village.

Vous travaillez aussi sur l'agriculture locale, comment ?

Quand on a de?cide? de cre?er « les paniers de Marianne », dans notre association, on a pu travailler avec des agriculteurs du village avec lesquels on a recre?e? une activite? locale. Ils vivaient sous le seuil de pauvrete? avec moins de 200 € par mois, ils sont aujourd'hui au dessus du Smic, nous livrent des produits toutes les semaines, et nos colle?gues repartent avec des paniers de le?gumes de saison pour 7 €. On de?veloppe aussi la permaculture avec la MEL. Ce projet est en cours, en passant d'abord par une e?tape de de?pollution des sols par les moyens naturels, par des centres de recherche publics ou parapublics. Il suffirait de consacrer 10% des terres arables de la re?gion a? cette production pour nourrir l'ensemble des habitants de la MEL avec des produits bio, locaux et de saison, a? des prix attractifs. Ce n'est pas un truc de bobo.

La RSE se re?pand aujourd'hui largement. Qu'en pensez- vous ?
Du discours aux actes, c'est toute la question. La colonne verte?brale chez Pocheco et ses 125 colle?gues passe par faire ce qu'on dit, et dire ce qu'on fait, sans discontinuer. Je ne serai pas se?ve?re ni de?courage? sur le co?te? green washing de certaines entreprises qui s'engagent. Certaines ont besoin des mots d'abord pour ensuite passer a? l'acte.

Vous avez de?ja? commis trois livres pour de?fendre vos ide?es par la plume. Demain par des mandats e?lectifs ?
Je suis forme? par la plume et de?forme? par la plume, j'ai appris a? vivre dans les livres, qui me nourrissent beaucoup. La transmission par l'e?crit a du sens a? notre e?poque et une utilite? structurante pour l'esprit. Que chacun trouve son mode d'expression, si certains se font e?lire tant mieux. Moi, j'ai trouve? mon chemin chez Pocheco et je ne m'en suis pas de?parti. J'ai l'impression d'e?tre utile ici.

Vous avez aussi cre?e? un bureau d'e?colonomie...

Des gens sont venus ici il y a quelques anne?es, et m'ont demande? si on pouvait faire un Pocheco bis. C?a nous a fait re?fle?chir et de la? est ne? notre bureau d'e?colonomie, qu'on a appele? « Ouvert ». C?a a un peu rame? au de?but. Aujourd'hui il fait 1 M€ de CA, nous sommes 8 et on a double? de surface l'an dernier et on double encore cette anne?e. Parmi nos clients figurent L'Oréal, Chanel, mais aussi la MEL, Grande-Synthe, qui ont besoin d'accompagnement concret.

Nous recevons plus de 500 visiteurs par semaine chez Pocheco depuis le documentaire « Demain », cela a d'ailleurs de?veloppe? l'activite?, on en est tre?s heureux, mais surtout on partage. Notre re?ve serait d'aboutir a? la valle?e de l'e?colonomie, qu'on appelle de nos vœux depuis plus de cinq ans, pas de rester la petite entreprise de Forest-sur-Marque qui fait un peu parler d'elle.

Que pensez-vous de la de?marche territoriale de la re?gion autour de la troisie?me re?volution industrielle (TRI)?

Rien ou presque. L'ide?e d'ensemencer le projet de TRI est tre?s intelligente. Je conteste en revanche de faire venir des USA un Monsieur parfaitement imbuvable qui cou?te une fortune a? la collectivite? et tre?s pre?tentieux qui a e?te? un activiste, qui de?clarait il y a vingt ans la fin du travail, et qui e?crit des bouquins que je vous mets au de?fi de comprendre. Cela de?montre qu'on n'a pas confiance dans notre capacite? en re?gion a? faire les choses sans gourou. On me fait intervenir au G7, dans les confe?rences internationales, en Belgique, Allemagne, en Grande-Bretagne car je raconte ce que j'ai fait, c'est la preuve par l'exemple. Dans le Nord, vous avez plein d'entrepreneurs qui sont des taiseux, qui ne se font pas mousser mais qui font le boulot en cherchant des solutions durables. Je n'ai pas besoin d'aller chercher Rifkin ou qui que ce soit d'autres, on a des talents, le savoir ne?cessaire, des e?coles, des jeunes qui ont des capacite?s incroyables. Je pense que ce qu'a fait Monsieur Vasseur est tre?s bien, il a e?te? capable de mettre en œuvre une dynamique, mais il faut qu'il ait beaucoup plus confiance dans nos capacite?s ici me?me. On peut cre?er la valle?e de l'e?colonomie ici et maintenant.

Recueilli par Olivier Ducuing et Etienne Vergne

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