Le plaidoyer de Gérard Mulliez pour l'action

« Une échelle, si vous ne prenez pas les barreaux du bas, vous n'arrivez jamais en haut ». « Une échelle, si vous ne prenez pas les barreaux du bas, vous n'arrivez jamais en haut ».

Quand Gérard Mulliez fait une apparition publique, il fait toujours un tabac. A 87 ans, le fondateur d'Auchan s'est offert une heure et demi de « stand up » devant un parterre de 400 dirigeants du Flandres Business Club, pour partager quelques enseignements de son parcours unique.

« Merci, Monsieur Mulliez... », bredouille un chef d'entreprise impressionné par l'exceptionnel parcours du patriarche nordiste. « Je m'appelle Gérard ! », lui rétorque du tac au tac et en toute simplicité l'octogénaire. Invité par le Flandres Business Club à la Cité des échanges de Marcq-en-Baroeul, celui qui fonda Auchan en 1961 se délecte visiblement à partager quelques leçons de management devant 400 patrons nordistes, avec la même gouaille qui l'a toujours caractérisé. Et avec un sens de la formule toujours aigü. L'exercice, original, consistait à répondre à dix questions posées par autant de dirigeants, dont un certain Xavier Bertrand (par vidéo interposée). 

 

Adepte du faire

 

Pourquoi le culte du secret ? « On préfère passer du temps à aider les gens à faire plutôt que de passer du temps à dire. Ensuite, pourquoi aller raconter à nos concurrents les bonnes idées qu'on peut avoir avant qu'on ait le temps de les mettre en place, c'est con, non ? Et pourquoi entraîner de la jalousie en parlant ? »

Et de prendre l'exemple du drive, lancé par Auchan et dont l'idée avait été reprise très vite par Leclerc. L'occasion aussi pour Gérard Mulliez de dire que le drive de demain devra être automatisé.

Le moment qui a le plus marqué sa vie ? « Quand mon père m'a appelé dans son bureau 3 ans après l'ouverture d'Auchan Roubaix et qu'il m'a dit « Gérard, tu ne gagnes pas d'argent. Ou bien c'est toi qui n'es pas bon, ou bien c'est le métier qui n'est pas bon. Pourquoi veux-tu que la famille continue à te financer ? » Je suis devenu blanc, je me suis dit que j'allais devoir arrêter, licencier les 30 personnes, retrouver du travail... ». Son père lui accorde finalement trois ans de plus, « mais pas un jour de plus ». Au sortir du bureau, il se réunit avec ses collaborateurs Michel Leclercq, Jean-Pierre Torck, Marc Lepoutre avec le principe suivant : finies les discussions interminables, celui qui a une idée la met en pratique dans son rayon. Si ça marche, il continue, sinon, il en cherche une autre. Une étape qui a libéré les initiatives et les énergies. « En trois mois on a fait plus d'essais qu'on en avait faits en trois ans, ça a vaincu la peur que nous avions de bouger».

 

La rémunération des dirigeants ? « Il est scandaleux de voir la rémunération affichée de certains patrons du CAC 40, ce n'est justifié par rien ». En 1952, le père et les oncles de Gérard Mulliez prennent deux décisions : qu'un patron ne peut pas être payé plus de 20 ou 25 smic, et que 10% seulement des bénéfices de chaque société seront distribués chaque année. « La famille Mulliez, depuis 67 ans, a réinvesti 90% de ses bénéfices ». Ce qui a généré une valeur collective considérable à l'Association Familiale Mulliez. « Mais cet argent n'est pas disponible, les actionnaires n'ont pas le droit collectivement de vendre plus qu'1% par an », sauf à voir le prix abaissé. Un bon moyen de garder les actionnaires. « On a vécu des moments de crise, de joie, on s'en est toujours sorti sur une grande longueur. La vie d'une entreprise n'est jamais une courbe droite ».

 

La Belgique  ? Un certain nombre de Mulliez sont partis en Belgique, parce que l'ISF des entreprises obligeait à payer des dividendes qui, après impôts, coûtaient extrêmement cher, et empêchaient d'investir dans les entreprises. « Faisons attention, car la cause du départ de beaucoup d'entrepreneurs à l'étranger, c'est une fiscalité française mal adaptée au développement des entreprises ». Raison pour laquelle les ETI se sont moins développées en France qu'en Belgique ou ailleurs. « Je soupçonne fortement les nations étrangères, allemande et américaine, de faire ce qu'il faut pour payer le lobbying pour qu'on remette l'ISF, grâce à quoi ils pourront recommencer à racheter des entreprises françaises ».

 

L'actionnariat familial ? Le risque des entreprises après plusieurs générations est que les actionnaires deviennent plus héritiers qu'actionnaires. Il faut se battre pour que les gens de la famille viennent travailler à la base, qu'ils apprennent à aimer le personnel, s'en faire aimer, et à connaître la réalité quotidienne du métier. « Une échelle, si vous ne prenez pas les barreaux du bas, vous n'arrivez jamais en haut ».

 

Les GAFA ? Les conditions de concurrence doivent être les mêmes pour tous les acteurs du territoire, juge Gérard Mulliez. Pourquoi les acteurs de l'Internet ne paieraient-ils pas la TVA en France au prétexte que le lieu de facturation est au Luxembourg ? "Pourquoi je paierais un impôt parce que mon magasin est physiquement visible, alors que ceux du web ne paieraient rien ?"

 

La formation ?  « Si vous sortez de Polytechnique, l'Ena ou Centrale, vous n'avez jamais travaillé en entreprise, et on vous met au gouvernement au côté de vos copains qui eux-mêmes n'ont jamais travaillé dans l'entreprise, ou si haut dans la hiérarchie qu'ils n'ont jamais pu abîmer leurs chaussures et savoir où ça fait mal ». Il faut rendre obligatoire la formation à l'économie de l'entreprise pour chaque personne qui travaille, et n'attribuer un diplôme que dès lors qu'on a passé un an sur le terrain, estime Gérard Mulliez, pour qui ce serait même la toute première mesure à adopter s'il était Président de la République, question posée par Xavier Bertrand.

 

L'environnement ? On découvre que Gérard Mulliez est un grand adepte de la permaculture, qu'il voit comme une promesse pour la nourriture mais aussi l'économie et même un remède contre le chômage. « Ce que vous mangez est issu de produits chimiques posés sur de la terre et non pas issus de la terre », déplore-t-il.