Pluie de milliards sur Dunkerque

ArcelorMittal va investir plus d'un milliard d'euros dans une unité de réduction directe permettant de s'affranchir du charbon. Photo CUD ArcelorMittal va investir plus d'un milliard d'euros dans une unité de réduction directe permettant de s'affranchir du charbon. Photo CUD

5 à 6 milliards d'euros annoncés, plus une paire de réacteurs EPR 2. Dunkerque est sous le feu croisé d'un niveau jamais vu d'investissements sous le sceau de la décarbonation. Revue de détail.

 

Ce pourrait être un titre de film façon Audiard, mais c'est bien la réalité économique de notre grande ville portuaire. Jamais sans doute depuis la construction de la centrale de Gravelines ou des hauts fourneaux d'ArcelorMittal, l'agglomération de Jean Bart n'aura vu une telle concentration de projets XXL, avec à chaque fois l'enjeu central de la décarbonation en toile de fond. Commençons par la très médiatique implantation de la méga-usine (gigafactory en langage techno) Verkor. C'est le président Macron lui-même qui en a fait l'annonce dans une interview à nos confrères de la Voix du Nord. Nous y revenons dans notre dossier sur l'automobile ce mois-ci, mais les enjeux sont pharaoniques : 1,5 à 2,5 milliards d'euros d'investissement selon les sources, une aide publique considérable de 60 M€ pour la Région, 30 M€ pour l'agglo, et un potentiel de 2 000 emplois à terme.

Deuxième dossier majeur : l'implantation par ArcelorMittal d'une unité de réduction directe, pour un investissement de l'ordre du milliard d'euros. L'enjeu est là encore de grande envergure. Il s'agit de transférer une grosse partie de la production des hauts fourneaux au charbon vers une fabrication à base d'hydrogène. De quoi produire 2,5 millions de tonnes d'acier sur son volume annuel de 6 à 7 millions de tonnes. C'est cette fois lors d'un déplacement de Jean Castex sur place que l'annonce déjà à l'ordre du jour (Eco121 n°117) a été confirmée. Ce n'est pas tout : quelques jours plus tard, c'est l'énergéticien Engie (associé à l'américain Infinium) qui annonçait l'implantation d'une unité industrielle très disruptive, sans même passer par une phase pilote, de transformation du CO2 d'ArcelorMittal en carburant de synthèse. Un pari de plus de 500 M€, sans doute largement plus, selon certaines sources. Cette usine sera l'une des plus importantes sinon la plus importante d'Europe avec cette technologie. Un électrolyseur de grande puissance (400 Mw) produira de l'hydrogène à base d'électricité verte qui, combiné avec le CO2, permettra donc la fabrication de e-kerosène, de e-diesel et de naphte. Cerise sur le gâteau circulaire, le procédé va générer de nombreux coproduits pour lesquels les débouchés locaux devraient être nombreux : vapeur, oxygène, eau, voire hydrogène, parmi d'autres. Le projet sera en revanche très peu créateur d'emplois hormis les 400 prévus pendant la phase de chantier : la conduite de cet équipement nécessitera seulement une cinquantaine d'emplois de haut niveau. Le projet d'usine d'hydrogène H2V suit elle aussi son cours, avec une feuille de route à 250 M€.

Il faudra encore compter un gros milliard d'investissement en mer, dans la future ferme éolienne offshore de grande puissance (800 MW) d'un consortium conduit par EDF. Il faudrait y ajouter le « grand carénage » (maintenance lourde) de la centrale nucléaire de Gravelines, qui représente 1 milliard d'euros sur plusieurs années.

Voici donc déjà, si vous avez bien suivi, 5,5 à 6 milliards d'investissements  certains pour le territoire dunkerquois ces prochaines années. Et sans doute près de 15 milliards en tenant compte du renouvellement de la centrale atomique de Gravelines (lire ci-après). 

« Ere d'expansion industrielle »
La capitale des énergies fossiles profite donc à plein aujourd'hui de la tendance lourde et irrévocable de la décarbonation. De quoi retrouver à n'en pas douter une dynamique territoriale très puissante dans les prochaines années.

« On a franchi un cap. Le territoire rentre indéniablement dans une nouvelle ère d'expansion industrielle. La question n'est plus maintenant comment on arrête le déclin, mais comment on réussit l'expansion industrielle», se réjouit Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque.

 

 

Deux EPR 2 en vue à Gravelines

Certes Emmanuel Macron a joyeusement enjambé l'élection présidentielle d'avril en proclamant des annonces à horizon de 10 à 15 ans. Mais le Président de la République en fin de mandat n'en a pas moins donné le coup d'envoi longtemps attendu d'une nouvelle génération de réacteurs nucléaires en France. C'est lors d'un déplacement à Belfort consacré au thème de l'énergie que le chef de l'Etat a annoncé le lancement imminent de la procédure pour doter la France de six réacteurs EPR 2 à échéance de 2035, puis huit tranches supplémentaires. L'Etat s'en remet précisément au programme proposé par EDF en mai 2021, que Mathias Povse, délégué régional d'EDF, évoquait dans nos colonnes le mois dernier. Les nouveaux réacteurs sont de grande puissance (1 600 à 1 700 MW chacun), bien plus que les tranches actuelles (900 MW). Ils devraient être répartis entre la centrale de Penly (Seine Maritime), celle de Gravelines, et un site en Auvergne Rhône-Alpes qui doit être décidé entre Tricastin et le Bugey.

Le montant global pour le programme Nouveau Nucléaire atteindrait 50 milliards d'euros. De quoi garantir durablement la souveraineté énergétique du pays mais aussi de quoi apporter un véritable jackpot économique pour l'économie littorale. A peine les annonces faites, Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque, a immédiatement salué "une nouvelle grande victoire pour notre territoire", ainsi que "les choix stratégiques opérés aujourd'hui par l'Etat qui promettent de beaux lendemains et des emplois pérennes aux habitants de notre territoire"