Les Hauts-de-France : 
regarder le passé pour
 préparer l’avenir

«La résilience, marque de fabrique de notre région?» Le thème de la table-ronde d’ouverture des Trophées de l’Eco, était moins une question qu’un constat, débattu par Jean-Pierre Letartre, président d'Entreprises & Cités et du Medef Lille Métropole, Laurent Martin, directeur général du Crédit Agricole Nord de France et président du Comité régional des banques, et Frédéric Motte, conseiller régional délégué à la transformation de l’économie régionale et président de la Mission Rev3.Résumé des débats.

Publié le 02/09/2025 par Yann Suty / Lecture libre / Temps estimé: 4 minutes

Le 20 décembre 1990, la fosse 9-9 bis d’Oignies récoltait sa dernière gaillette de charbon. Symbolisant la fin de plus de deux siècles d’exploitation de la houille, qui aura façonné le territoire comme la population: les mines du Nord et du Pas-de-Calais ont employé à leur pic d’activité jusqu’à 220 000 salariés. S’en est suivi l’effondrement du secteur textile, qui a compté jusqu’à 130 000 salariés dans la seule métropole lilloise. Il n’en reste que 13 000 aujourd’hui... mais sur l’ensemble de la région, rappelle Frédéric Motte, conseiller régional délégué à la transformation de l’économie régionale et président de la Mission Rev3, évoquant «un tsunami de la désindustrialisation avec des dégâts économiques, sociaux et environnementaux».
Au-delà de cet effondrement, il pointe un système de très grandes entreprises à l’esprit paternaliste, qui embauchaient de la main d’œuvre de père en fils, s’occupaient de nombreux paramètres de la vie de leurs employés, jusqu’à l’organisation de leurs vacances. Conséquence: «ils ont tué l’esprit d’entreprendre». «On est la dernière région de France au niveau de la densité d’entrepreneurs, appuie-t-il. On a moins de créateurs. Il y a des difficultés de reconversion. C’est aussi un territoire marqué au niveau environnemental avec des friches, des sols et des cours d’eau pollués.»


Un patchwork de territoires


Ce tableau sombre montre en creux tout le chemin parcouru par notre région pour réinventer son économie, doper la création d’entreprises, gagner le pari de la tertiarisation avec Euratechnologies ou Eurasanté par exemple, demain Euracréative. Et aujourd’hui relancer le chemin de la réindustrialisation avec une vague d’investissements jamais vus. Jean-Pierre Letartre, le président d’Entreprises & Cités, nouvellement élu à la tête du Medef Lille Métropole, estime toutefois qu’il faut se méfier des moyennes générales sur les Hauts-de-France, car la région est un patchwork de territoires très différents. Selon lui, les multiples crises, les «polycrises» selon l’expression du président de la CCI Hauts-de-France Philippe Hourdain (Brexit, inflation, énergie, Ukraine), ont forgé des cultures très spécifiques sur la durée. «Il y a un esprit entrepreneurial dans la région. Le territoire présente une attractivité très forte. C’est une attractivité sociétale, teintée de paternalisme et de catholicisme. Enfin, il y a fort esprit de coopération. Tout cela, on ne l’a pas dans les autres régions. On a une véritable culture d’entreprise.»


Arrivé dans les Hauts-de-France il y a trois ans comme directeur général du Crédit Agricole Nord de France après des expériences dans différentes régions françaises et à l’étranger, Laurent Martin évoque une région «incroyable», la plus dense de France et la plus jeune après Paris. Il perçoit «une dynamique entrepreneuriale» qu’on ne trouve pas partout sur le territoire, avec «un tissu de centaines d’entreprises à côté des grands groupes.» Il estime qu’on ne prend pas assez conscience de la puissance d’un territoire très riche en infrastructures, avec 14 autoroutes, trois ports, un aéroport, mais aussi des secteurs de l’agroalimentaires et de l’agriculture innovants. «J’étais venu pour faire du business et je me régale», sourit-il.



100 mds d’euros d’investissements


Autant d’atouts pour préparer l’avenir et transformer les Hauts-de-France face à trois enjeux : la décarbonation, les technologies et l’IA, et la transition écologique. «Toute cette transformation crée un territoire en ébullition», souligne Frédric Motte. Il juge qu’avec son territoire et sa culture, la région dispose de la capacité d’assurer la décarbonation. Reste à «concilier fin du mois et fin du monde, sans confondre urgence et précipitation». De son côté, Laurent Martin juge que la situation géographique du territoire confère beaucoup d’avance à la région. «On a aussi la chance d’avoir de très grands groupes» permettant d’avancer sur les grands dossiers .
Jean-Pierre Letartre met en avant la nécessité de changer de focale et de travailler sur un axe Maubeuge-Lille-Dunkerque-Arras. Ce qui a des conséquences sur la mobilité. Il estime aussi que la région va disposer des moyens de la réindustrialisation, grâce aux nombreux investissements qui y sont réalisés avec les giga-factories et autres data centers pour l’IA. «Dans les 15 ans qui viennent, on parle de 100 milliards d’euros d’investissements», chiffre-t-il. Il espère cependant que tous ces atouts ne soient pas gâchés par la manque d’action du gouvernement et de l’UE, en particulier face à la Chine qui est en train de ravager les secteurs de la chimie, de l’automobile ou de la sidérurgie. «C’est aux entreprises de dire haut et fort qu’on ne va pas assez vite par rapport aux transformations du monde.»
Une affirmation appuyée par Laurent Martin. «Les entrepreneurs doivent se faire entendre davantage», exhorte-t-il. Mais comment valoriser les réussites régionales ? Pour Frédéric Motte, il est nécessaire «de raconter ces histoires et de les faire connaître afin de redévelopper de la fierté pour retenir les talents.» Pour cela, il évoque notamment un magazine comme… Eco121 qui, depuis quinze ans, célèbre l’entrepreneuriat nordiste, valorise les initiatives originales et montre la capacité créatrice de la région.On ne va pas lui donner tort!