L'AERONAUTIQUE REGIONALE EN PILOTE AUTOMATIQUE ?

 

 

Elle semble planer en silence au-dessus des trous d'air de l'industrie. La "filière" aéronautique des Hauts-de-France affiche une santé de fer. 70 M€ investis en 2016 par Stelia Aerospace (groupe Airbus) à Méaulte, 22 M€ injectés cette année par le duo Safran (51%) / Air France (49%) pour construire usine de maintenance de moteurs Airfoils Advanced Solutions à Sars-et-Rosières (lire ci-dessous), sans oublier les quelques « dizaines de millions d'euros » évoqués il y a un an par Eric Trappier, le Pdg de Dassault Aviation, destinés à faire s'envoler son unité de Seclin, qui produit notamment les ailes du Rafale et des Falcon... Le montant des capitaux mobilisés par les acteurs de la filière au cours des dernières années atteint des sommets. Dans leur sillage, ces donneurs d'ordres de niveau mondial entraînent des escadrilles de PME et de TPE dynamiques et innovantes. A lui seul, par exemple, l'équipementier Induxial (spécialiste de l'usinage et de l'assemblage) consacre cette année 3 M€ pour créer un site de 2 500 m2 à Albert, dans la Somme, le cœur du réacteur de l'aéronautique régionale. Des investissements en série qui répondent aux ventes record des avionneurs, au premier rang desquels Airbus qui, pour la première fois de son histoire, a dépassé le cap des 700 livraisons en 2017 et engrangé 1109 commandes (contre 912 pour Boeing).

Si à elle seule, la Somme concentre ainsi près de la moitié des emplois du secteur avec plus de 4 000 postes, l'Oise est aussi un département dynamique, grâce à sa proximité de l'Ile-de-France. Elle compte de grands établissements, appuyés par un réseau de sous-traitants innovants, comme l'assembleur électronique AQLE. Pour l'ex Nord-Pas-de-Calais, l'addition des principaux établissements laisse à penser que 2000 emplois dépendent directement de la filière.

 

Une politique régionale en mode furtif?

La performance du secteur et de sa petite dizaine de milliers de salariés est d'autant plus notable que, pour l'heure, aucune action collective véritable n'est en œuvre. Par comparaison, l'industrie ferroviaire, sur la défensive, bénéficie d'un contrat de filière et même la très modeste "filière bois", parmi bien d'autres, profite du soutien régional. Selon le site Internet de la Direccte Hauts-de-France, un comité stratégique de la filière aéro s'est tenu à Lille en novembre ... 2016. Et il a réuni 16 industriels pour ... 18 institutionnels ! Un autre comité se serait réuni depuis, mais en toute discrétion. Quant au site de la Région, seule la participation au salon du Bourget est évoquée.

En son temps, la région Picardie avait accompagné la dynamique de l'industrie aéronautique, très concentrée en Haute Picardie. Après avoir injecté plus de 40 M€ pour construire la piste aérindustrielle desservant l'usine Aerolia, devenue Stelia Aéronautique, le conseil régional avait exigé un «retour sur investissement» en termes de développement économique. La collectivité a remis la main au portefeuille pour créer IndustriLab, une plateforme d'innovation industrielle visant à la diffusion de technologies de pointe, comme les matériaux composites par exemple.

 

Une chance : la présence de donneurs d'envergure
Comment amplifier cet élan ? Le nouveau territoire régional a créé une force de frappe dont les acteurs eux-mêmes ne semblent guère conscients, préférant jouer leur lobbying individuellement à l'échelon national via le GIFAS (Groupent des industries françaises aéronautiques et spatiales). Pourtant, on imagine aisément la capacité d'entraînement sur le tissu économique que pourrait représenter l'union des forces entre Dassault, Matra Electronique (Oise), SKF, à Valenciennes, qui fabrique des roulements à billes d'extrême précision, la nouvelle unité Safran-Air France ou bien sûr Stelia Aerospace, dont l'usine d'Albert-Méaulte est «l'une des plus modernes d'Europe », selon Cédric Gautier, le président de l'équipementier toulousain. Spécialisée dans la fabrication des pointes avant – les « nez » - elle s'étend sur près de 50 hectares, dont 11,5 d'ateliers de production.








 

A elle seule, elle pèse 1 600 personnes, dont une centaine recrutées l'année dernière. Stelia y teste son concept d'usine du futur, déployé moyennant deux ans de travail. Résultat : une organisation entièrement repensée, mariant dernières technologies de robotisation des lignes et digitalisation des process. Oubliés plans, papiers et prises de notes. Les opérateurs réalisent leurs activités d'assemblage à partir de fiches 3D sur tablettes tactiles et des systèmes de réalité augmentée.

 

 

 

Essaimage

Dans le sillage de Stelia, un véritable écosystème d'une cinquantaine de PME s'est constitué. Parmi elles, des fabricants de sous-ensembles, comme Figeac Aero, des spécialistes de l'assemblage et de l'ingénierie, comme Laroche Industrie ou encore de la logistique tel Blondel. La communauté de communes du Coquelicot, très active pour soutenir et animer la filière, vient d'injecter 3,8 M€ dans la création d'un hôtel pépinière d'entreprise (IPHE) contemporain, comprenant des espaces de co-working. «Ils permettront par exemple aux sous-traitants de la filière de s'installer pour une durée très limitée. Le fonctionnement sera très souple », relève Chantal Carton, directrice du développement de l'EPCI.

Aujourd'hui, certains sentent tout le potentiel de traction d'une telle force de frappe, avec une visibilité de près de dix années de carnet de commandes ! L'Association des Industries Ferroviaires (AIF) a lancé une commission de travail autour de la diversification de ses membres vers l'aéronautique, assez proche par bien des aspects. Une étude de marché doit être remise au printemps, indique Héric Manusset, délégué général de l'AIF. Ce n'est pas une vue de l'esprit. Hiolle Industrie, à Valenciennes, a racheté l'an dernier deux entreprises de câblage aéronautique, Ocam et LCF. « C'est un pari réussi, se réjouit déjà Véronique Hiolle, dirigeante du groupe familial. Notre objectif est de réaliser 15% de notre chiffre d'affaires dans l'aéronautique à l'horizon 2019 ». L'entreprise réfléchit d'ailleurs à accompagner Dassault en Inde en y implantant un atelier décentralisé.

 

Puissant vortex 

Le groupe lillois Mäder, leader mondial des peintures ferroviaires, se développe lui aussi fortement sur le segment aéronautique et aérospatial : ses revêtements vont protéger la fusée Ariane, les pales d'hélicoptères, les attaches d'ailes d'avion ou les échangeurs d'air et l'intérieur des moteurs. Après dix ans de R&D, le groupe d'Antonio Molina lance désormais une activité composite pour Airbus Helico. Si l'aéronautique ne représente encore que 8 M€ de chiffre d'affaires sur les 180 M€ de Mäder, son dirigeant estime pouvoir grimper rapidement à 20 M€.

Ces initiatives individuelles sont très convaincantes. La question est désormais de savoir si une mobilisation collective, comme pour les industries automobile ou ferroviaire, ne serait pas pertinente pour permettre à un tissu économique bien plus large de profiter du puissant vortex de la turbine aéronautique

Guillaume Roussange et Olivier Ducuing

 

 

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