Sondage exclusif : nos patrons en plein brouillard

68% de dirigeants évoquant une trésorerie entamée voire critique. 23% envisageant de licencier. Seul un dirigeant sur cinq est sûr de conserver son modèle économique. Le choc du confinement sur notre tissu économique est très brutal, comme le montre le sondage exclusif réalisé par Eco121. Les dirigeants, sonnés, se montrent à la fois avides d'agilité et d'adaptation.

"Nous sommes en guerre », a martelé à six reprises le président Macron le 16 mars, avant de confiner le pays pendant deux mois. Si ce conflit sanitaire a tué près de 30 000 personnes, les entreprises sont les autres grandes victimes directes de cette panne de moteur de la France. Notre enquête le confirme sans détour. Seuls 30% des répondants ont pu garder une activité normale, 62% ont eu recours au chômage partiel, avec en moyenne les deux tiers des collaborateurs concernés. Près de 46% évoquent des impayés ou des allongements de délais de paiement. Conséquence immédiate de la situation : 58% des chefs d'entreprise font état d'une trésorerie entamée, 9,6% estimant même qu'elle est critique. 14% évoquent un risque de dépôt de bilan d'ici la fin de l'année, et 23% envisagent des réductions d'effectifs à l'issue de la période de chômage partiel. Soulignons quand même les 7,9% de chefs d'entreprise heureux qui pensent à l'inverse embaucher.

En parallèle, l'espoir d'un retour à la normale rapide est au plus bas. Si 5,1% des entrepreneurs disent n'avoir pas eu de baisse d'activité, le plus grand nombre (47,8%) estime qu'il faudra un an ou deux, tandis que 36% pensent que cela pourrait être rapide ou d'ici six mois.

 

 

 

Seuls 21,7% sont sûrs de garder leur modèle économique

Après le choc, comment repartir ? Disons-le, les dirigeants sont sonnés, groggy. Ils sont nombreux à estimer que les mesures sanitaires vont avoir un coût raisonnable (52%), mais 32,3% le disent important. Seul un sur 4 envisage d'en reporter tout ou partie sur les prix de vente. Leur besoin en fonds de roulement est assuré pour la reprise pour 32,5%, probablement assuré pour 43,3% et suscite des inquiétudes pour 24%. Autre difficulté attendue : une poussée de l'absentéisme (pour 35,5% des répondants), correspondant sans doute à un niveau d'inquiétude assez fort des salariés malgré les mesures sanitaires. Au-delà, les entreprises doivent-elles repenser leur modèle économique (imposé parfois par les distanciations sociales) ? Seuls 21,7% des entrepreneurs pensent maintenir le cap. Près d'un tiers pensent que leur modèle sera bouleversé. Mais, et le chiffre est incroyable, 45,4% se disent incapables de répondre aujourd'hui, signe d'un immense désarroi.

  

Le fonctionnement des entreprises est manifestement appelé à évoluer, ce qu'indiquent près de 83% des répondants. Parmi les changements, l'avènement du télétravail apparaît comme l'un des plus forts : 60% des dirigeants disent vouloir l'augmenter. Mais près de 45% d'entre eux pensent aussi modifier l'organisation des bureaux et 22% les circuits d'approvisionnement. Ces sables mouvants mettent la sérénité des entreprises à rude épreuve. Alors que le chef d'entreprise est un optimiste par nature, ils ne sont que 36% à se déclarer dans cet état d'esprit, contre il est vrai un faible taux de pessimistes, mais surtout des bataillons de patrons en plein brouillard : ils sont près de 52% à se dire « dans l'expectative » pour leur entreprise. Bonne nouvelle, à titre individuel, les dirigeants sont beaucoup plus nombreux à se dire optimistes (51%) mais toujours un nombre important dans l'expectative (37,3%). L'économie étant d'abord et avant tout une question de confiance et de visibilité, cette énorme incertitude des dirigeants est clairement un indicateur inquiétant auquel les pouvoirs publics devront sans aucun doute apporter des réponses rapides pour faire repartir correctement l'entreprise Hauts-de-France.

 

SIDÉRATION

Nous avons posé une question ouverte sur la perception de cette crise. Les réponses montrent l’ampleur du séisme ressenti, entre sidération et nécessité de repenser nos modèles.

«Stupeur », « exceptionnel », « sans précédent » sont quelques termes utilisés : le constat est constant à la fois sur l’imprévision et la gravité de la crise traversée et la sidération produite. Baisse brutale du chiffre d’affaires et du carnet de commande, chômage technique, choc sanitaire : le terme de « désastre économique » illustre bien la gravité du phénomène.

Vous êtes nombreux à interpeller sur l’« impact psychologique » de la crise actuelle, évoquant de « nouvelles angoisses », une « modification des comportements » qui ne peut qu’inquiéter. La crise actuelle sera nécessairement « porteuse de changements ». Pour citer un dirigeant : « Il y aura un avant et un après » ! Il faudra « repenser notre mode de vie », et « repenser notre manière de travailler ». L’humour n’est pas absent, au reste : un dirigeant interroge « Tiens, nous sommes mortels ? » Deux thématiques ressortent aussi : le « gâchis pour une maladie pas si grave que ça », et une « surréaction sanitaire » qui montre bien la mise en perspective de la crise actuelle dans notre monde moderne.

Vient rapidement la question de la responsabilité de la crise. Si d’aucuns parlent d’un « tout petit virus », c’est pour décliner sur les « erreurs commises dans la gestion de la crise » ou « l’impréparation de nos dirigeants » ; d’autres les félicitent au contraire pour leur gestion ! Et si ce ne sont nos gouvernants qui sont responsables, on retrouve pêle-mêle « la grande distribution », « la mondialisation », « les Etats-Unis, la Russie et la Chine », ou encore les « lobbys de la finance ».

Plusieurs considèrent que cet événement peut toutefois se révéler un véritable tremplin pour leur entreprise. Par la remise en question des modes de fonctionnement actuels, qui ont montré leurs limites, et par les nouvelles opportunités qui ne vont pas se manquer de se présenter. Quitte à repenser dans les moindres détails les modèles économiques et commerciaux.

Pour le clin d’œil, citons ce dirigeant qui parle de l’ultracrépidarianisme, ce comportement qui consiste à donner son avis sur des sujets sur lesquels on n’a pas de compétence spécifique. Après les 60 millions de sélectionneurs pour l’équipe de football, nous sommes maintenant 60 millions de virologues !

 

REDÉMARRER, AU PLUS VITE !

Quelle mesure mettriez-vous en œuvre immédiatement ? Si un dirigeant a répondu avec humour vouloir « partir en vacances, car [il est] rincé par les 2 mois passés », et un autre vouloir « partir à Tahiti », les répondants ont globalement retenu 5 axes.

Primo, le redémarrage : « relancer la prospection commerciale », « faire reprendre le travail au plus vite à toutes les entreprises » illustrent bien la volonté de faire repartir la machine économique. Secundo, les aides, venues de l’Etat ou des partenaires. Les propositions pleuvent : « annuler les charges et les impôts », « poursuivre le chômage partiel », « baisser la TVA », « annuler les taxes foncières » par exemple. Les dirigeants suggèrent aussi de « remuer le poil des banques », « d’essayer de négocier avec mon assureur qui ne joue pas le jeu », ou « d’obliger les propriétaires à annuler les loyers », « d’organiser les approvisionnements par des filières locales » ou plus généralement « un plan de relance industriel ».

Le troisième axe est orienté sur le droit du travail : « pouvoir moduler le temps de travail de façon plus souple », « augmenter le temps de travail », ou « supprimer une semaine de vacances », mais aussi « [transférer] aux salariés la responsabilité du suivi des protocoles instaurés par les employeurs ». On constate aussi, et c’est notre quatrième axe, que la santé est devenue une préoccupation majeure : « reprendre le travail mais avec les mesures barrières », « des tests, des masques pour tout le monde », « dépistage systématique », voire même « supplémenter la population en vitamine D » sont autant de mesures préconisées. Avec une déclinaison pratique : « réorganiser les locaux », ou « plus de télétravail ».

Enfin, plusieurs dirigeants jugent que les mesures à prendre doivent s’inscrire encore plus fortement dans une démarche de responsabilité sociale et environnementale : « une transformation sociale et environne- mentale profonde », « conditionner les aides à la signature d’une charte éthique », ou en- core mettre en place « une loi obligeant les importations à répondre à la même législation que la production française ».

On ajoutera, pour la soif, la proposition vue plusieurs fois « d’interdire aux médias - élargis aux réseaux sociaux- de continuer d’effrayer les Français », celle de « changer tous les hauts fonctionnaires », qui trouve des variantes avec le Président, le gouvernement, ou les syndicats.

 

Le mot du sondeur

Cette étude réalisée auprès des dirigeants de la région Hauts-de-France nous a surpris sur deux axes : d’abord le volume de réponses, avec 329 répondants, ce qui est très largement au-dessus des sondages habituellement réalisés par Eco121. Il faut y voir une interprétation directe, à savoir un intérêt pour le sujet qui est très fort, mais également indirectement une envie de s’exprimer, de parler, sur la fin de cette période de confinement.
On notera également le scope des réponses, traduit par l’analyse des deux questions ouvertes. Au moment où l’on est en train de basculer vers la date fatidique du déconfinement, les questions se posent dans tous les sens, ce qui fait la richesse de l’étude réalisée.
Un dernier mot sur ce sondage : il y a eu, sur la même période, plusieurs sondages réalisés avec des résultats parfois divergents : le sondage réalisé par le BPI indique que moins de 1% des entreprises envisagent une liquidation ! Ceci n’est pas contradictoire avec les données que nous communiquons ici (14,7% des répondants craignent un dépôt de bilan avant la fin de l’année), notre objectif étant avant tout de donner une image des perceptions des dirigeants d’entreprise des Hauts-de-France.

Etude réalisée sur un panel de 329 répondants de la région Hauts-de-France, à partir d’un questionnaire auto-administré sur Internet, entre le 4 et le 10 mai 2020.

 

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