Crise : ces entreprises qui ont survécu à tout

L'usine Lesaffre est à nouveau dévastée par la guerre en 1944. L'usine Lesaffre est à nouveau dévastée par la guerre en 1944.

Le choc post-sanitaire sur l'économie est énorme. Le recul de PIB serait de 17% au deuxième trimestre, et de 11% sur l'année, du jamais vu.
Eco121 se penche ce mois-ci sur les entreprises qui ont traversé toutes les crises depuis cent ans et plus. Des vieilles dames agiles, organisées, long-termistes, encore familiales pour beaucoup, et qui sont de vraies sources d'inspiration face aux menaces contemporaines. Focus sur nos super-résilientes régionales.

 

"Ces vieilles entreprises demeurent le socle de l'économie mondiale et s'affirment comme un modèle de résilience ». Le mot est de Jean-Pierre Letartre, alors encore président d'EY France, en préface du premier ouvrage* duCclub des entreprises centenaires de la région, en 2014. Bien avant la pandémie de la Covid-19. Il expliquait alors que la moitié des entreprises centenaires dans le monde sont familiales, qu'elles emploient 50% des actifs en Europe et outre-Atlantique, et qu'elles affichent souvent une croissance annuelle supérieure à 5%.

Face à la crise actuelle d'une ampleur inédite, quelles leçons nous enseignent nos centenaires ? D'abord, n'oublions pas celles qui sont tombées avant d'atteindre le siècle, ou celles qui sont encore en grande difficulté, comme Arc, ou Devianne. Il n'est pas toujours possible de se relever de désastres absolus, ou de difficultés insurmontables. L'exemple de Jean Caby, leader français de la saucisse cocktail, liquidé en 2018 à quelques mois d'atteindre le centenaire, reste dans les esprits.

D'autres ont réussi des redressements incroyables. Le cas de Lesaffre est saisissant. Tout juste séparée de la branche Bonduelle en 1901, la famille fait face à un désastre majeur en 1910 : l'usine de Marcq-en-Barœul est intégralement ravagée par un incendie qui va durer une semaine entière... La série noire se prolonge quatre ans plus tard avec la guerre. Le jeune dirigeant de la troisième génération, Léon Lesaffre, qui gérait la reconstruction, est fait prisonnier par les Allemands ! Il reconstruira l'entreprise à nouveau après guerre... Mais celle-ci se trouve déstabilisée en 1923 par la baisse brutale, par l'Etat, du prix de l'alcool de grain, mettant en péril son activité. Lesaffre trouvera la solution en exploitant la mélasse comme nouvelle matière première. Nouveau drame en 1944 quand l'usine est encore dévastée, cette fois par les bombes alliées qui feront 9 morts dans l'usine. On pourrait ajouter des dissensions familiales qui ont secoué l'entreprise il y a quelques années. Autant d'avatars, autant d'occasions de résilience. « Ce qui ne tue pas rend plus fort », dit la maxime populaire. Forte de cette histoire particulièrement contrariée, Lesaffre est ainsi devenue au fil des années un leader mondial, toujours en expansion y compris pendant la crise actuelle (lire page 33), toujours 100% familiale 165 ans après sa création. Et dont la levure est présente dans un pain sur trois dans le monde... Le fruit d'une stratégie de croissance, mais aussi d'innovation constante, de R&D, et de diversification, désormais dans la biotech. Peut-être aussi le fruit d'une discrétion devenue légendaire avec les années. « Le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien ».

Une des caractéristiques les plus fortes de ces centenaires est une stratégie de long terme, jamais braquée sur la rentabilité immédiate mais sur la pérennité. « Ces dernières décennies, la performance de l'entreprise est restée dans l'entreprise, réinvestie, tandis que les distributions de dividende ont été modestes. La majorité des résultats est réinjectée dans l'outil », expose François Dutilleul, 4e génération à la tête du groupe éponyme, qui fête ses 100 ans cette année. La pérennité est aussi celle de l'écosystème, qui devient au fil du temps un atout clé de ces entreprises. La confiance durable établie avec les salariés, les fournisseurs, les prestataires, les banques, joue un rôle crucial, dans des gouvernances souvent bien huilées avec le temps.

Il reste l'agilité. Parfois devenues très importantes, ces entreprises ont gardé dans leur ADN cette capacité de remise en question, de capacité de choix stratégiques rapides : diversifications parfois très éloignées du secteur initial, acquisitions, innovations, voire cessions ou fusions. A l'exemple de Méo et Fichaux, qui fusionnent en 2012 pour devenir le premier indépendant du café en France, mais aussi comme Beck Industries, qui choisit l'an dernier de rejoindre un acteur britannique, lui aussi familial, Cooper & Turner, donnant au nouvel ensemble une place de major mondial de la boulonnerie de sécurité.

Si chaque entreprise a sa trajectoire propre et son histoire individuelle, il n'en demeure pas moins que leur pérennité au-delà des secousses de la grande Histoire est riche d'enseignements. Nous vous en proposons quelques exemples ci-après

 
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