Femmes entrepreneuses : à quand la Remontada ?

Il suffit d’assister à différentes réunions professionnelles, patronales, de réseaux d’entreprises pour établir ce constat : les femmes sont notoirement sous-représentées. Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à oser la voie de l’entrepreneuriat. Le rééquilibrage prendra du temps, mais déjà nombre de pionnières tracent avec succès leur sillon. Eco121 a voulu se pencher ce mois-ci sur les femmes chefs d'entreprise de notre région.

"Historiquement, la place de la femme n'était pas celle de capitaine d'entreprise dans notre pays", pointe Marc Burden. "Certaines femmes vivent encore avec ce poids culturel", poursuit le directeur du réseau Entreprendre Nord. C'est sans doute d'abord à la psychologie et aux structures sociales que l'on doit la faiblesse de l'entrepreneuriat au féminin en France. S'y ajoute dans notre région une longue tradition de salariat de masse (métallurgie, charbon, textile) qui a créé un déficit structurel de la création d'entreprise. Avec un ratio de femmes longtemps très faible même si une correction s'opère enfin. Mais les femmes chef d'entreprises sont encore très largement minoritaires. Elles le sont également au sein des conseils d'administration.
"Ce n'est pas évident dans un parcours de femmes de se faire admettre. L'entreprise reste un monde privilégié pour les hommes, ça l'a longtemps été", analyse Yvonne Tassou, experte comptable et présidente de la CPME en région. D'autant qu'harmoniser vies personnelle, familiale et professionnelle s'avère un défi difficile et un frein dans la volonté d'entreprendre.

Dès les études
Pour autant, nombre de femmes ont surmonté les écueils pour mener des parcours brillants, à l'instar de Nathalie Balla, co-dirigeante de La Redoute dont elle a assuré le redressement, en binôme avec Eric Courteille avant de l'adosser aux Galeries Lafayettes. Dans l'industrie, Karine Charbonnier a su conjuguer la direction de son groupe familial d'Armentières, Beck-Crespel et une carrière politique depuis deux ans au conseil régional au côté de Xavier Bertrand. "Il est important d'avoir des modèles. J'ai eu la chance d'avoir mon arrière grand-mère, fondatrice de notre entreprise", confie celle pour qui l'entrepreneuriat féminin a toujours été une évidence. Béatrice Prud'homme préside quant à elle l'énorme et stratégique terminal méthanier de Dunkerque. Dans l'univers des start up, elles sont aussi de plus en plus nombreuses telles Frédérique Grigolato (Clic and Walk), Claire Jolimont (PingFlow), Marina Guillet (Rootlines à Amiens) ou Revital Rattenbach (4P-Pharma). Et les jeunes femmes n'hésitent plus à se lancer dès les études dans la création, comme le souligne Alice Guilhon, directrice générale de Skema, dans notre interview.
L'agence régionale de développement et de l'innovation Hauts-de-France observe d'ailleurs depuis une dizaine d'années un intérêt grandissant chez les femmes de moins de 26 ans pour la création d'entreprise (19,4% des créatrices en 2013 contre 4,7 % en 2009). Même constat chez les adhérentes du réseau Entreprendre Nord : elles représentaient 16 % de la promo 2017 contre 12,5 % en 2016.

“L’entrepreneuriat n’a pas de sexe”
"Pour être une femme chef d'entreprise, il faut oser. oser se lancer, oser affronter le monde masculin de l'entreprise et faire admettre l'idée qu'une femme peut à la fois être mère de famille, épouse et chef d'entreprise", insiste Yvonne Tassou. Mais cela ne suffit pas nécessairement. Une quantité d'initiatives se sont développées ces dernières années pour promouvoir l'entreprise au féminin : les Elles de l'industrie (et du bâtiment), Femmes Chefs d'entreprise (FCE), Little Big Women, les Bienveillantes, même un fonds de garantie dédié (de l'agence France Entrepreneurs)... Sur leur réelle utilité, les avis divergent. Karine Charbonnier dit respecter leurs actions mais n'a jamais souhaité y participer. "L'entrepreneuriat n'a pas de sexe. Je ne vois pas l'intérêt de faire des sous-groupes d'hommes ou de femmes car pour moi cela doit fonctionner de manière mixte."

Trop prudentes
Odile Lepercq, fondatrice en 2008 du centre de formation Carpé Média, à Lille, n'a pas le même regard. Elle a bénéficié de l'accompagnement de FCE, dont elle vient d'être élue présidente, dix ans plus tard. "A la création de ma société, je n'avais aucune connaissance du métier de chef d'entreprise. rencontrer les membres de FCE m'a vraiment aidée... certaines femmes ont une crainte vis à vis de l'entrepreneuriat. Les associations de dirigeantes sont là pour les soutenir", plaide-t-elle. Pour Isabelle Hottebart, qui l'a précédée, les femmes ont l'envie de réussir mais se fixent des freins. Elles seraient très, voire trop prudentes. "C'est un problème de confiance, pas de compétences. D'où l'importance des réseaux pour évoluer soi-même et briser l'isolement". Aurélie Vermesse, dirigeante de l'hôtel de luxe Clarance à Lille et lauréate FCE 2014, estime que ces initiatives doivent travailler leur visibilité. "Avant d'intégrer FCE, je ne connaissais aucun réseau féminin. Il en manque et ceux qui existent doivent se faire connaître davantage !"
Le directeur du réseau Entreprendre Nord Marc Burden voit aussi en ces groupements un levier de motivation. A la demande de ses adhérentes, l'association a d'ailleurs créé son Club des lauréates. "Une partie de leurs interlocuteurs - les banques par exemple - portent parfois un regard différent sur elles, qui n'est pas forcément négatif ! Nos adhérentes avaient le désir de n'en parler qu'entre elles."
Ces initiatives permettent aussi de donner confiance. Ce qui manque encore à certaines femmes, y compris quand elles ont franchi le pas de l'entrepreneuriat : plusieurs ont préféré ne pas apparaître en première ligne dans ces pages.