Menaces sur notre or bleu : que faire ?

L'avenir de l'eau s'assombrit. La France, traditionnel château d'eau très bien rempli, voit année après année sa ressource diminuer, les périodes de sécheresse se multiplier et s'aggraver, à l’instar de l'été dernier. Et en Hauts-de-France ? Le Ceser dresse un tableau inquiétant et propose une batterie de mesures pour remonter le courant.

 

Le Ceser s'empare de la question de l'eau dans notre région. Le sujet n'est pas nouveau, spécialement dans les Hauts-de-France où deux agences de l'eau en sont chargées, avec une qualité générale faible et de nombreuses fragilités. La gestion de l'eau s'avère en outre assez fragmentée, tandis que la situation de la ressource régionale est tout sauf satisfaisante. L'organe consultatif de la région a planché en profondeur sur la question pendant deux ans et demi, aboutissant à une forme de livre bleu, et un colloque tenu à Lille le 8 novembre. Avec en point d'orgue un train de 42 propositions susceptibles de relancer la politique de l'eau dans les Hauts-de-France.

Recharge insuffisante des nappes phréatiques ; allongement des périodes de sécheresse et réduction des périodes de pluie ; des pertes de 20% dans les réseaux ; réduction et fragilité des zones humides, biodiversité des milieux aquatiques fortement dégradée, invasion d'espèces animales et végétales exotiques, de l'écrevisse américaine à la jussie, cultures trop gourmandes en eau... N'en jetez plus, la coupe est pleine et de mauvaise qualité. Or l'eau est essentielle tant à la vie économique qu'à la vie tout court. Sa reconquête est donc une nécessité pour le territoire des Hauts-de-France.

« Nous avons à régler une contradiction entre la disponibilité de la ressource et le besoin supposé de la ressource. Il faut d'abord s'interroger sur le caractère vital de ces besoins », juge André Flajolet, président du comité de bassin Artois Picardie, qui pointe «l'extrême fragilité » de ce patrimoine naturel. « Nous ne pourrons pas continuer à taper dans la nappe », assène-t-il en pointant des pratiques culturales. «Peut-on produire tout et n'importe où ? La réponse est non ! »

« IL Y A URGENCE »


« L'eau est facile à consommer, mais elle est fragile. Pour faire en sorte qu'on ait une eau ressource permanente, cela suppose des changements de comportements. Pour nous il y a urgence ! », lance Laurent Degroote, président du Ceser Hauts-de-France.

Le Ceser a examiné 31 scénarios d'évolutions possibles selon le croisement de différents paramètres (ressource et environnement, modes de vie, territoires, usages, gouvernance, recherche, technologie et connaissance, et enfin, santé). Au terme de ce travail, le Ceser a bâti un ensemble de 46 préconisations «pour un futur serein de l’eau en Hauts-de-France », dont nous présentons ci-dessous les principales, organisées autour de 6 enjeux majeurs.

Le premier porte sur la disponibilité durable de l'eau, pour garantir tant sa quantité que sa qualité et ceci dans le temps. Pour le Ceser, il convient de sanctuariser les champs captants avec des activités compatibles avec cette nécessité (agriculture bio, espaces de loisirs...), mais aussi d'améliorer les installations et infrastructures d'alimentation en eau potable, de collecte des eaux usées et de gestion des eaux pluviales. L'interconnexion des réseaux d'eau potable de gestion publique est aussi préconisée pour faciliter la continuité de l'approvisionnement. Le Ceser insiste sur la nécessité de conditionner toute implantation d'entreprise fortement consommatrice d'eau à l'engagement d'une démarche territoriale concertée pour économiser le même volume d'eau, et à des garanties apportées sur l’absence d’impact sur les écosystèmes aquatiques et les zones humides concernées.

L'organe consultatif de la région souhaite aussi voir développer les plans de gestion de la sécurité sanitaire des eaux (PG2SE) sur tous les territoires, et notamment leurs dispositifs d'alerte face aux risques de pollutions.

REDUIRE LA FRAGMENTATION DES POLITIQUES DE L'EAU

Deuxième axe, il faut réinvestir dans les infrastructures « vertes et bleues». Cela passe par la restauration et la gestion des écosystèmes aquatiques et des zones humides, le développement de nouvelles formes de culture et d'irrigation plus sobres. De même, il faut développer des aménagements écologiques de type haies, noues, zones humides, zones d'expansion de crues..., pour orienter l'écoulement des eaux et protéger de l'érosion. Des mesures plus modestes mais à l'impact significatif sont proposées comme l'installation de double réseau dans l'habitat.

Autre enjeu, l'information et la sensibilisation de la population et des acteurs du territoire. L'objectif est que tous s'approprient cette problématique fondamentale. Dans la même logique, il est proposé de renforcer le poids de la société civile dans les instances locales de gouvernance de l'eau.

Le quatrième axe porte sur la mise en cohérence des politiques. Le Ceser propose ainsi de mettre en œuvre une coordination entre acteurs infrarégionaux et entre les différents niveaux d'administration, sous la houlette du conseil régional. De même, des outils de gouvernance transversaux à l'échelle locale devraient être adoptés pour davantage de coopération entre acteurs. Objectif : réduire la fragmentation des politiques de l'eau.

Cinquième enjeu, inciter à l'usage efficient de l'eau. Le Ceser préconise de généraliser la tarification sociale pour les publics les plus en difficulté, mais aussi une tarification baptisée «binôme» incluant une part fixe, indépendante de la consommation mais liée à l'importance du branchement, et une part variable, tant pour les habitants, les industriels ou les agriculteurs.

Xavier Bertrand, qui concluait le colloque, a botté en touche sur la dimension institutionnelle, tout en saisissant la perche de la coopération : «Prendre la compétence (de l'eau) n'est pas possible. Mais si nous pouvons aider à jouer un rôle transversal, nous n'hésiterons pas à le faire. Je suis intimement convaincu qu'on ne peut pas voir les choses de façon éparse ». Le président de Région n'entend pas non plus laisser le débat aux seuls experts. « Si une instance se met en place, doivent y figurer aussi les agriculteurs et les acteurs économiques », martèle-t-il, évoquant notamment la question des bassines.

« On en a absolument besoin dans l'Oise et dans de nombreux départements. On aurait déjà dû commencer depuis un bon moment car les épisodes vont se reproduire »

 

QUI PRÉLÈVE L'EAU ?

Agriculture : 83 millions de m3 (+ 181%/ 2012)

Eau potable : 393 Mm3 (-2%/ 2012)

Industrie : 704 Mm3 (+16%/ 2012)

793 stations d'épuration

Taux de fuite du réseau : 20%