“Nous voulons faire prendre conscience aux gens de la valeur de l'eau”

Le directeur de l'Agence de l'eau Artois-Picardie Bertrand Galtier. Le directeur de l'Agence de l'eau Artois-Picardie Bertrand Galtier.

L'Agence de l'eau vient d'adopter son programme 2019-2024 de plus d’1Md€. Son directeur Bertrand Galtier revient sur les grandes actions à mener en région dont le réseau de rivières dégradé s'améliore doucement. Sur fond de dérèglement climatique.

Les compétences de l'Agence française pour la biodiversité créée en 2016 risquent-elles de tamponner avec celles de l'Agence de l'eau ?

L'Agence française pour la biodiversité est très orientée eau et biodiversité mais ses compétences sont nationales et nous sur le bassin Artois-Picardie. Elle a une mission régalienne, c'est un peu la police de l'eau. Elle contrôle le respect des normes de l'eau des entreprises ou la conformité des stations d'épuration. Elle finance également des actions mais d'ampleur nationale. Nos actions reposent sur un registre technique et financier en région donc complémentaires à celles de l'AFB. 

En quoi votre nouveau programme quinquennal diffère-t-il du précedent ?

La nouveauté est que les recettes du 11e Programme sont plafonnées par l'Etat pour faire baisser la pression fiscale... ce qui ne nous fait pas forcément plaisir ! Nous avons dû baisser certains taux de redevances entre 10 et 20%. Ce sera effectif dès 2019. L'an prochain, nous aurons l'équivalent des recettes sans la baisse des taux. Mais à partir de 2020, les redevances seront moins élevées. Si elles sont trop importantes par rapport à ce qui est fixé par la loi, l'excédent ira dans les caisses de l'Etat.

Quel sera le nouveau montant de vos redevances ?

Environ 819 M€ sur les six ans. 801 M€ entreront dans nos caisses, le reste sera reversé à l'Etat dont 11M dès l'an prochain. En ce qui concerne nos dépenses, nous avons prévu un ensemble de 1,104 Md€ contre 1,176 Md pour le 10e Programme. 170 M€ concernent la contribution obligatoire à l'organisme national de la chasse et de la faune sauvage et au financement à 100% de l'AFB. Contrairement à d'autres agences, nous aurons une baisse plutôt faible, environ 4%. Nos redevances du Programme précédent ont été plus élevées que ce que nous avions prévu. Notre trésorerie est supérieure à nos besoins. Nous allons donc réinjecter une certaine somme dans le Programme actuel.

Comment expliquez-vous ce "surplus" de redevances ?

On avait tablé sur une diminution de la consommation d'eau, or cela n'a pas été le cas. On pourrait se dire que nos redevances étaient trop élevées mais la philosophie veut que le prix de l'eau de notre bassin ne soit pas trop bas. D'une part parce qu'il faut de l'argent pour renouveler les réseaux de distribution, et d'autre part parce que nous voulons faire prendre conscience aux gens de la valeur de l'eau. Et la valeur monétaire attire l'attention !

Le prix de l'eau est fixé à combien chez nous ?

Avec les parts assainissement, eau potable et redevances, on est à 4,5€/m3 pour le consommateur. C'est un prix relativement important par rapport au reste de la France. Si une collectivité nous demande une subvention pour changer ses tuyaux, nous regarderons d'abord le prix de l'eau pratiqué. S’il est trop bas, nous lui demanderons d'augmenter son prix pour bénéficier de la subvention souhaitée.

Quel seuil les collectivités doivent-elles respecter ?

Il est à 1,30€/m3 désormais, contre 1€/m3 dans le 10e Programme. C'est bien le seuil qui a augmenté et non le prix de l'eau. En 2019, nous resterons sur les seuils anciens. L'année d'après, les collectivités qui veulent une aide pour leurs projets devront faire le nécessaire.

Quelles sont vos priorités d’ici 2024 ?

La première restera le financement des études sur la qualité de l'eau de notre territoire. La seconde concernera "le grand cycle" qui concerne les milieux naturels de l'eau : l'état des rivières, la lutte contre la pollution agricole, la restauration des milieux aquatiques, la préservation des zones humides, etc. On financera également l'agriculture bio pour aider les agriculteurs à franchir ce cap. C'est une agriculture qui consomme en moyenne peu de pesticide. C'est une bonne chose pour les ressources en eau. L'autre priorité sera "le petit cycle" qui renvoie à la gestion de l'eau à usage humain et qui englobe le traitement et l'assainissement de l'eau potable. L'eau de notre bassin est prélevée à 96% dans les nappes souterraines. Le volet assainissement diminuera un peu car beaucoup de progrès ont été faits au niveau des pollutions domestiques et des stations d'épuration. En revanche, le besoin en investissement est encore important pour "le temps de pluie". 

A quoi fait-il référence ?

Lorsqu'il ne pleut pas, les capacités des stations d'épuration sont suffisantes. Mais en cas de fortes pluies, elles débordent. Leur capacité de stockage d'eau n'est pas extensible. Les grosses pluies entraînent les grosses pollutions de l'eau.

L'objectif sera de gérer les débordements. Soit en créant un bassin de récupération d'excédent d'eau, soit en installant des systèmes d'infiltration dans l'aménagement urbain pour qu'elle s'écoule directement dans le sol. C'est la solution que nous privilégions car les bassins sont coûteux et demandent beaucoup de place. 

Mais cela nécessite des aménagements spécifiques...

Nous devons en faire un peu partout. Mais le bassin Artois-Picardie est en avance là-dessus, notamment à Douai. La Ville et la Communauté du Douaisis ont été très proactives sur le système d'infiltration à la parcelle. Quand il pleut, l'eau s'écoule dans le sol. Certains parkings, par exemple, ne sont pas bétonnés et sont aménagés avec des sortes de grilles qui laissent passer l'eau. Quelques boulevards béneficient également d'un système pour recupérer l'eau en sous-sol avant de la filtrer doucement dans la terre. Douai traite moins ses stations d'épuration et recharge les nappes phréatiques avec l'eau de pluie.

Vous investissez massivement en région. Voyez-vous des progrès ?

Oui, sur les cours d'eau par exemple grâce au financement de projets de continuité écologique. Les poissons doivent vivre et pouvoir remonter les cours d'eau. S'il y a trop d'obstacles, ils n'y arrivent pas et ne se reproduisent pas. Nous les enle- vons pour rétablir la pente des rivières. Certains poissons reviennent en région, comme le saumon. La lutte la plus difficile aujourd'hui est celle contre la pollution diffuse d'origine agricole, c'est le cas du glyphosate. Beaucoup de produits phytosanitaires sont utilisés et se retrouvent dans nos eaux. L'action n'est pas facile car on ne sait pas où agir ! 

Ce qui n'arrange pas la qualité plutôt mauvaise de notre eau...

Effectivement, en région c'est compliqué. On a un relief assez plat, les écoulements sont très lents et entraînent parfois des effets de colmatages. A cela s'ajoute un passé industriel très pesant, une agriculture très développée en surface et très consommatrice de produits phytosanitaires et une grande densité urbaine qui n'arrange en rien la réduction de la pollution. 

Qu'en dit l'Europe ?

La qualité de notre eau n'est pas encore au niveau, malgré des améliorations. Les exigences européennes évoluent dans le temps et les critères pour atteindre le bon état chimique et écologique de l'eau sont de plus en plus sévères. Si l'on prend ceux de 2011 par exemple, nous voyons un progrès. Sur le critère "pourcentage de masse d'eau en bon état", nous sommes à 24% pour nos eaux de surface actuellement. L'Europe fixe comme échéance 2027 pour être à 29%. Nous ne sommes pas très loin mais il y a encore du travail ! Il faut anticiper l'avenir sur la qualité de l'eau et protéger nos captages. 

Comment est traitée l'eau de l'Artois-Picardie ?

On récupère ailleurs de l'eau de meilleure qualité pour que le mélange avec la nôtre donne de l'eau potable. Nous faisons cela à plusieurs endroits déjà et ce n'est pas fini. Pour Lille, nous récupérons l'eau d'Aire-sur-la-Lys et faisons des captages souterrains. Nous devons anticiper les besoins en eau de la métropole pour savoir que faire à l'avenir. Il y a un équilibre à trouver entre qualité et quantité. Certaines nappes sont plus sollicitées que d'autres.

La science confirme le lien entre changement climatique et phénomènes naturels comme les pluies intenses. Quelles sont vos actions ?

Les Agences de l'eau en ont deux, l'attenuation et l'adaptation. La première regroupe les actions pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. Tandis que pour la seconde, on se dit que quoi qu'on fasse, on aura des effets plus ou moins intenses du changement climatique. Il faut donc s'y adapter. On se dirige davantage en ce sens. Nous avons un plan d'adaptation pour notre bassin. 

Que contient-il ?

Essentiellement des pistes pour les économies d'eau. Il y a eu des phénomènes de sécheresse et on risque de manquer d'eau. Or, on en consomme beaucoup lors des pompages, des irrigations etc. On accorde également des aides aux systèmes d'assainissement et aux stations d'épuration qui veulent traiter les eaux à l'aide d'énergies renouvelables par exemple. Ce sur quoi nous étions moins regardants avant. Notre rôle est d'aider et d'orienter vers les bonnes pratiques à travers les politiques de l'eau.

BIO EXPRESS

58 ans, Polytechnicien.

1983-1993 : Institut Géographique National dont quelques années à Bangkok.

2000 : En charge du Grenelle au Ministère de l'environnement.

2008-2012 : Fondateur et directeur de la DREAL à la Réunion.

2012-2016 : Direction du parc national des Ecrins.

2017 : Direction de l'Agence de l'eau Artois-Picardie.