SeaFrance, chronique d'un naufrage

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

Quel avenir pour Sea-
France ? Le couperet
du tribunal de commerce
tombera dans
quelques jours. Seule certitude,
l'avenir de la compagnie maritime
française SeaFrance, filiale
à 100 % de la SNCF, est sombre
et seule l'importance du tribut
social à payer reste à connaître.
Difficile à admettre quand on
sait que le Calais-Douvres est
l'une des lignes les plus juteuses
du marché du transport maritime
européen. SeaFrance et
P&O se partagent un marché qui
draine 83 % du trafic de voitures
et 92 % de celui des camions qui
vont et viennent de Grande Bretagne.
Longtemps dotée d'un
duty free, la desserte a naturellement
attiré la concurrence :
Eurotunnel à Coquelles, les
" lowcoster " à Boulogne-surmer,
Norfolk Line à Dunkerque.
Dans cet environnement mouvant,
le premier employeur privé
du territoire s'englue depuis trois
ans.

Les raisons sont nombreuses
mais le désastre tient beaucoup
à la psychologie d'une entreprise
trop sûre de son destin. En
2005, elle aborde l'avenir avec
optimisme malgré un recul de
plus de 7 % d'activité et une
perte de 9,3 M€. Avec ses 1 605
salariés, dont 1 344 navigants,
ses quatre ferries et ses deux fréteurs,
elle transporte alors 3,2
millions de passagers, plus de
600 000 voitures et près de
700 000 camions avec sa quinzaine
de rotations quotidienne. La malchance inaugure un cycle
de tempêtes dont elle n'est toujours
pas sortie aujourd'hui. Fin
2006, Eudes Riblier directeur
de l'entreprise entre 2001 et
2008 qualifie l'exercice en
cours d'"abominable". Le port
de Calais enregistre deux accidents
sur les postes 6 et 7 qui
désorganisent pendant des mois
le trafic. Les 12 navires des deux
compagnies transmanche tournent
alors sur les trois derniers
postes en service. SeaFrance
perd de l'activité

Contextes et tournant

Pourtant, SeaFrance dégage du
résultat : 7,9 millions. Qui double
même en 2007 ! Les prévisions
de trafic sont ascendantes
mais la crise arrive en silence.
Au moment même où SeaFrance
décide de renouveler une flotte
vieillissante (acquisition du Molière).
Erreur magistrale selon
Marc Sagot, élu CGT au comité
d'entreprise de SeaFrance, qui
avait alerté l'actionnaire en juillet
2007 : "financer quasiment
60 millions d'euros sur la trésorerie,
franchement..."
soupire-t-
il. Ce risque n'a pas été
suffisamment partagé par la
SNCF malgré un prêt de 27 millions
en 2007. D'autre part, Sea-
France s'est montrée maladroite
après l'incendie qui a frappé le
tunnel : seuls P&O et Norfolk
Line en profitèrent... "La part
du marché de SeaFrance reste
stable à 18,8%"
, écrit le cabinet
comptable Secaphi Alpha dans
un audit de la compagnie en
2009.
De 2007 à 2009, le taux de remplissage
et les recettes de la
compagnie chutent fortement.
En 2008, elle perd 20,8 M€
dans un volume d'affaires en
recul de 8 % à 228 M€. Ses
dettes dépassent 100 M€ mais
son effectif augmente tout de
même !

Pierre Fa remplace
Eudes Riblier fin 2008 et rompt
rapidement avec une politique
jugée laxiste envers la CFDT.
Surtout, un plan de restructuration
d'ampleur est décidé. Il doit
conduire à la réduction du nombre
de traversées, la suppression
d'environ 600 postes et la vente
de 3 bateaux sur 7. La SNCF se
décide enfin à reprendre en main
sa filiale. Ses apports réguliers
en trésorerie ont fini par lasser.

A Calais, la CFDT ne l'entend
pas de cette oreille : " On a
perdu des parts de marché
quand Pierre Fa a monté sa
théorie fumeuse en septembre
2009 : réduire le nombre de
traversées pour améliorer le
taux de remplissage. Sur Calais-
Douvres, c'est toujours celui qui
met les capacités qui gagne "
,
pétitionne Didier Capelle, secrétaire
de la section maritime Nord.

"La CFDT est en train
de tuer SeaFrance"

Partenaire bienveillante de l'ancienne
direction, l'organisation
syndicale majoritaire fait savoir
à la nouvelle son pouvoir de nuisance.
En peine pour remplir ses
navires, SeaFrance essuie des
grèves à répétition. La CFDT refuse
les bases du plan Fa qui
finit par lâcher l'armement d'un
quatrième navire.
Après la signature laborieuse de
ces accords qui suppriment finalement
482 postes, la CFDT
lance une nouvelle grève en avril
dernier pour protester contre le
" mépris " de la direction. C'est
l'acte de trop. "La CFDT est en
train de tuer SeaFrance"
,
clame Pierre Fa qui place alors
l'entreprise en redressement judiciaire.

Ses pertes 2009 sont
abyssales malgré la vente d'un
navire : 57,6 millions de pertes
et 188 millions de dettes !
Cette année, SeaFrance creuse
ses pertes encore plus vite. Au
premier semestre, elle dévisse
de 36 M€ dans un volume d'affaires
d'à peine 154 millions. Le
départ de 330 personnes en
2010 ne suffit pas à stopper l'hémorragie.
Son nouveau plan
prévoit désormais 725 suppressions
de postes. SeaFrance ne
s'en sortira pas seule dans un
contexte où son besoin de financement
est estimé à 190 M€ par
la direction.

Avec son " nouveau
projet industriel ", cette dernière
qui n'a pas souhaité répondre
à nos questions espère
un retour à l'équilibre en 2014.
Seafrance a un atout : Bruxelles
vient d'autoriser la recapitalisation
par la SNCF. Mais ses rivales
tenteront probablement de
faire annuler cette " aide faussant
la libre concurrence ".
En dépit de ces incertitudes,
SeaFrance ne disparaitra pas
encore à la rentrée. Le transport
maritime vers l'Angleterre est
une mission de service public
pour la SNCF qui ne peut se séparer
de sa filiale avant son redressement.
Mais personne n'en
veut : la seule offre de reprise
déposée par un holding nébuleux
d'Ile de France (Being
Bang) comprenant du conseil et
des spectacles a été retirée fin
août... Farfelues ou pas, les
chroniques aventurières de Sea-
France ne sont probablement
pas terminées. Et la SNCF devra
encore épauler quelque temps sa
tumultueuse filiale.

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