Le CETI à nouveau menacé

La Chambre des Comptes vient de rendre un rapport très sévère sur la situation du Centre européen des textiles innovants (CETI). Lancé avec un soutien massif de tout l'écosystème, l'outil se révèle structurellement déséquilibré et est menacé de cessation de paiement à court terme. Les magistrats financiers en appellent à une recapitalisation et un changement de statut.

« L’avenir de l’association semble menacé, à brève échéance, si elle ne parvient pas à trouver un modèle économique viable et moins dépendant de financements publics ». La chambre régionale des comptes vient de rendre un rapport alarmant sur la situation du Centre Européen des Textiles Innovants CETI à Tourcoing. Créé en 2007 (et inauguré en 2012) avec le soutien massif des pouvoirs publics pour son investissement initial (plus de 40 M€) comme pour son fonctionnement, il a toutefois frôlé la cessation de paiements en 2017-2018 avant d'être sauvé à l'époque par un accord d'apurement des dettes.

Mais les magistrats pointent une situation à nouveau préoccupante, avec une dépendance aux subventions qui s'accentue, dans un contexte de risque juridique sur plusieurs champs (droit du travail, aide d'Etat et fiscalité, notamment en matière de Crédit Impôt Recherche). Les magistrats relèvent nombre de manquements et ciblent particulièrement l'évolution de la structure, initialement dévolue à la recherche, vers des activités largement commerciales.

 

3 M€ de CIR

Le CETI, qui fonctionne avec un budget annuel de 5 M€ et 26 salariés, ne doit sa trésorerie qu'à un endettement substantiel, indique le rapport. Celui-ci rappelle en outre que le sauvetage effectué en 2018-2019 l'avait été sous condition que le CETI évolue vers un portage privé « qui ne s'est finalement jamais concrétisé ».

Résultat : le CETI ne serait pas nécessairement éligible au régime d'exemption des aides RDI (Recherche, développement, innovation) et pourrait se voir réclamer au moins partiellement le remboursement du crédit d'impôt recherche, et ipso facto creuser un peu plus ses déséquilibres. La somme n'est pas anecdotique : entre 2015 et 2021, le CETI a perçu 3 M€ de CIR.

Le rapport relève aussi nombre d'anomalies dans le fonctionnement statutaire de l'association comme la présence formelle d'un comité scientifique et d'un conseil d'orientation stratégiques très nébuleux, et met en garde les administrateurs contre de potentiels conflits d'intérêt et les invite à la pratique du déport lorsque les sujets traités les concernent. « Nombre d’administrateurs sont, en effet, les représentants d’organismes (de sociétés, notamment) étant en relation financière ou commerciale avec l’association », précise la Chambre. 

D'autres curiosités sont relevées comme un régime de primes « très hétérogène et peu transparent », avec notamment des primes de 29,7 K€ et 22,1 K€ payées en 2020 respectivement au directeur général et au directeur financier, dépassant largement le plafond validé par le président de l'association. Pour 2019, année de son sauvetage, le CETI aura distribué plus de 80 K€ de primes au total dont plus du tiers pour le DG et plus du quart pour le directeur financier. « Ces constats amènent la chambre à s’interroger sur la régularité de ces versements », déclarent les magistrats.

 

Déficits cumulés de 9,9 M€

Mais au-delà des anomalies, c'est la viabilité même du CETI qui est mise en question par le rapport de la Chambre des comptes. Les alertes formelles du commissaire aux comptes sur la situation financière pourtant critique en 2017 et 2018 « n'apparaissent pas avoir été communiquées aux instances » au vu des procès-verbaux. Aujourd'hui, la situation devient à nouveau menaçante avec un résultat d'exploitation lourdement négatif. Les déficits cumulés entre 2017 et 2021 atteignent 9,94 M€, pour 14 M€ de produits d'exploitation... « Le déficit d'exploitation est récurrent et structurel », martèle la chambre. Avances remboursables, Dailly, remise de loyers, prêts n'ont pas permis au CETI de retrouver l'équilibre, tandis que son niveau de dette est jugé élevé, avec une capacité d'autofinancement insuffisante « pour rester un centre technique et de recherche innovant, doté de machines à la pointe de la technologie ». « Rien à ce jour, ne permet de garantir la durabilité du financement », préviennent les magistrats.

Qui concluent : « La situation du CETI est menacée, à court terme, s’il n’est pas recapitalisé. Cela pourrait passer par la création, par les acteurs privés de la filière textile, d’une société ad hoc »

Pour la gouvernance du CETI, cette mutation serait déjà engagée, adossée à un cabinet conseil spécialisé, BPI, même si le Centre européen des textiles innovants compte encore, « à court terme », sur les subventions publiques pour accompagner cette phase, rapporte la Chambre des comptes.

 

Une JV au Pays basque

 

En décembre 2021, le CETI a créé une SAS en partenariat avec l'ESTIA, école située à Bidart (Pyrénées Atlantiques). Une évolution que conteste la Chambre des comptes. « L’association est donc devenue, en 2021, actionnaire associé, à 50 % (capital social de 0,4 M€), d’une SAS basée au Pays basque, l’année même où son résultat net comptable était déficitaire de plus de 0,3 M€ (et où) sa trésorerie était soutenue par une nouvelle avance de l’UITH, de 0,3 M€, et deux prêts de 0,4 M€ chacun, en fin d’année », décrit le rapport pour qui la création de cette structure privée, « potentiellement concurrente et sans lien avec le territoire des Hauts-de-France (…) paraît porter atteinte aux intérêts du CETI et de ses financeurs, uniquement appelés à combler les déficits d'exploitation et au respect de ses engagements de valorisation de la région ». Les magistrats demandent un audit juridique et financier des retombées et des risques éventuels, et la présentation de cet audit aux instances de l'association et à ses financeurs publics.