Philippe Vasseur : "Le principal est d'avoir des projets et des gens pour les porter"

"Le principal est d'avoir des projets et des gens pour les porter" "Le principal est d'avoir des projets et des gens pour les porter"

Philippe Vasseur préside depuis 2017 un ovni institutionnel, la mission rev3, partagée entre Région et CCI de région. Après le décès de Philippe Rapeneau, alors vice-président en charge au conseil régional, c'est lui qui incarne aujourd'hui la rev3 en région. Six ans après le masterplan de Jeremy Rifkin sur la troisième révolution industrielle à l'échelle d'une région – une première mondiale, où en est-on aujourd'hui ? Rencontre.

La région s'est positionnée tôt sur la troisième révolution industrielle rebaptisée rev3, mais aujourd'hui le monde entier ne nous rattrape-t-il pas ?

C'est bien d'avoir été pionnier, à condition de garder l'esprit d'avance. Nous vivons une révolution globale, technologique d'abord. La première fois que j'ai parlé d'impression 3D il y a quelques années, certains me prenaient pour un grand malade. On y est aujourd'hui et les perspectives de l’intelligence artificielle sont vertigineuses. Où sera-t-on dans dix ans, personne ne peut le dire, mais on doit avoir cette grande vigilance face à la vitesse technologique.

La deuxième question est celle des ressources. Le pétrole, mais aussi l'eau, les terres rares. Demain, que fait-on sans lithium, sans indium ou si on dépend du quasi monopole de la Chine ? Le troisième enjeu est la révolution de l'environnement. Ce qui était parfois brocardé auparavant - ou en tout cas négligé - est devenu une question majeure.

Justement, la région se veut exemplaire. Or dans le même temps, l'Autorité Environnementale publie un avis au vitriol sur le Schéma régional d'aménagement et de développement durable du territoire...

D'abord, le SRADDT n'est pas encore dans sa forme définitive. Je suis toujours méfiant par rapport aux schémas. Je dois être un des derniers à avoir encore sur mon étagère le schéma de l'OREAM de 1970, adopté en conseil des ministres. Quand on le relit aujourd'hui, on éclate de rire ! Ceci étant, j'ai été surpris de la sévérité du ton de l'Autorité Environnementale. La région a intérêt à mettre en avant sa démarche au sens large, dont Rev3. Vous savez, quand quatre entreprises du Dunkerquois se mettent ensemble pour réduire leurs émissions de CO2, on est bien au cœur de ces enjeux.

Au départ, rev3 était un peu conceptuel. Son appropriation est-elle désormais acquise, y compris en Picardie ?

Rev3 n'est pas un schéma prescriptif. Notre démarche est de créer un état d'esprit général, impliquant le maximum d'acteurs. Quand ouvre la première ligne de bus à hydrogène dans le bassin minier, je n'y suis absolument pour rien, mais cela dénote une volonté de participer à un mouvement d'ensemble, une démarche collective.

La Picardie s'engage aussi. On pouvait penser que l'UTC n’était tournée que vers Paris, pas du tout, elle est très disposée à travailler avec nous. On monte des colloques universitaires à Amiens sur la bio-économie, sur la mobilité à Valenciennes, Lille et Compiègne. On a une très belle opération pilote sols vivants et fonds carbone, pour favoriser d'autres pratiques culturales qui favorisent la captation carbone, avec la chambre d'agriculture et certaines grosses entreprises comme Nestlé. On démarre dans le Santerre avec 15 agriculteurs sur 1000 ha et une ONG, Earthworm. Si on n'était pas là, l'opération ne se ferait pas. Rev3 n'est pas une institution, c'est une mission. Je vais beaucoup en Picardie, il y a certes du travail mais ça accroche bien. 

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Jugez-vous que la démarche rev3 a atteint un seuil critique et pourra vivre sur sa propre dynamique ?

Quand vous êtes dans le mouvement, le seuil critique est toujours devant vous ! La prise de conscience est faite, c'est clair, mais il faut maintenir des efforts permanents dans la façon d'aborder les choses, garder cet esprit de mission et surtout pas de pouvoir.

La CCI de région, plombée par les restrictions de ressources, est en difficulté. Cela affecte-t-il votre mission ?

Pas pour le moment. Le Président de la CCI de région, Philippe Hourdain, reste très déterminé sur rev3. Mais c'est vrai qu’on se porterait mieux si la CCI avait les mêmes moyens aujourd'hui qu'hier. Si cette mission n’était qu’un service du conseil régional, ça affaiblirait considérablement son intérêt. Son originalité et sa légitimité c’est de fédérer tous les acteurs, politiques, économiques, académiques, etc.

L'engagement des territoires se mesure aussi aux démonstrateurs territoriaux. Où en est-on ?

Cela a pris au-delà de nos espérances ! J'en espérais 10 en 2019, nous en avons déjà 16 et demain 22, sur la base du volontariat. On monte une ingénierie financière avec EY. Le principal est d'avoir des projets et des gens pour les porter. Cela va de la ville de Fourmies avec 12 000 habitants au pôle métropolitain de l'Artois avec 650 000 habitants. S'ajoutent à cela les accélérateurs qui sont, eux, la valeur ajoutée de la CCI. 5 ont ouvert, à Douai, Arras, Lille (université) et Dunkerque, avec un objectif de 10 accélérateurs fin 2020, avec une dizaine d'entreprises par unité.

L'une des grosses priorités rev3 était la biométhanisation. Est-elle menacée par des perspectives de prix de rachat du PPE, sans parler des déboires de Chaumeca ?

C'est une décision nationale qui n'est pas encore prise et je pense que ce sera as- soupli. Quant à Chaumeca, sa chute m’attriste c'est vrai mais cela fait partie de la vie économique, malheureusement. Nous avons toujours comme objectif d’être la première région de France et même d’Europe pour le bio-méthane injecté.

Quel bilan faites-vous des outils financiers dédiés à rev3 ?

On peut regretter un peu de formalisme et de lourdeur parfois, mais c'est adaptable. Ainsi l'Adème propose de s’investir davantage dans l'évolution du Fratri (fonds régional d'amplification de la troisième révolution industrielle) qui a fait la preuve de son efficacité. Le fonds Cap3RI, lui, a déjà été assoupli pour pouvoir intervenir sur des tickets inférieurs à 1 M€, et parfois accepter de prendre quelques risques.

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Comment expliquez vous l'absence de la Caisse des dépôts, qui avait été annoncée au départ dans ce fonds d'investissement ?

Je ne me l’explique pas. Mais ce n’est peut-être pas irréversible. On travaille avec la Caisse des dépôts sur la revitalisation du bassin minier. Il y aura peut-être une opportunité pour Cap3RI l'an prochain, on envisage une augmentation de capital.

Et le livret d'épargne rev3 ?

La collecte dépasse 17,4 M€ d'encours, il y a une nouvelle directrice, et nous allons le relancer. Avec l’objectif d'arriver à 30 M€ de collecte.

Parmi les dix grandes priorités initiales de rev3, où en est le projet filière hydrogène ?

Là, c'est plutôt le territoire de Dunkerque, avec deux acteurs, H2V et GRHYD (Engie). Il y avait aussi un projet de locomotive à hydrogène, qu'Alstom veut bien fabriquer mais il faut payer cher ! C’est toujours à l’étude mais on a aussi un projet qui consisterait à remplacer 80% du carburant diesel par du gaz naturel. Ce s rait beaucoup moins cher. Avec un intérêt supplémentaire : le retrofit (transformation des machines) se ferait dans nos usines régionales, contrairement aux trains à hydrogène. Mais Franck Dhersin, le vice-président du conseil régional en charge des transports, étudie les deux options.

Un autre champ majeur de rev3, c'est l'économie circulaire. On a pourtant l'impression que le pôle de compétitivité Team2 dont c'est la thématique n'a jamais décollé...

L'un des problèmes, c'est le caractère très fluctuants des cours des matières. A certains moments, le recyclage peut être très intéressant, à d'autres beaucoup moins. Il faut regarder si on ne peut pas avoir des mécanismes de compensation. Il y a dans la région de fortes opportunités pour les terres rares et les métaux stratégiques. Nous avons une étude en cours avec l'Adème pour développer l'économie circulaire dans quatre domaines, le textile, le plastique, l'alimentation et les matériaux. On travaille ainsi sur un mécanisme d'incitation financière, avec des fonds européens, pour utiliser des matériaux recyclés en expérimentation dans les Hauts-de-France, en partenariat avec Federec. On regarde notamment la filière lin pour exploiter les anas (résidus végétaux), pour en faire par exemple du béton de lin ou du béton lin-chanvre. La grande région Nord-Pas-de-Calais Normandie, c'est 80% de la production mondiale. On a aussi une entreprise du secteur qui envisage d'implanter une usine à Laon avec 40 emplois.

Avez-vous des regrets depuis le début de la mission ?

Pas tellement, même si on n'a pas que des réussites ! J'ai un regret sur la maintenance prédictive où la région, avec l'intelligence artificielle, a une vraie carte à jouer. On n'a pas encore avancé comme je l’aurais souhaité !

Rev3 a été, lors de son lancement, un axe fort du devenir de notre région. Est-ce toujours le cas ?

Oui, et même de plus en plus. Après la disparition tragique de Philippe Rapeneau, le Président du Conseil régional, Xavier Bertrand, a placé directement rev3 sous sa responsabilité. Il a décidé d’étendre rev3 à toute la région des Hauts-de-France et d’approfondir les actions, notamment avec la création de la Mission. Il veille à ce que tous les élus concernés s’impliquent. Et c’est le cas.