Philippe Depasse, FPI : "On ne peut pas mettre la ville dans le formol !"

“Les maires remettent en cause le PLU, ce n'était jamais arrivé ” Philippe Depasse, président régional de la FPI “Les maires remettent en cause le PLU, ce n'était jamais arrivé ” Philippe Depasse, président régional de la FPI

Le porte-drapeau des promoteurs des Hauts-de- France s'inquiète d'un déficit croissant de logements neufs. En cause, le non respect par les maires du Plan Local d'Urbanisme (PLU) de la MEL, pourtant voté à l'unanimité. Résultat : une poussée des prix, aggravée par la rareté du foncier, la multiplication des procédures et les nouvelles normes.
Entretien.

 

Que change la crise sanitaire dans votre secteur ?


On est à un moment de points d'interrogation. En février 2020, tout le monde était d'accord pour dire qu'il fallait faire la ville sur la ville, arrêter la péri-urbanisation et densifier les villes. Les propriétaires occupants ou bailleurs étaient satisfaits car le marché était là, les maires prêts à construire, contribuant à une spirale vertueuse pour l'économie en créant de l'emploi. Arrivent la crise sanitaire et les élections municipales avec une percée de la prise de conscience écologique dans le pays. Les maires se disent : dois-je continuer à construire du logement comme avant ? Ils pèsent le risque politique à construire, la raison économique n'est plus suffisante. Et la crise sanitaire a montré le besoin d'espaces de respiration. Quand le PLU vous donne le droit de construire 50 logements, on en construisait 50 il y a quelques années. Aujourd'hui le maire se questionne : faut-il en construire 50 ? On raisonne par ailleurs de plus en plus en zones mixtes. On n'arrive plus à penser immobilier tertiaire sans parler de l'immobilier en général. Quand on parle de tertiaire, on parle maintenant de télétravail et donc de logements, et donc de politique urbaine. Avant, tout était en silos, ils ne sont plus aujourd'hui étanches les uns vis-à-vis des autres.

Mais ce fameux PLU 2 a force de loi, pourquoi n'est-il pas appliqué ?

Oui, il a été mis en concertation puis démocratiquement voté, très récemment et à l'unanimité. Or certains maires ne reçoivent plus les promoteurs, quand ils les reçoivent c’est souvent pour réduire la constructibilité afin de trouver un consensus entre population et propriétaires. Le droit de propriété est mis aux enchères au bon vouloir des riverains guidés par l'intérêt particulier. Malheureusement, on a là aussi un phénomène de majorité silencieuse, qui ne se mobilise pas, face à des minorités riveraines efficaces, qui prennent à partie les élus de façon au minimum impolie et le plus sou- vent virulente.

Ce phénomène est-il seulement l'apanage de maires à la sensibilité écologique ?


C'est général. Il y a une interrogation des maires sur la ville de demain. Qui a la réponse ? Mais ils se disent : faut-il densifier ou garder des dents creuses ? Les maires remettent en cause le PLU, cela n'était jamais arrivé. Pour certains, le vote par leurs prédécesseurs ne les engage pas. Ils admettent le besoin de logements sur l'agglo, évalué à 6 000 par an, alors qu'on n'en sort plus que 4 500. On sait pertinemment qu'on a décroché. Mais pour certains maires, cela est devenu le problème des autres et ils sont le pied sur le frein car chez moi ce n’est plus possible nous avons trop construit !

Comment analysez-vous ce renoncement des élus ?


On est face à un vrai paradoxe : l'Etat nous dit d'arrêter la périurbanisation, la consommation de terres agricoles. Mais à l'intérieur des villes, les maires crai- gnent la densification, en prenant argument du refus de la population. Il y a une forme de démagogie : les maires sont plus que par le passé sensibles au phénomène réseaux sociaux, qui amplifient les comportements minoritaires. Aujourd'hui un projet de logement, ce sont des réunions publiques où ne viennent que les riverains mécontents, les réseaux sociaux où se créent des associations de défense pour tout conserver en l'état, et le maire désabusé oppose moins de résistance politique. Certains avocats sont aussi prêts à faire des procès au nom des riverains pour essayer de gagner du temps. Même si on bénéficie en zone tendue d'une obligation de jugement en 10 mois, ce qui nous facilite grandement les choses.

Quelle est la part de programmes qui suscitent des recours ?


Quand j'ai créé ma structure il y a 15 ans, le recours était l'exception. Aujourd'hui, l'absence de recours est l'exception. Sachant que pour certains riverains, le fait de monnayer le recours est devenu une sorte de droit de tirage pour réclamer de l’argent au promoteur. On en est mal heureusement arrivé là.

L'équation économique tient-elle encore ?


Tout cela ne fait que renchérir le logement. Le foncier se raréfie, et quand il est disponible, on y construit moins : là où je peux faire réglementairement 50 logements, mais où après moult négociations je n'en fais plus que 35, le prix du foncier ramené au logement augmente, donc le prix de sortie augmente.

Et pourtant le marché reste très bon ...


Aujourd'hui, on n'a aucun problème de demande. Mais les gens commencent à trouver les prix élevés, à 20% de plus qu'il y a trois ou quatre ans. Certes, Lille reste moins cher que les autres grandes métropoles. Un récent classement montrait que le prix de sortie restait encore raisonnable à Lille toutes proportions gardées, avec un loyer plutôt élevé. Concernant celui-ci, il faut pondérer avec la spécificité de la métropole où la ville centre ne pèse pas 80% de la population comme ailleurs.

Les programmes immobiliers se déportent-ils hors de la métropole ?

Les promoteurs se demandent en effet s'ils ne peuvent pas aller un peu plus loin, notamment avec le télétravail. Habiter Orchies, c'était compliqué avec tous les bouchons chaque matin sur l'A27. Aujourd'hui, ça change. On s'intéresse de nouveau au bassin minier, aux Flandres, au Hainaut, des zones un peu oubliées de par la législation Pinel, qui ne prévoyait pas de défiscalisation hors des zones de forte tension sur le marché.

Les professionnels évoquent une pénurie de logements à venir. Que peut-il se passer ?


Les logements risquent de devenir de plus en plus chers, on n'arrivera plus à satis- faire la demande, qui va se reporter vers l'ancien. Beaucoup vont continuer à habiter plus loin et faire la route tous les jours, faute d'autre choix. Il risque d'y avoir une tension sur laquelle on alerte la MEL. Elle comprend bien ce déficit, mais le maire, de retour dans sa commune, soumis à la pression de ses électeurs riverains, est tenté d’acheter la paix en ne construisant pas ou moins. 

Faudrait-il donner plus de pouvoir à l'échelon intercommunal ?


Il faut que la MEL fixe davantage le cap vis-à-vis des maires, pour que ceux-ci puissent rappeler à leurs concitoyens que la MEL a des obligations, avec un objectif général de 6 000 logements, à décliner commune par commune. La MEL devrait être davantage force de persuasion, elle ne challenge pas assez les maires sur un objectif d'agglo. Le système de gouvernance et la génétique de notre agglo multipolaire favorisent cela.

L'impact économique est-il important ?


Il ne se voit pas car il est dilué sur un tas de petites entreprises. Cela passe presque inaperçu alors que le déficit de logements construits correspond à une perte de 3 000 emplois (1 500 réservations de moins en 2020). C'est quasiment un Toyota qu'on a fermé dans le silence général. Il y aura prise de conscience le jour où on se rendra compte que les objectifs du PLH (Plan Local pour l'Habitat) ne sont pas atteints. Les besoins sont là, on ne peut pas mettre la ville sous cloche ou dans le formol ! Depuis 30 ans, on a perdu en moyenne une personne par foyer. A nombre de logement égal, il y a fermeture de classes, de commerces. Et ce sont les mêmes maires qui refusent des logements qui seront pris à partie par leurs habitants parce que des classes ferment et de déplorer la disparition des commerces ! On pouvait se dire que Lille, Roubaix et Tourcoing n'ayant pas changé de bord politique, le président de la MEL étant le même, l'agglo allait pouvoir redémarrer avant les autres. Ce n'est pas le cas. Elle est freinée (c’est national!) dans des problèmes de populations de plus en plus égoïstes : on veut bien des logements et des équipements publics, mais dans la rue du dessus ! La tâche des maires n’est pas facile !

Comment sort-on de ces bloquages ?


Avec les maires, on doit fabriquer la ville de demain et on est dans le même bateau qu'eux. On n'a d'autre choix que de se mettre autour d'une table et de s'interroger sur le comment. Le PLU est notre cadre de travail légal, certains promoteurs ont des velléités d'aller au-devant du tribunal quand des maires ne le respectent pas. Mais en arriver là n'est pas la solution, il faut encore et toujours du dialogue.

Le durcissement des normes est-il également un problème ?


Le bas carbone pour lutter contre le réchauffement climatique, c'est essentiel. Le RE (règlement énergétique) 2020 par exemple, qui arrivera au 1er janvier 2022, doit conduire à des logements plus performants sur le plan énergétique dans la logique des règlementations thermiques, mais aussi qui doivent être conçus de plus en plus en bas carbone, dans la concep- tion, la construction, l'exploitation. Cela in- duit plus de matériaux biosourcés, comme le bois, la filière n'est pas forcément prête, de même que le ciment bas carbone. Les cimentiers savent faire, mais c'est plus cher, avec un temps de prise incompati- ble avec les cycles de chantiers. On décoffre au bout d'une semaine au lieu de 24 heures... Il y a là un défi d'innovation. A quoi s'ajoute la bascule du gaz de chauffage au profit de l’électricité ou du biogaz, avec des usines à créer. La RE 2020, c'est 5 à 10% d'augmentation des coûts. Et la RE 2030, c'est dans huit ans seulement... Si on cumule ce sujet avec le prix du foncier, nous sommes devant un vrai problème de prix de sortie à court et moyen terme !

La MEL a mis en place un prêt à taux zéro pour atténuer l'impact...

Oui c’est très bien mais c'est insuffisant. Lille et la MEL ont aussi créé l'organisme de foncier solidaire : une partie du logement est réservée à une classe de population modeste. Du coup, le foncier public est vendu peu cher, avec une TVA réduite à 5,5%. Mais cela risque d'être balayé par les problèmes de fond de pénurie foncière : la mise à disposition de foncier public pour pouvoir construire à des prix raisonnables est nécessaire et urgente. Il y a un vrai défi, sur lequel on a un gros effort de pédagogie et de dialogue à faire vis-à-vis de nos élus et des élus vis-à-vis de leurs administrés.

L'arrivée de nouvelles populations dans une ville n'est-elle pas une source de richesse, en principe ?

Les maires mettent en avant les dépenses qu'elles entraînent, les équipements publics à mettre à niveau. On en exagère toujours l'impact. Le vrai sujet est la suppression de la taxe d'habitation, qui n'incite plus les maires à construire.

Il faut intéresser fiscalement les collectivités ?


Oui, il faudrait une carotte fiscale vis-à-vis des maires bâtisseurs en contrepartie de leur risque politique. De plus en plus, lors de projets significatifs, des promoteurs vont devoir être accompagnés par des communicants, et non plus seulement en réaction à des contestations. A nous aussi de faire des projets qui apportent aussi des réponses aux besoins des villes. Les promoteurs doivent être plus ambitieux ! Outre le logement, demain, il faudra que les pieds d'immeubles offrent du service à la population, un commerce, une crèche...

N'est-ce pas un peu l'idéal de la «smartcity»?


Il y a cinq ans, la smart city était perçue comme très technologique : on trouverait sa place de stationnement par une application, l'éclairage serait piloté à distance etc. Avec la « ville du quart d'heure », une vision plus humaine apparaît : une ville, c'est tout à la fois des logements, des commerces, des écoles et des bureaux. Or dans les PLU, on avait les territoires segmentés. Avec le PLU 95 (le nouveau périmètre de la MEL avec 95 communes, ndlr), il faudra casser un maximum de zones dédiées, au profit de beaucoup plus de mixité. D'autant qu'on dépense beaucoup d'argent dans les transports. Le tertiaire peut s'imaginer complètement intégré en zone urbaine, dans une mixité qui apporte aussi une réponse aux difficultés de circulation.

La City à Londres va reconvertir nombre de bureaux en logements. Est-ce transposable chez nous ?

C'est le sens de l'histoire. Que fait-on d'un bâtiment tertiaire obsolète ? Pour le transformer en logements, cela suppose que l'immeuble soit suffisamment obsolète pour rendre non rentable sa remise à niveau en bureau, mais aussi d'être dans une zone ou la réglementation administrative des PLU le permette. Les PLU doivent être plus rapidement adaptables. Car le temps qu'il faut pour préparer un PLU et le rendre exécutoire est très long. On nous dit que le PLU 95 sera opérant en 2024... On a besoin d'un cadre stable, respecté et dynamique !