Numérique : Lille et le désert régional ?

L’école des métiers du jeu vidéo, de l’animation et du design Rubika forme chaque années plus de 1200 étudiants. L’école des métiers du jeu vidéo, de l’animation et du design Rubika forme chaque années plus de 1200 étudiants.

Derrière la réussite éclatante de l’usine à start up Euratechnologies, les autres territoires régionaux peinent à tirer leur épingle du jeu digital. Le volontarisme prévaut cependant, avec des débuts intéressants à Valenciennes, compliqués à Amiens, prometteurs à Saint-Quentin ou Saint-Omer, mais toujours modestes.

Pour ceux qui ne seraient pas venus dans le quartier des Bois-Blancs à Lille depuis dix ans, le choc serait spectaculaire. Né dans un scepticisme généralisé, Euratechnologies a d’abord réussi la première étape de la transformation d’une ancienne usine textile Le Blan-Lafont en campus de start up à partir de 2009. Mais aujourd’hui, c’est tout le quartier lui-même qui s’est transformé, incarnant la dynamique d’une filière, symbolisée par quelques implantations majeures : IBM, parmi les ténors, Village by CA pour les jeunes pousses pleines de promesses. Et demain, apparaîtra un nouveau bâtiment très original de 23 000 m2, le Wenov, réalisé par Vinci Immobilier pour accueillir un hub dédié à la culture numérique et l’innovation. Autant dire que la montée en puissance du numérique lillois est bien loin de se tarir. Le défi était loin d’être gagné à l’origine, car la filière digitale n’était historiquement pas constituée, malgré la présence de quelques acteurs stratégiques.

Or aujourd’hui Lille est clairement identifiée comme un des hauts lieux du numérique. Les ministres s’y succèdent, les salons comme le forum de la cybersécurité, les projets et les levées de fonds aussi. Pas moins de 200 M€ depuis les débuts d’Euratech, devenu le fer de lance totémique d’une filière régionale de plus de 38 000 personnes et 4 000 entreprises pesant près de cinq milliards d'euros de chiffre d’affaires. En l’espace de sept ans, leurs effectifs ont progressé de 39% entre 2009 et 2016, d’après les derniers chiffres du Syntec Numérique. Et pas moins de 2 200 nouveaux postes sont créés chaque année, qui boostent notamment l’emploi des cadres. Selon l’APEC, les métiers informatiques trusteront à eux seuls 19% des recrutements de cadres en région cette année, contre 16% en 2018.

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Effet de centralité

Cette santé florissante ruisselle-t-elle sur l’ensemble de l’économie régionale ? On en est loin. Les chiffres manquent pour analyser le phénomène finement. Un exemple réussi d’essaimage est le pôle de e-commerce Blanchemaille, articulé avec Euratech. Enfourché par le maire sortant Guillaume Delbar comme un vecteur de rebond de ce qui fut le berceau de la distribution et de la VAD, ce projet génère aujourd’hui ses premiers résultats. Non sans difficultés d’ailleurs, comme en témoigne la restructuration du fabricant de machines 3D Dagoma, qui a dû fortement réduire la voilure. Encore reste-t-on dans le périmètre métropolitain, qui bénéficie par nature d’un effet de centralité et de cristallisation.

Ailleurs, les initiatives sont nombreuses mais très inégales, même si l’on retrouve le même volontarisme partout. A chacun son fablab, comme Fourmies, sa Station, comme Saint-Omer, ou son cluster comme Amiens ou depuis quelques jours l’agglomération de Béthune. Les projets sont émergents mais manquent le plus souvent d’effet de masse pour bien démarrer. Certains territoires ont tourné la difficulté par la spécialisation. Le Valenciennois fut parmi les pionniers à choisir le numérique pour réinventer son ancien modèle minier. Sous l’impulsion de la CCI à l’époque, qui a créé le pôle d’écoles de l’image Supinfocom (devenu Rubika). Le groupement d’écoles est devenu le noyau dur du pôle digital du Hainaut, implanté depuis 2015 dans la Serre Numérique, à Anzin. Avec des appels d’offres réguliers pour attirer sur place des projets venus de toute la France. C’est le même fonctionnement qui prévaut pur la Louvre Lens Vallée sur un positionnement très original, le numérique culturel. Avec des résultats encore bien modestes, malgré la force d’entraînement du Louvre-Lens et sa marque mondiale. « Travailler ensemble n’est pas dans l’ADN de notre territoire et c’est sur ce point qu’il faut avancer », défend Waafa Maadnous sa directrice.

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Prêcher la bonne parole

Même stratégie de spécialisation à Saint-Quentin, où la collectivité a fait le choix de la robonumérique, plutôt prometteur semble-t-il, avec le soutien d’Euratechnologies . Beauvais et Compiègne quant à elles, entendent devenir, côte à côte, les référents de la bioéconomie et de l'innovation agricole. Certains échecs sont cuisants. Calais accueillait en grande pompe en 2014 l'entrepreneur américain John Lewis et son incubateur Tektos. Trois ans et 1 M€ de subventions plus tard, la structure s'est volatilisée, tout comme sa promesse de 250 emplois... Dans la Somme, Amiens Cluster a fait naufrage en toute discrétion. 

Pour autant, le potentiel est là, beaucoup d’acteurs influents de la filière en sont convaincus. "Certains territoires ont une méconnaissance des opportunités qu'offre la filière", juge par exemple le jeune délégué régional du Syntec Numérique Thomas Felfeli, par ailleurs dirigeant de l'éditeur roubaisien de logiciels pour la supply chain Acteos. Le syndicat professionnel entend d’ailleurs multiplier les actions, orchestrées par un référent désigné. Objectif : "prêcher la bonne parole à travers la promotion" sur les territoires éloignés du numérique. Qui, selon Thomas Felfeli, "sont un peu frustrés d'avoir été mis de côté par rapport à Lille". Un gros travail de séduction est à mener donc. De façon "industrielle", estime le Dg d'Euratech Raouti Chehih, pour que la dynamique lilloise se généralise à l'ensemble de la région. Au demeurant, des structures lilloises cherchent à s’ouvrir vers le reste de la région. French Tech a élu Lille comme capitale, accompagnée de quatre "communautés French Tech" : Grand Hainaut, Littoral Hauts-de-France, Artois et Hauts-de-France Sud. De son côté, la MEL multiplie des conventions de partenariat avec d’autres agglos. Le cluster Eurasanté, qui pilote la plateforme de financement Invest’Innov, fait le choix de s’ouvrir aux autres territoires. "C’est un objectif pour 2020, on veut travailler avec tout le monde. Déjà un dossier sur 10 en moyenne provient du versant sud", décrypte Marianne Demeester, organisatrice de la plateforme.

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Vivocaz : De Soissons à Lille

Jean-Charles Roy a créé à Soissons Vivocaz, une start up qui propose une sorte de carnet de santé digital du véhicule (Eco121 n°96). Le projet a été mûri avec le soutien du Grand Soissons, qui l'héberge dans un incubateur, mais aussi Initiative Aisne. Mais pour décoller, qu'il s'agisse de financement ou de recrutement, impossible de rester sur place, reconnaît le chef d'entreprise, qui compte néanmoins y maintenir son siège social. « Une start up avec un produit destiné au grand public, il faut bouger ! C'est Paris ou Lille. Je passe d'ailleurs les deux tiers de mon temps entre Paris, Amiens et Lille. » L'entrepreneur, passé par la plateforme Invest'Innov à Lille, a déjà sécurisé les deux tiers d'une levée de fonds attendue d'1 M€, et obtenu une visibilité qu'il n'aurait pu espérer en demeurant exclusivement sur Soissons.