Olivier Thibault, directeur de l'agence de l'eau Artois Picardie

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

Les Agences de l'eau sont méconnues. Qui est l'Agence de l'eau Artois-Picardie ?

C'est un établissement public de l'Etat sous la tutelle du ministère de l'Environnement. Sa gouvernance est très particulière : notre feuille de route, notre philosophie, nos champs d'intervention sont déterminés et validés par un parlement de l'eau, qu'on appelle comité de bassin. Il est composé d'un collège d'élus et d'un collège d'usagers – pêcheurs, industriels, agriculteurs, randonneurs... –, de 40% chacun, et de l'Etat pour 20%. On a un peu inventé le Grenelle de l'environnement 40 ans avant... Ce comité définit les orientations, et l'Agence de l'eau met en oeuvre, via des programmes de mesures inscrits dans le SAGE, Schéma d'aménagement et de gestion des eaux. Des programmes de surveillance permettent de vérifier que tout se passe bien.


Quels sont vos moyens d'action ?

L'Agence de l'eau est avant tout un outil de solidarité financière, qui perçoit des redevances et redistribue des aides. Ses redevances sont pour une large part indexées à la consommation : plus on prélève d'eau, plus on paie de redevance. Et elle applique le principe du pollueur-payeur – nous appelons ça prévention des dommages à l'environnement –, donc plus on impacte le milieu aquatique, plus on paie de redevance. Ces redevances sont redistribuées sous forme d'aides : des subventions, des avances remboursables, ou prêts à taux zéro, et des primes au bon fonctionnement, par exemple pour les stations d'épuration, en fonction de l'atteinte des objectifs. Chaque année, nous percevons autour de 120 millions d'euros de redevances, et nous mettons sur la table autour de 160 millions d'euros. La différence entre les deux, c'est le retour des avances remboursables.

Ce mode de financement vous met-il à l'abri de la raréfaction de l'argent public ?

Non... Au fur et à mesure que nous intervenons pour éliminer un certain nombre de pollutions, cela fait baisser les assiettes de redevances. Parallèlement, la consommation d'eau recule, du coup notre assiette baisse aussi.

Cette baisse de consommation, notamment des acteurs économiques, est-elle le fruit de la vertu ou de la crise ?

Les deux. Sur les 15 dernières années, sur le bassin, la fin des mines, la crise de l'industrie textile et celle de l'automobile ont entraîné des baisses de prélèvements importantes. Sur Lille par exemple, où existait une vraie tension sur la ressource en eau potable, c'est strictement la baisse de la pression industrielle qui a permis à la ville de retrouver des marges de manoeuvre. Mais la consommation industrielle décline aussi parce que, l'eau devenant plus chère au mètre cube, la récupération et le recyclage des eaux deviennent rentables. La consommation individuelle baisse également, de 1 à 2% par an, sur tout le bassin - comme en France. Et même si la population augmente, au total, la consommation baisse. Donc globalement, à redevance égale, notre champ de redevance baisse, alors que, notre champ d'intervention, lui, a tendance à s'élargir tous les jours.

Après l'énorme chantier de la station d'épuration de Marquette, restera-t-il encore beaucoup à faire ?

Sur les 15-20 dernières années, une quantité énorme d'outils d'épuration ponctuelle a été réalisée. Et les industries ne rejettent plus leurs effluents sans traitement directement dans le milieu. On est donc passé d'une situation où l'environnement se dégradait en permanence à une situation qui s'améliore. Avec Marquette, la plus grosse station d'épuration, qui a représenté 91 M€ d'investissement à elle seule, on va maintenant traiter l'azote et changer de manière fondamentale l'impact sur le milieu. Donc en effet, la ligne sur les stations d'épuration va baisser. En revanche, c'est l'assainissement non collectif qui monte aujourd'hui.

Le temps est-il toujours aux grandes installations des majors de l'eau, alors que des solutions d'assainissement plus légères pourraient parfois être développées?

L'Agence de l'eau se positionne justement dans ce sens là. On ne se donne pas d'obligations de moyen mais des obligations de résultat. Dans un secteur où il n'y a pas de problème de qualité d'eau, il n'y a pas de raison d'aider à des installations supplémentaires ou en tout cas pas au même niveau. Si on constate en revanche un impact sur le cours d'eau, là il faut aider. Notre axiome est que les mesures préventives valent mieux que les mesures curatives car il est moins cher et plus efficace de ne pas polluer que de dépenser des millions en outils de traitement.

Quel est le niveau de qualité des eaux du bassin par rapport à la moyenne française ?

Dans le Nord-Pas-de-Calais, on est les plus mauvais, de très loin. Pour de nombreuses raisons, notamment un passif industriel très lourd et le fait qu'il y a peu de dénivelé, donc un faible débit des cours d'eau qui ne favorise pas l'évacuation des sédiments pollués. La quasi totalité des cours d'eau de notre bassin est en mauvais état, contre la moitié en France en 2004. Notre objectif est d'arriver en 2015 à la moitié des cours d'eau en bon état, sachant que, dans les autres bassins, l'objectif est maintenant à deux tiers.

Mais les critères ont évolué dans le même temps...

En effet, la logique va dans le sens d'une prise en compte de plus en plus fine des éléments. On mesure 150 molécules quand on en mesurait une vingtaine il y a dix ans. Chaque fois qu'on interdit une molécule, on en trouve trois autres pour la remplacer, encore plus compliquées à mesurer, à suivre et à dépolluer. Les phytos sont un très bon exemple. L'atrazine (le Roundup) a été interdite, mais remplacée par une soixantaine de molécules différentes. Quand on les additionne, on arrive à des doses qui posent des problèmes pour la santé publique. Nous ne sommes pas des ayatollahs de l'environnement... il faut donc avant tout apporter des solutions qui permettent aux utilisateurs de ces produits de répondre à leurs problématiques.

Va-t-on vers un renchérissement du prix de l'eau dans les prochaines années ?

Au risque de me faire mal voir, je pense que le prix de l'eau n'est pas cher aujourd'hui. La facture est finalement relativement faible par rapport au service rendu, qui est d'avoir de l'eau en permanence, potable, à son robinet. Ce service coûte bien moins cher qu'un abonnement de téléphone portable ou Internet... Il reste qu'avec le prix de l'eau, on peut aujourd'hui démontrer ce qu'on a envie de démontrer. Le prix au mètre cube augmente en moyenne de 3,3% par an, donc à un taux supérieur à l'inflation, mais la facture d'eau augmente, elle, de 1% par an.

Mais ce sont quand même les mètres cubes qui comptent, non ?

Votre lave-vaisselle, à service identique, consomme deux fois moins qu'il y a 15 ans, il vous fait donc économiser de l'argent sur votre facture d'eau. Un service d'eau potable, c'est entre 80 et 90% de charges fixes. Ce qui coûte cher, c'est l'infrastructure. On fait augmenter le prix de l'eau en fonction de la baisse de consommation pour une raison simple : à charges égales, il faut que ça s'équilibre. Si on consommait plus d'eau, le prix de l'eau augmenterait donc moins... C'est bien évidemment un message qu'on ne porte pas puisque le principe est que l'environnement y gagne.

Vous intervenez aussi sur les champs captants. Douai par exemple a implanté des forêts pour protéger la ressource, une autre voie est l'agriculture bio... Quel rôle jouez-vous?

Je considère que boiser un périmètre de captage est un constat d'échec. Cela veut dire qu'on n'a pas réussi à rendre compatibles les autres usages avec la ressource. L'agriculture bio peut être une bonne solution sur ces secteurs particulièrement vulnérables, on y gagnerait pour l'environnement, pour la bio et pour l'image de l'agriculture. Mais l'Agence ne prend pas d'arrêté, n'impose rien. Elle essaie d'intervenir en amont, par un diagnostic de l'existant. Le principe est de regarder les impacts de toutes les catégories d'acteurs et pas d'un acteur en particulier. Et alors que les agriculteurs se sentaient très stigmatisés sur ces zones, on se rend compte que chaque catégorie d'acteurs pollue : la SNCF, le conseil général via ses routes, l'Etat via ses autoroutes, les collectivités avec leurs fossés...

Poussez-vous au développement de la gestion différenciée des espaces verts?

On y croit beaucoup. Mais il y a un facteur d'éducation incontournable. Le citoyen pense par exemple qu'un fossé est propre quand l'herbe ressemble à un green. Or pour l'environnement, c'est ce qu'il y a de pire. Donc amener les collectivités à n'intervenir qu'une fois tous les deux mois au lieu de mettre des phytos chaque semaine, ça impose d'expliquer au citoyen que c'est meilleur pour l'environnement d'entretenir différemment. Avec des élus motivés et des populations de taille raisonnable, ça marche vraiment. Et les effets sur la ressource en eau peuvent être visibles relativement vite. En revanche, sur des eaux souterraines, le temps de réaction est de 15-20 ans. Ça peut être désespérant pour un élu...

Vous vous inscrivez donc résolument dans le long voire le très long terme ?

Les objectifs de l'Agence de l'eau aujourd'hui, c'est 2015-2021. Et on a déjà des actions pour 2027 ! Mais l'Agence ne fait presque rien elle-même, elle a des capacités de conseil, d'explication, d'appropriation, de formation, mais ne prend pas la compétence à la place des collectivités par exemple, quelle que soit leur taille.


N'avez-vous pas néanmoins un rôle actif pour la préservation des milieux humides ?

Oui et c'est une exception à ce que je viens de dire. La loi Grenelle nous a donné la mission et la capacité d'intervenir comme opérateur foncier sur les zones humides et en tant que maître d'ouvrage direct sur leur restauration. Ces zones humides, importantes à plus d'un titre – stockage de carbone, préservation de la biodiversité, auto-épuration des milieux... –, ont été souvent détruites car considérées comme néfastes. Notre objectif est d'abord que des collectivités, des associations ou des parcs prennent la maîtrise foncière et restaurent ces milieux. Mais à défaut, on est capable d'intervenir, comme dans le bassin minier avec les gravières, ou à Armentières, la boucle de la Lys, un très bel espace qui pourrait être une ressource d'eau potable dans le futur.


Va-t-on vers un problème de contrepartie d'investissement local si les collectivités rencontrent des difficultés financières croissantes?

On constate déjà un désengagement d'un certain nombre de collectivités. Les conseils généraux interviennent de moins en moins dans le domaine de l'eau et de l'assainissement, sauf le Nord qui reste assez investi. Mais d'une manière générale, les acteurs se tournent vers les autres financeurs, et notamment l'Agence de l'eau. Un de nos vrais enjeux est de définir quel est le bon taux d'aide pour permettre l'investissement.

Faut-il s'attendre à ce que le niveau d'intervention de l'Agence baisse ?

Ce qui est sûr c'est que les demandes de financement sont supérieures à nos capacités d'aide. Et je pense que c'est très bien pour le système. On est passé d'une logique de guichet ouvert à une logique de coût-efficacité. C'est comme ça qu'on ne finance l'agriculture que là où il y a des problèmes d'eau potable, l'érosion que dans des zones spécifiques, les industriels seulement en fonction des rejets...

On essaie de favoriser toute opération pilote qui peut avoir un effet démultiplicateur, que ce soit en terme de pollution ou de gestion alternative de la ressource en eau. Donc on aide de manière forte, en général 50%, tout ce qui permet de recycler l'eau, de baisser la pollution, hors investissements productifs en tant que tels.

Quels sont vos rapports avec le grand public ?

C'est un point sur lequel on essaie d'évoluer. Nous avons engagé une vraie réflexion stratégique. Le but étant de vendre non pas l'Agence de l'eau, mais la politique de l'eau. Pour que la culture du bon état des eaux soit une culture de tous et pas seulement des maires. C'est un autre enjeu très fort pour nous.

Propos recueillis par Olivier Ducuing et Sophie Pecquet

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