Numéro #117

Numéro #117 31/01/2022

Edito

Fin du mois et fin du monde

Après les gilets jaunes, les entreprises ? En novembre 2018, la hausse soudaine des carburants, via la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, entraîne un puissant ressac de la France périphérique, pour reprendre la formule du géographe Christophe Guiluy. Les deux injonctions contradictoires de la fin du mois (remplir son réservoir et son frigo) et de la fin du monde (décarboner) avaient alors bien du mal à converger. On se souvient des désordres majeurs qui en ont résulté pendant des mois, transformant Paris en un indescriptible chaos tous les samedis. Il aura fallu un grand débat, et beaucoup de lest lâché par le gouvernement pour sortir de cette crise la plus grave depuis mai 68.

Un surcoût de 3 Louvre-Lens

C'est un étau similaire qui place aujourd'hui nombre d'entreprises dans une équation économique impossible. Bien qu'engagées dans un processus lourd de transformation dans la durée pour se décarboner (l'objet de notre dossier du mois), elles sont rattrapées par une envolée aussi brutale qu'historique des prix de l'énergie, du fait d'un modèle de définition des prix fondé sur l'énergie la plus chère utilisée dans la dernière heure. De quoi mettre à mal leur pérennité même, reconnaît le ministère de l'industrie qui manifestait les plus vives inquiétudes en début d'année pour les « électro-intensifs » dont, dans notre région, les Ascoval, Nyrstar ou encore Aluminium Dunkerque, premier consommateur industriel français d'électricité. Sa facture aurait dû croître de 300 M€ sur 2022 sans intervention de l'Etat. 300 M€, c'est la construction de trois musées Louvre-Lens ! Selon le ministère, derrière les électro-intensifs, ce sont des filières industrielles françaises qui risquaient elles aussi le pire, si les fournitures des premiers devaient s'interrompre.

Il fallait donc clairement agir pour éviter l'effet domino pour les particuliers comme les entreprises. Reste que c'est sur EDF que l'Etat fait peser la moitié des 16 milliards que coûte cette modération des prix. Or l'opérateur historique doit investir massivement pour adapter son parc de production (notamment nucléaire) aux nouvelles exigences de décarbonation. Comment investir si ses moyens sont si lourdement obérés ? La question est manifestement renvoyée après le mois d'avril. Une patate chaude, voire en fusion, pour le prochain locataire de l'Elysée qui trouvera ce dossier tout en haut de la pile et qui ne pourra pas s'asseoir dessus.

Olivier Ducuing

Directeur de la rédaction

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Publié le 29/02/2024

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