Philippe Dessertine à Lille : une France "supervulnérable" en ce début 2017
Du pamplemousse, du citron et de l'orange. C'est avec une métaphore simple mais efficace que Philippe Dessertine, directeur de l'Institut des Hautes Finances et membre du Haut conseil des finances publiques a exposé sa vision du monde économique en ce début 2017. Avec une idée force en toile de fond : une métamorphose planétaire historique. « On est dans une phase de changement absolument inouïe à l'échelle mondiale . Il y a huit ans, vous n'aviez pas de smartphone. Or un smartphone est l'équivalent de 50 fois les ordinateurs qui ont envoyé l'homme sur la lune en 1969. Et il y a 5 milliards de smartphones sur terre ! »
Une France "super-vulnérable"
Pamplemousse d'abord, c'est à dire des éléments contrastés en ce débit d'année. Philippe Dessertine juge d'abord que « la conjoncture immédiate européenne est bonne . 2017 s'annonce bien ( ) avec « un rebond de croissance remarquable fin 2016 qui se prolonge et devrait permettre d'atteindre un niveau de croissance qu'on n'a pas atteint depuis des années ». Autre satisfaction, avec 500 milliards d'excédents commerciaux (dont la moitié pour l'Allemagne), la zone euro est la plus exportatrice du monde. Plusieurs pays sont revenus à des niveaux d'endettement de 60% du PIB comme l'Allemagne, l'Autriche ou les Pays-Bas. La note plus acide de la situation provient bien sûr du mauvais élève de la zone, la France : son déficit commercial atteint 50 milliards d'euros, son déficit budgétaire atteint 3,2%, et sa dette dépasse 98% du PIB « malgré tous les arrangements comptables ». Son taux de chômage dépasse la moyenne européenne « pour la première fois depuis que l'Union européenne existe ». Conclusion : « La France est super vulnérable »
Autre point positif en apparence : la performance des marchés financiers, dont le Dow Jones qui a battu son record historique des 20 000 points le 27 janvier, pour la première fois depuis 120 ans. Oui mais cette euphorie est fondée sur une surliquidité artificielle entretenue par les banques centrales occidentales. « On est encore convalescents de la crise de 2008. Si on arrête l'injection monétaire, probablement immédiatement l'avion se remettrait à plonger vers le sol ».
Géopolitique de la peur
Le citron ensuite, et même le citron vert, ironise l'économiste. La potion est pour l'essentiel due à un contexte géopolitique particulièrement anxiogène. Tensions très vives entre l'Europe et la Turquie d'Erdogan, dont on tolère les provocations car il pourrait inonder l'Europe avec 3,5 millions de réfugiés syriens en ouvrant ses frontières. « Ces Syriens, ce sont les Balkans de 1914 », analyse Philippe Dessertine, qui tente de décoder les alliances pro-chiites des Russes des Chinois, quand les sunnites sont soutenus par les Etats-Unis, et alors que les kurdes veulent leur pays au grand dam de la Syrie, de l'Irak, de l'Iran et bien sûr des Turcs. Situation explosive encore avec la Russie qui ne cesse ses intrusions dans l'espace aérien des pays baltes, dans les eaux territoriales suédoises, ou encore avec la mise aux arrêts façon Nicolas Fouquet de l'ancien homme fort de l'économie russe, Alexandre Oulioukaiev.
S'y ajoutent en vrac le Brexit avec les risques de sécession écossaise, le meurtre du demi-frère du président nord-coréen, les premiers pas de Trump qui veut ramener à 15% l'impôt sur les sociétés et faire des USA un nouveau paradis fiscal, qui veut diminuer drastiquement la réglementation et notamment a décidé de rapporter la loi Dodd Frank, et qui prévoit un plan massif de 100 milliards de dollars d'infrastructures, mais réservées aux entreprises américaines. Conclusion de Philippe Dessertine : « Si Trump réussit, ce sera un vrai problème pour l'Europe, s'il échoue, ce sera un vrai problème pour l'Europe ! »
Il souligne encore les déséquilibres qui se creusent au sein de l'Europe entre des pays vertueux à 1,5% de déficit, et la France qui pourrait monter à 4,7%. L'économiste juge que la France est à quelques encablures d'une faillite comme en 1797. « On le dit, mais on ne nous entend pas! », déplore Philippe Dessertine pour qui « l'élection présidentielle peut être la poudre qui fera exploser la situation »...
"La science est loin devant nous pour nous proposer des solutions"
Mais l'économiste habitué des plateaux télés où il affiche une vision plutôt pessimiste a voulu offrir aux patrons nordistes un visage plus engageant. Avec des perspectives un peu iréniques sur le potentiel scientifique gigantesque qui s'offre au monde et qui est supposé trouver les solutions à nos grands problèmes : agriculture, alimentation, ressources, réchauffement climatique... Philippe Dessertine souligne la course de vitesse entre un ancien monde qui sort de crise et qui a du mal à retrouver la croissance et un nouveau monde qui accélère et « qui va bouleverser de fond en comble l'économie, la société, la politique, les rapports entre Etats, et la structure même des Etats ». Avec des monstres comme Apple (713 mds de valorisation) ou Google (530 mds $) qui investissent de façon massive dans les biotech, les biocalculateurs, ... « L'évolution du monde sera dans la gestion mathématique ». Evoquant la naissance de l'ordinateur quantique, qui permettra de multiplier la capacité des ordinateurs les plus puissants d'aujourd'hui par un facteur 100 millions, il y voit l'amorce d'une nouvelle ère pour l'humanité. « Dans la science, il y a d'abord le progrès et la quintessence de l'esprit humain. La science est loin devant nous pour nous proposer des solutions»
Reste que ce potentiel est surtout américain: "Dans les grands groupes qui dominent le monde, il n'y a aucun européen », déplore l'économiste avec une jolie formule. « Toutes les start up « start » en Europe, mais elles « up » aux Etats-Unis » . Seule solution : investir, investir, investir, notamment en private equity. « Sinon, notre épargne partira aux Etats-Unis sans qu'on s'en rende compte ».
Un défi majeur pour le prochain locataire de l'Elysée.
Olivier Ducuing
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