Philippe Froguel : "Je trouve l'atmosphère en France confinée"

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Propos recueillis par Marie Raimbault

Photos : Sébastien Jarry

 

 Qu'est ce qui vous fait avancer?

Les métiers de la recherche sont assez difficiles et la gratification que l'on a est une question de reconnaissance, de gloire. Ce qui me fait marcher c'est un côté altruiste et un côté recherche de la gloire.

 

Venez-vous d'une lignée de chercheurs?

Pas du tout. Je viens d'une famille qui faisait du commerce, dans la confection. Mais j'ai tout de suite eu envie de faire quelque chose de tout à fait différent, de faire médecine, et surtout pas de la médecine privée, de la médecine hospitalière et de la recherche. Ceci dit, mes parents étaient tout les deux instits quand ils se sont rencontrés. Pour des raisons financières, mon père a repris l'entreprise familiale et ma mère l'a rejoint. Mais le style de la famille, c'est l'instit laïc attaché à la culture de l'intérêt général. Quand j'ai fait médecine, c'était très clair que j'allais travailler dans un hôpital. Ensuite j'ai découvert la recherche.

 

Ce qui me plait c'est la connaissance, et de là, passer à l'innovation. Les gens en France ont une idée tout a fait simpliste du chercheur. Celle du professeur Tournesol. Et une approche anti-économique. Je préfère la vision anglo-saxonne où un chercheur est un élément clé de la chaîne économique. Je me considère comme un élément de cette chaîne qui va des connaissances fondamentales à des applications industrielles.

 

Vous croyez donc aux projets collaboratifs et aux modèles public privé?

Dans ce que je fais moi, oui. Mon travail c'est d'essayer de prévenir ou de guérir le diabète et l'obésité. Je n'ai absolument pas l'ambition de pouvoir le faire en claquant des doigts. Donc, bien sûr, il faut travailler avec des industriels. Ce que je fais. Je n'ai pas de honte de le faire. Mon ambition, pour reprendre la phrase du général de Gaulle « En France, des chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouvent, on en cherche », j'espère être considéré comme un trouveur. Ca ne me suffit pas, je voudrais être un passeur de connaissances, qui vont permettre d'avoir des applications. Donc, oui, je travaille avec l'industrie. Je ne pense pas avoir perdu mon âme en faisant ça. Au contraire je pense même avoir été un de ceux qui ont convaincu l'industrie de faire appel de nouveau à la recherche publique.

 

Etes vous nordiste?

Pas du tout, je suis parisien. Mais ce n'est pas toujours très bon pour un jeune d'avoir de meilleurs résultats que les mandarins. J'ai eu du mal à trouver ma place. L'establishment parisien ne savait pas trop quoi faire d'un type comme moi. Et les gens CNRS, du Ministère m'ont littéralement exfiltré de Paris. Une opération menée au plus haut niveau de l'Etat, par le cabinet de Balladur. Et j'ai atterri à Lille. J'ai été accueilli à coup de fourches par le CHR. Car il y a une idée qui perdure ici, c'est celle de pousser la réussite locale. Et c'est très difficile de faire admettre qu'il n'y a pas que les petits chtis qu'il faut arroser mais qu'il faut aussi faire venir des gens de l'extérieur, surtout s'ils sont bons. Et quand on m'a fait venir, ca a été perçu comme une trahison. Or ici il n'y avait pas de recherche sur le diabète. Je n'ai pris la place de personne mais ça a été mal vu. Ca a pris 15 ans. J'ai été nommé professeur d'endocrinologie en 2010. En revanche, j'ai été très bien accueilli à l'Institut Pasteur.

Le problème général ici, c'est l'essaimage des fonds. Il faut attirer les meilleurs, pour développer les meilleures choses dans le Nord. Il faut un renouvellement, c'est normal, comme dans les entreprises. Il ne faut pas pleurer. Le type le plus titré en recherche dans le Nord est parisien. Eh bien tant mieux! Il serait américain, ce serait encore mieux!

 

Il y a un complexe régional ?

Bien sûr. C'est une intériorisation d'une infériorité, notamment vis à vis de Paris qui est affreuse. Souvent on commence par dire, de tout façon c'est pas la peine qu'on le fasse, on ne l'aura pas. Ensuite on fait les choses au dernier moment, mal. Et donc on ne l'a pas. Je me bats contre l'idée qu'ici on n'arrive pas à attirer des pointures. C'est faux. C'est que l'on ne cherche pas. Au final on a ici souvent une vision un peu décalée de la réalité qui est que comme dans toutes les régions on a des plus et des moins et qu'on n'est pas plus en infériorité que d'autres. La région bordelaise a fait ce que l'on n’a pas fait. Ils ont tout gagné au grand emprunt alors qu'il y a 15 ans, qui connaissait Bordeaux dans la recherche ? Ils se sont concentrés sur leurs points forts et ils ont développé autour de ça de vrais centres. Et ils ont su faire des choix. Au lieu de penser : on n’est pas bon dans tel sujet, il faut qu'on le soit, on va essayer sans trop y croire.

J'ai beaucoup de dispute avec Mme Rousseaux, déléguée à la recherche au Conseil régional. Elle me dit : « vous avez été servi, on passe à autre chose ». Je lui réponds : « au contraire, puisqu'on a été retenus pour avoir un labex, il faut nous soutenir pour que nous soyons performants et que se crée une véritable vie économique et scientifique dans le domaine ». Moi je vise à l'horizon 2020 l'émergence d'une vraie filière de médecine personnalisée dans le domaine du diabète, avec des laboratoires, des sociétés de biotech, tout un tas d'entreprises autour du diabète et in fine, créer de l'emploi et de la richesse. C'est faux de dire que la recherche ça coute. Ca coute si on n'est pas capable de financer l'innovation et la découverte. Si on sait financer ces trouveurs et qu'ils sont capables de faire l'effort d'innover, on arrive à des choses économiquement viables et à rembourser l'investissement de la société.

 

Est ce que vos loisirs sont rationnés

Je travaille beaucoup. Mes enfants sont à Londres. Donc je confesse que mes loisirs sont peu énormes.

 

Qu'est ce qui vous fait rester en France?

J'y reste parce que je ne suis pas qu'en France. Je vis à, moitié à Londres où sont mes enfants. Je suis parti en 2000 en Angleterre. J'y suis professeur dans la plus grande faculté de médecine anglaise, l'Impérial College. Si j'ai gardé mon laboratoire ici, c'est uniquement parce que le directeur de Pasteur me l'a demandé et que je travaille avec des équipes formidables. Mais je voulais tout fermer et me tirer. Et je reste parce que j'ai eu les Labex et autres. Mais bon...

 

Êtes-vous optimiste sur la recherche publique française?

Non. Je trouve l'atmosphère en France confinée, étouffante. J'ai été marqué lors des Assises de la recherche : j'ai proposé que l'on invite des étrangers, pour s'enrichir de ce qui se fait ailleurs et ça ne s'est pas fait. Les français, dans mon domaine, ont une peur bleue qu'on les compare. Ils ont raison d'ailleurs. Car dans les classements de Shanghaï, ils sont plus que médiocres. Même si on a des prix Nobel. On a quelques très bons. La force de la France est peut-être de réussir à créer des niches autour de ceux là. Mais au prix qu'on a à payer c'est qu’on a fait des niches autour de médiocres. On a du mal a faire la différence entre le bon et le très bon. On a des excellents, mais aussi une proportion que je chiffrerais à 30 à 40% de gens qui ne resteraient pas deux ans chercheurs en Angleterre, car ils ne sont pas bons.

 

Qu'est ce qui vous met en colère?

Ca. On a l'air de s'en foutre en France de la compétitivité. C'est un mot grossier. Et surtout pour les chercheurs.  On envoie des délégations aux JO, c'est bien pour qu'ils gagnent. Mais les chercheurs non. Dire qu'ils devraient être performants, c'est grossier. Il y a un rapport à l'argent qui est abominable. Les chercheurs devraient rester purs, hors du monde, sans s’intéresser à l’argent ou à la vie économique, comme des moines finalement. Et ça nous arrange aussi d’être dans une tour d’ivoire, loin de la compétition. On refuse d’être évalué et on est divisés en chapelle. Il faut séculariser la recherche française, la faire entrer dans le monde et dans la modernité, ce qu’elle n’est pas. Il y a une véritable incapacité de la France à se considérer dans le monde. Or la recherche est mondialisée, c'est comme ça. C'est illusoire et dangereux de l'ignorer. 

 

Dans quelle situation vous sentez vous le mieux?

J'aime beaucoup Londres que je trouve fascinante. Ici je me trouve toujours gêné par l'étalage de la misère, qui me rend malade. Sinon, je ne suis pas très sensible au confort pour travailler, j'ai juste besoin d'un ordinateur et d'Internet. Je suis bien quand je discute sciences avec des gens très intelligents, des chercheurs mondialement connus et quand j'ai en face de moi quelqu'un qui a une réflexion intense sur la science et quand j'ai le sentiment que l'on réfléchit vraiment à l'avenir.

 

Qu'est ce qui fait un bon chercheur?

La curiosité. Être insatisfait. N’être jamais content de soi. Y penser tout le temps. Et essayer de faire les choses bien, sans se prendre pour un pur esprit. Finalement, avoir des ambitions pour son travail mais rester modeste sur lui-même. Mes meilleurs collègues, je les sens souvent anxieux. Il y a plusieurs types de chercheurs. Il y a eu un bouquin sur Marie Curie qui s’appelait « the obsessed researcher », sur Newton, Marie Curie. « Le chercheur obsédé ». L’idée que les chercheurs se réveillent le matin avec l’idée qui leur vient comme ça, est fausse. Les chercheurs sont habités par leurs recherches pendant des années. Ils sont « committed » comme disent les anglais, autrement dit entièrement voués à leur objet de recherche. Je me pose plein de questions au milieu de la nuit, tout le temps sur ce qu’il faut faire. Mon angoisse est : que faut-il faire maintenant ? J’essaie d’avoir des questions un peu différentes des autres et des réponses un peu plus originales. Mais pour ça, qu’est ce qu’il faut se battre et transpirer.

 

Quel est votre plus grand combat politique au sens noble du terme ?

Dans le passé, la chose la plus importante que j’ai faite, hors de mon champ, a été de défendre les ministres mis en cause dans le procès du sang contaminé, en 1998. Je trouvais qu’ils étaient injustement accusés et qu’ils étaient innocents. Qu’au vu des informations et des conseils qu’ils avaient, ils n’auraient pas pu prendre d’autres décisions. C’a m’a bien plus, car j’ai joué le rôle de passeur, auprès de ces énarques, qui ne comprenaient rien à ce qu’on leur reprochait.

 

Votre rêve ?

Ce serait d’essayer de refonder la science française pour qu’on soit enfin compétitif avec les britanniques, et qu’on ne se fasse pas tailler des croupières systématiquement. Et même l’Allemagne fait mieux que nous. Mais franchement, j’ai l’impression d’être assez minoritaire dans ma façon de penser. Je ne suis pas très optimiste sur la recherche française. On peut dire tout ce qu’on veut sur Sarkozy, son style, son manque de professionnalisme, ce qui est vrai. L’autonomie des universités et l’excellence de la recherche sont des idées de bons sens. J’espère que le gouvernement actuel va continuer là-dessus. Ce qui semble être le cas. Il y a des leçons à prendre du côté des anglo-saxons, notamment en matière de pragmatisme et de recherche de l’excellence. C’est essentiellement une question de mentalité, car en terme de compétences, les français sont bien formés, les jeunes travaillent plus que les anglais, on pourrait faire aussi bien qu’eux. On a décrété par exemple que si on n’a pas été post doc aux Etats-Unis, on ne mérite pas d’entrer à l’INSERM, résultat une bonne partie des bons ne rentrent pas.

 

Votre dernier livre ?

Je n’ai hélas pas beaucoup le temps de lire. J’ai lu «L’apothicaire » d’Henri Loevenbruck, c’était sympa mais j’ai été un peu déçu car je m’attendais à plus de réflexion philosophique. Dans ce style, mon préféré reste « Le Nom de la rose » d’Umberto Eco, dans lequel il y avait vraiment des réflexions de haut vol. J’aime comprendre comment les gens pensent, raisonnent…

 

Faites vous partie d’un club ?

Je n’ai hélas pas beaucoup le temps. On m’a proposé une fois d’être franc mac. La première fois on m’a refusé, j’ai dit : "Allez vous faire foutre!". Ils voulaient que je me présente une seconde fois, j’ai dit non. Moi les sociétés secrètes, je suis contre.

 

Où partez-vous en vacances ?

Dernièrement, je suis allé à New-York avec ma dernière fille. Mais ce que j’adore, c’est les road trips dans l’ouest américain. Les paysages sont grandioses, je trouve le peuple américain sympathique. A côté de ça, il a aussi ses lubies sur les armes, la peine de mort. Mais ils sont avant tout aidants, aimables et surtout très proches de leur communauté et ouverts à toutes les nouvelles technologies. Surtout en Californie, vraie terre d’innovation où l’on voit émerger toutes sortes de nouvelles idées. Ça m’impressionne à chaque fois que j’y vais, je trouve que c’est une société très ouverte.

 

Si vous deviez être débarqué sur une île déserte, qu’emporteriez-vous ?

Déjà je n’y survivrai pas ! Éventuellement avec mon ordinateur portable, Internet et mon i Phone. J’ai besoin d’être connecté en permanence à l’actualité mondiale de la recherche. Je suis comme un trader, obligé d’avoir une vision immédiate et globale de ce qui se passe.

 

Quels grands chercheurs vous ont inspiré ?

Plusieurs… Marie Curie, qui était habitée par ses travaux. Ce genre de personnse. J’ai rencontré plusieurs prix Nobel, ce sont des gens normaux. Les grands chercheurs sont connectés en permanence, ils répondent à leurs e mails le week-end, ils ne dorment pas la nuit quand on leur a refusé un article, même à 55 ans. Et ils crèvent de peur de ne plus être productifs dans 2, 3 ans. Et ils veulent toujours trouver. Ils son de vrais chercheurs au sens où et ils se fixent  toujours des objectifs ambitieux, alors même qu’ils ont trente ans de carrière derrière eux. Ils sont insatisfaits. Le plaisir c’est de trouver. Le grand bonheur c’est de trouver quelque chose de nouveau. Ce qui fait la force des très bons, c'est de savoir repérer un diamant brut. Les autres vont continuer à prendre les tonnes de cailloux sans le voir. Le grand chercheur sait le repérer, le tailler et le vendre. Il y a le savoir-faire et le faire-savoir, ce qui ne doit être une honte. Savoir communiquer fait partie mon job, sinon, mes idées ne sont pas disséminées et elles sont perdues. Moi j’ai des plans de com, c’est indispensable.

 

Vos travaux actuels ?

Comprendre l’interaction entre nos gènes et l’environnement. Et les incidences sur le diabète et le cancer. Et l’épigénétique, à savoir qu’est ce qui modifie le fonctionnement de nos gènes. Deuxième thème qui m’intéresse c’est la relation entre le diabète, l’obésité et le cancer.

 

On vous dit nobélisable, qu’en pensez-vous ?

La nobélite est une maladie qui touche les gens qui ne l’ont pas ! Si un jour le comité Nobel pense que les travaux sur le diabète méritent un prix, je pense qu’ils regarderont mon CV. S’ils me le donnaient je serai très content. Si c’était à mon concurrent je débrancherais mon téléphone, j’achèterais une bouteille de très bon whisky et je me soûlerai la gueule pendant deux jours !

 

 

 

 

 

 

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