Notre recherche privée se refait une santé

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"Le décalage entre le poids économique de notre région et la puissance de notre recherche-développement est saisissant !", lance Thomas Kimmerlin, ingénieur projets à l'APIM. Au quatrième rang du PIB national, le Nord-Pas de Calais pointe à la ... 21ème place pour ses dépenses relatives de R&D. La recherche privée ne pèse guère dans le tissu productif régional, les entreprises ne totalisant qu'1,1% des dépenses de la R&D privée française.
Côté recherche publique, pas de quoi pavoiser non plus : la région ne pèse que 2,5% des emplois pour un poids démographique de 6,5%, même si les implantations récentes de l'INRIA Lille Nord-Europe, de l'IRCICA et de l'IRI à la Haute Borne à Villeneuve d'Ascq ont un peu amélioré le paysage statistique. Attendons maintenant l'effet levier, que symbolise la création du pôle "Intelligence Ambiante" constitué avec l'institut de microélectronique IEMN, qui commence à susciter de premières "spin-off".

Le Nord Pas de Calais revient de loin. La culture du salariat de masse issu de l'époque de la mine, du textile ou de la sidérurgie a constitué un terreau ingrat pour l'esprit d'entreprise et d'innovation. Depuis dix ans, le climat a changé. Tant du côté des nouvelles technologies que dans les domaines de la nutrition-santé ou de l'agroalimentaire, deux secteurs de choix en matière de recherche privée. Ces deux derniers mobilisent près de la moitié des crédits-recherche de l'Agence Nationale de la Recherche accordés en région. Même constat du côté d'Oseo. "Notre délégation régionale distribue 40 à 50% de ses concours financiers à la nutrition-santé et à l'agroalimentaire", constate Mathieu Defresne, chargé de l'agroalimentaire à la délégation régionale d'Oséo. Une vraie mutation : il y a dix ans, la moitié des entreprises de la bio-santé n'existait pas encore et beaucoup moquaient les champs de betteraves d'Eurasanté. Aujourd'hui, le biomédical apparaît comme le seul secteur à avoir atteint une véritable masse critique en matière de recherche privée avec plus de 1800 chercheurs. Même l'agroalimentaire régional ne pèse pas aussi lourd.

Scissiparité

Les clusters ont joué le rôle de puissants accélérateurs, suscitant de nombreux projets collaboratifs. "Ces socles qui s'appuient sur la recherche publique permettent désormais de féconder le tissus entrepreneurial régional", se félicite Etienne Vervaecke, directeur d'Eurasanté et du pôle NSL. " Les pôles de compétitivité permettent d'agir progressivement par scissiparité et donnent naissance à de nouvelles start-up dont certaines se sont fortement développées".

Quelques illustrations ?
Genfit créée en 1999, spécialiste du diabète, multiplie les programmes de recherche, Osyris, fabricant de lasers médicaux, fondée en 2001 est déjà implantée aux États-Unis ou encore Genoscreen, née à l'Institut Pasteur en 2000, emploie aujourd'hui une vingtaine de chercheurs.
Ces trois-là sont loin d'être isolées. Alzprotect, Macopharma, Aquilab, Mabio International, Diagast, Intech Medical, Silliker... font régulièrement l'actualité. La part de R & D dans leur chiffre d'affaires varie souvent entre 5 à 15%. C'est le cas de Cousin Biotech, spécialisée en textiles chirurgicaux et implantée dans une usine flambant neuve à Wervicq-Sud. Cette PME de 85 salariés pour 12ME de chiffres d'affaires investit 700 000 dans un programme "Adhesix" de pose d'implants viscéraux à base textile, soutenu par le pôle NSL.

Projet BioHub : 90 millions sur six ans

Cette éclosion de nouveaux talents industriels ne doit pas cacher ceux qui ont fait le succès de la recherche privée régionale. A commencer par les poids lourds de l'agroalimentaire comme Roquette, Bonduelle ou Lesaffre, mais aussi des PME-PMI performantes à l'image d'Ingredia (lire ci dessous).<
"Nous sommes là pour préparer l'après crise", explique Christophe Rupp-Dalheim, directeur des programmes "chimie du végétal" chez Roquette qui a lancé en 2006 le programme BioHub (90 millions d'euros sur six ans ). Pour ses 75 ans, le numéro deux européen de l'amidon annonçait le doublement de son budget recherche d'ici à 2013. De 2008 à 2010, il l'a porté de 40 à 50M. Et les 300 chercheurs du groupe de Lestrem viennent d'investir leurs tout nouveaux locaux en novembre 2009.
"Nous avons changé de stratégie en matière de recherche. Nous étions concentrés sur nos propres ressources ; désormais, nous avons décidé de mutualiser nos compétences, de nous ouvrir au monde universitaire et scientifiques en scellant des accords de partenariats avec d'autres industriels", souligne Christophe Rupp-Dalhem.
Plusieurs programmes de recherche seront finalisés d'ici deux à trois ans, à l'instar de la production de nouveaux polycarbonates en substitution aux dérivés pétroliers comme les phtalates. "Pour les seuls phtalates, le marché européen est estimé à un million de tonnes !", précise-t-il.

Nous sommes là pour préparer l'après crise

Plastique vert

Roquette travaille aussi avec Metabolic Explorer, une entreprise de chimie biologique de Clermont-Ferrand, pour la "production préférentielle" de méthionine ainsi qu'avec le hollandais DSM sur un programme "acide glycolique biosourcé". En clair, un projet stratégique de production de polymères à partir du glucose. Dans le même logique, le géant de l'amidon s'associe à la création du Centre d'Applications Industrielles des Matériaux Innovants à Bruay-la-Buissière dans le cadre de l'Institut Français sur les Matériaux Agrosourcés (IFMAS). Objectif : caractériser des polymères végétaux pour le développement industriel de nouveaux matériaux, un projet stratégique proposé au financement du ministère de l'Industrie dans le cadre du grand emprunt.

Une fertilisation croisée

Chez Lesaffre, c'est une task force de 150 chercheurs qui travaille à Marcq-en-Baroeul. "Notre budget R&D avoisine les 15M par an, soit 1,5% de notre chiffre d'affaires", détaille Patrick Taillade, directeur général délégué et patron de la recherche. Le groupe s'est recentré sur son métier : la levure. Il mène ses travaux de recherche dans trois secteurs: la panification, la nutrition santé et les extraits de levure (exhausteurs de goûts ou supports de milieux de culture). Depuis l'interdiction de l'utilisation des antibiotiques dans l'alimentation animale le 1er janvier 2006, les probiotiques offrent un bon substitut, mais ils présentent aussi de grandes vertus dans le domaine de la nutrition santé .
Avec ses programmes Levaci et BetaDiab, Lesaffre vise les maladies inflammatoires chroniques à partir de probiotiques. "Nous avons pris des brevets sur le traitement de maladies inflammatoires chroniques du système digestif comme la maladie de Crohn", précise Patrick Taillade. Bactéries, levures et enzymes peuvent libérer la cellulose de la lignine des plantes et transformer ainsi les sucres en alcool (programme Futurol). Le premier levurier mondial développe enfin des recherches importantes sur les Beta-Glucane pour des applications médicales en direction des diabétiques.

L'arrivée dans la métropole lilloise du siège de Bayer Pharma dans lequel sont menées de nombreuses recherches cliniques, ou du centre européen de R & D du britannique Tate & Lyle participent tout autant de ce souffle nouveau qui balaie la recherche privée régionale, renforce son attractivité et la fertilisation croisée dont l'industrie régionale a tant besoin.

Passer la surmultipliée

Le Nord-Pas de Calais commence ainsi une métamorphose salutaire. Mais avec au moins vingt à trente années de retard au compteur. Comment en rattraper au moins une partie? "Renforcer encore plus notre socle de recherche, faire émerger plus de champions, mais avoir surtout des champions plus forts", préconise Etienne Vervaecke, défenseur du principe d'exemplarité et de l'effet tâche d'huile pour régénérer de l'intérieur toute notre économie régionale.

L'implantation du siège de BayerPharma en région conforte la masse critique d'un secteur de la bio-santé qui totalise 1800 chercheurs.
Crédit : Gérard Tordjmann

Nos six pôles de compétitivité, qui ont en quatre ans suscité plusieurs centaines de millions d'euros de projets collaboratifs, sont un ferment exceptionnel (lire par ailleurs). Les pouvoirs publics sont très conscients de l'enjeu, comme le traduit le très ambitieux plan Innovation lancé en 2008, avec un engagement de 240 millions d'euros.
La région doit en effet changer de braquet. Elle peut croire en ses chances. Comme le pôle NSL qui vient de concourir à un appel d'offres européen sur la nutrition santé aux côtés des centres de recherche de Cambridge, Helsinki, Copenhague ou Wageningen. Un succès la positionnerait parmi les majors européens du domaine, ouvrant de nouvelles prises de conscience et la définition de stratégies pérennes.
Le Nord-Pas-de-Calais doit aussi profiter des opportunités de financement public, qui se feront de plus en plus rares. "Nous ne devons pas passer à côté des possibilités offertes par le grand emprunt", souligne le directeur d'Eurasanté. A charge pour les acteurs régionaux de construire des projets fédératifs efficaces et d'éviter le syndrome du premier plan Campus.

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