Vague sociale : la région est-elle prête ?

Après l'énorme séisme du confinement mondial, le tsunami social attendu semblait ne faire aucun doute. Pourtant, un an après, force est de constater que la vague n'a pas déferlé. Pas encore. Dans notre région, habituée aux grandes crises et aux grandes mutations, la lutte contre la précarité et pour le retour à l'emploi est une réalité de longue date, qui nous positionne mieux que d'autres. Acteurs publics, entreprises, fondations, associations, les Hauts-de-France sont le pied à l'étrier

"On craignait une explosion sociale qui n'a pas eu lieu. » Rodolphe Dumoulin, haut commissaire à la lutte contre la pauvreté pour les Hauts-de-France depuis septembre 2019, se veut plutôt rassurant. En dépit d'un choc gigantesque, la mise à l'arrêt de toute l'économie, puis un arrêt limité à certains secteurs, le prix social à payer n'est pour l'heure pas trop élevé. Certes, de nombreux plans sociaux ont été décidés, les jeunes ont des difficultés considérables à entrer dans la vie active, et certaines situations sont très difficiles, chez les travailleurs indépendants notamment. Mais les indicateurs macro-économiques demeurent étrangement favorables. Les dossiers de surendettement ? En recul de 24% en 2020 ! Le taux de chômage ? 8% de la population active au dernier trimestre 2020, un recul d'un point au niveau national. Le nombre d'allocataires du RSA ? Seulement en légère progression de 3,5% dans les Hauts-de-France. La déferlante serait-elle évitée ? « On n'a jamais mis autant de moyens sur la table », souligne Rodolphe Dumoulin, qui pointe l'ampleur inédite des amortisseurs sociaux déployés pour faire face : chômage partiel, prestations sociales, aides exceptionnelles aux plus modestes et aux plus jeunes.

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Plan pauvreté

Dans le Nord, premier département français par la taille de sa population, la situation semble encore sous contrôle. Il faut dire que la collectivité, confrontée de longue date à de lourds enjeux sociaux, s'est engagée depuis 2019 dans un plan pauvreté avec l'Etat, à hauteur de 50 M€. Un plan qui se révèle particulièrement opportun en pleine crise Covid. Il aura déjà permis d'ouvrir sept Maisons départementales insertion et emploi, dotées d'une équipe de 43 coachs pour adultes et 30 pour les jeunes. Avec des opérations coup de poing, « Réussir sans attendre », dont les initiales rappellent le RSA. Pendant une semaine en novembre, 6000 allocataires sont ainsi venus à la rencontre d'entreprises, ont découvert des métiers. Résultat : trois mois plus tard, 1300 personnes avaient retrouvé un job et 300 une formation.

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Au demeurant, le nombre d'allocataires du RSA, qui a progressé de 8% en France l'an dernier, n'a crû que de 2,5% dans
le Nord, avec même une chute inespérée de 3,5% en janvier (soit 3 632 bénéficiaires de moins). « Le chômage n'est pas une fatalité, personne n'est inemployable », lance Pascal Fuchs, adjoint au directeur adjoint à la solidarité au département du Nord. A fortiori quand on peut s'appuyer sur des entreprises ou des filières dynamiques. A l'exemple de la logistique, l'économie circulaire, la filière santé, l'aide à la personne...

 

18% taux de pauvreté en région Hauts-de-France.
Pas-de-Calais : 19,3% Nord : 19,1% Aisne : 18,4% Somme : 16,4% Oise : 12,9%

80 projets expérimentaux

Si la crise n'est pas encore trop perceptible, c'est aussi que la mobilisation est générale depuis douze mois. « Le premier confinement a prouvé notre capacité à nous mobiliser rapidement, estime le président de la Fondation de France Nord Hervé Knecht. Tous les acteurs savent que la lutte contre la précarité se joue en proximité, dans les territoires, au plus près de ceux dans le besoin ». La Fondation a mobilisé pas moins d'1,5 M€ pour soutenir plus de 80 projets expérimentaux visant notamment à venir en aide aux plus vulnérables. Elle soutient l'opération expérimentale Call & Care avec six autres fondations, dont la Fondation des possibles ou AnBer (qui abrite 35 fondations familiales). « Il faut faire prendre conscience aux Pme et Tpe qu'elles peuvent aider leurs contemporains dans la région. Les grandes entreprises ont déjà l'habitude », souligne Magali De Swarte, dirigeante de la fondation, qui relève l'importance de l'aide privée pour déclencher un effet levier. Le secteur de l'insertion par l'économique est en première ligne. A l'instar de Vitamine T, l'une des plus grosses structures du genre. « Depuis septembre, Vitamine T enregistre 400 demandes d’emploi en plus chaque mois. C’est énorme ! Malheureusement, on ne peut pas répondre à tout le monde. Mais on embauche entre 100 et 150 personnes par mois, » déclare André Dupon, son dirigeant.

Nombre d'allocataires du RSA
Aisne : 18 700 Nord : 103 500 Oise : NC Pas-de-Calais : 53 600 Somme : 19 100

Les collectivités sont nombreuses à avoir voté des aides exceptionnelles, des fonds d'urgence, des dispositifs dérogatoires. « La demande alimentaire nous a amenés à multiplier par 4 le soutien aux grands réseaux, Croix rouge, Secours populaire, Banque alimentaires, Restos du cœur », indique par exemple le haut commissaire à la pauvreté. Les associations sont toutes au taquet pour encaisser le choc social.

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Anesthésie

Celui-ci finira-t-il par arriver ? « On est tous sous anesthésie. Je crains que le pire soit devant nous, c’est-à-dire fin 2021, début 2022. On risque de vivre un second choc pétrolier !», déclare sans ambages André Dupon. A la fondation de France, Hervé Knecht est sur la même longueur d'onde : « Dans notre région, tous les indicateurs sont dans le rouge. celui des jeunes en décrochage est carrément passé au violet avec la crise. ajoutez à cela l’accroissement des inégalités d’année en année, accentuées par la pandémie, et vous avez là deux bombes prêtes à exploser si l’on n’agit pas rapidement. On est dans l’urgence ! », martèle-t-il, annonçant un rééquilibrage de la Fondation des grandes causes traditionnelles vers les associations de proximité.

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« On ne va pas vers une période faste, mais ce n'est pas comme si nous n'avions pas d'outils, tempère Rodolphe Dumoulin, le haut commissaire à la pauvreté. On n'est pas démunis, on a aussi un tissu d'acteurs, une résilience avec les amortisseurs sociaux, encore plus ici qu'ailleurs, même s'il y a une fatigue évidente». Un homme averti en vaut deux, dit le dicton populaire. Une région avertie aussi, espérons-le.