Mondialisation : Nos coopératives agricoles avancent leurs pions

Textes Julie Dumez et Guillaume Roussange (à Amiens) Illustration Francis Leonhardt

 

Elles génèrent plus de 4 mds€ € de chiffre d’'affaires pour 6 000 salariés. Souvent méconnues, les coopératives agricoles régionales représentent un atout économique indéniable pour notre territoire. A la veille du rapprochement avec la Picardie, autre terre de coop, et de la fin des quotas, la concentration amorcée depuis plusieurs années se poursuit à marche forcée.  Les bottes dans la terre, le regard vers le monde, tour d’'horizon d’un secteur en mutation. 

 


Concentration, diversification, alliances, internationalisation... Téréos poursuit ses acquisitions au Royaume Uni après le Brésil. Gènes Diffusion plante son drapeau aux Etats-Unis, la coopérative La Flandre se rattache à la picarde Noriap : à l'heure où la libéralisation de l'agriculture s'accélère, les acteurs régionaux sont engagés dans une course. Une course à la taille pour atteindre la masse critique suffisante, doublée d'une guerre de position pour compter sur l'échiquier mondial dans un environnement toujours plus concurrentiel.

 


+75% en quatre ans
Parmi nos géants régionaux, Advitam à Saint-Laurent-Blangy, basé sur Unéal, sa maison-mère au socle coopératif. Cette dernière est issue du rapprochement de la Coopérative A1 et des Hauts de France. Advitam représente aujourd’'hui 8 000 agriculteurs, emploie 2 300 collaborateurs sur 350 implantations. Un mastodonte. En quatre ans, il a progressé de plus de 75%, passant de 723 M€€ à 1,3 Md€ de chiffre d’'affaires. Tandis que son résultat et ses fonds propres ont doublé. « Depuis 2008, nous avons une croissance rapide, organique et externe », explique Bertrand Hernu, président d’'Advitam. Une tendance qui s’est accentuée ces dernières années. « Tout le monde se pose la question de la taille critique en raison du poids des charges et des incertitudes. Cela pousse à trouver des synergies ». Au delà de sa base, le groupe s’'appuie sur quatre pôles complémentaires (négoce, distribution verte, machinisme et transport) issus des diversifications opérées par les coopératives initiales. « Pour peser nous avons intérêt à être groupés. Je fais partie de ceux qui plaident pour que nos coopératives investissent autant dans l'’amont que dans l’'aval. Comme dans la fabrication d’'engrais ou dans la commercialisation. Ce n’'est pas quelque chose qui se décrète mais on a toujours intérêt à être partie prenante et vous ne pouvez pas y aller seul », décrypte Jean-Bernard Bayard, président de la Chambre d'’agriculture Nord-Pas-de-Calais. (Lire son interview)

 

 

 

 Autre colosse aux racines régionales, Tereos. Le sucrier issu de la fusion en 2002 de Béghin-Say et de l’'Union des sucreries et distilleries agricoles (Union SDA) a radicalement changé de dimension. 2010 marque une nouvelle étape de son internationalisation avec la création de Tereos Internacional et le rachat de deux usines au Brésil. En 2011, la féculerie d’'Haussimont (51) puis la féculerie coopérative de Vic-sur-Aisne entrent dans le giron de ce géant mondial. En reprenant cette année le distributeur de sucre anglais Napier Brown Sugar pour 34 M£ (47 M€€), il gagne des positions avant la libéralisation du marché européen en 2017. 3e groupe sucrier mondial, 1er français et 2e brésilien, Tereos génère aujourd’hui 4,3 milliards d’'euros de chiffre d’'affaires et associe 12 000 coopérateurs. Le phénomène de concentration s’'explique « par la nécessité pour les exploitants de baisser leur prix de revient et d'’être en capacité de faire des investissements qui correspondent aux besoins du marché », observe Louis Guillemant, ex-DG d’Advitam, aujourd’hui consultant pour le pôle d’'excellence Agroe.

Depuis le 1er juillet, les coopératives céréalières Noriap en Picardie et La Flandre en Nord-Pas-de-Calais se sont rapprochées pour former l’'Union Flandre Picardie. Objectif : développer des synergies notamment sur la fourniture d‘'intrants et optimiser des fonctions supports. Selon Louis Guillemant, le mouvement de regroupement va se poursuivre et même dépasser les frontières administratives voire nationales, « ce qui est déjà en cours dans le nord de l’'Europe, notamment pour les coopératives laitières ». Et d'’ajouter : « dans le Nord-Pas-de-Calais, les coopératives céréalières et sucrières sont typiquement des fournisseurs des produits de base, non-élaborés ou semi-élaborés, destinés à l'’approvisionnement de l'’industrie agroalimentaire. Dans cette logique industrielle, il est nécessaire de concentrer le dispositif économique ». L’'union fait la force. Advitam le prouve encore avec un investissement substantiel de 25 M€€ à Bapaume où une nouvelle station de semence devrait être opérationnelle d'’ici 2 ans. « Le but est de rationaliser en amenant de nouvelles technologies », insiste son président Bertrand Hernu (photo) qui veut anticiper les changements majeurs de la génétique. De même, sa centrale d’'achat d’'agrofournitures Sicapa adhère à l’'Union Nationale In Vivo. Manière de peser sur les coûts et de bénéficier d'’une expertise technique. Parce que la professionnalisation du secteur est aussi en jeu. Techniciens, acheteurs matière première, responsables silo, traders ou encore spécialistes des outils d’'aide à la décision sont des compétences recherchées. Grossir permet donc d'’accéder à ce type de profil pour jouer sur le marché monde. Ce que corrobore Laurent Pringault en charge des dossiers agro au Cre?dit Agricole, la banque historique du secteur. « On voit émerger des acteurs de taille très significative dans le monde coopératif. Face à un marché de plus en plus complexe, face à des centrales d'’achat qui se regroupent, il leur faut des compétences toujours plus pointues, des traders capables de suivre les cours mondiaux ».

 

 

 

 

Proximité

Si le modèle coopératif assure des bases solides en période de gros temps, il n'’empêche les turbulences comme dans toute entreprise. Ce fut justement le cas cet été à la coopérative laitière de la Prospérité fermière-Ingredia à Arras. Un vent de re?volte a pousse? une partie des adhe?rents a? manifester devant le sie?ge. Riche de 1700 adhérents, d’'un chiffre d’affaires de 414 M€€ pour 400 millions de litres collectés, elle prévoyait l'’an dernier de doubler son chiffre d’affaires. Mais dans un contexte chahuté par l’'arrêt des quotas laitiers, le groupe a choisi de réduire la voilure. Exit les ambitions, gelée la tour de séchage prévue pour un investissement de 20 M€€.
A grossir à marche forcée, n’'y a-t-il pas un risque d’'effritement du modèle ? En voulant atteindre la fameuse taille critique indispensable à la compétitivité, la perte de proximité est un réel enjeu. Chez Advitam, on joue par exemple la carte d’'une gouvernance régionalisée et de points de collecte tous les 8 kilomètres. « Face à cette dimension, certains agriculteurs nous disent qu’'ils craignent de perdre « leur âme ». Il y a un sujet mais il faut veiller à ne pas rentrer dans une dérive », observe Jean-Bernard Bayard.
Les filières sucre, lait, céréales et alimentation animale trustent le rayon des grandes coopératives en Nord-Pas-de-Calais. La pomme de terre, l’'abattage et la transformation de viande ne représentent qu’'une plus faible part mais tendent à progresser selon les chiffres de la chambre d'’agriculture régionale.
Pour le tabac par exemple, 100% de la production régionale est produite en coopérative comme pour le houblon. C’'est à Berthen qu’'Yvon Pruvost gère Houblon de Flandre – CoopHounord. Avec ses 7 adhérents, la coop produit 30 à 40 tonnes par an grâce à 27 hectares de culture. Ses débouchés ? Le marché français des brasseurs dopé par la multiplication des petites et moyennes-brasseries locales. Une activité qui génère environ 200 K€€ de chiffre d'’affaires. Loin des cours mondiaux, ce modèle coopératif représente une « nécessité » pour son dirigeant. Ainsi, notre région possède un système coopératif composé de majors internationaux mais aussi de petites structures à vocation locale. Un paysage bientôt renforcé avec la fusion avec nos voisins picards qui comptent également un système coopératif puissant et très diversifié. Première productrice de betteraves à sucre, seconde pour les céréales, la pomme de terre et les endives... Si la Picardie figure aujourd’'hui parmi les champions agricoles, c’'est en partie grâce à la force de son système coopératif. Celui-ci représente 80 entreprises environ, fédérant 13 000 exploitants et employant quelque 4 300 salariés. Parmi les plus connues de ces structures : Valfrance, coopérative céréalière et semencière implantée à Senlis, dans le sud de l’'Oise. Regroupant plus de 1 300 exploitants, la structure se distingue par la qualité de ses blés, utilisés pour la production de la farine « Label rouge ». Outre les céréales, d'’autres productions régionales, même plus marginales, bénéficient aussi du système coopératif. C’'est par exemple le cas du lin avec le groupement Lin 2000 de Grandvilliers (Oise), mais aussi des différentes coopératives vinicoles, telles que la Covama ou La Grappillère, implantées dans le sud de l’'Aisne. Méconnue, cette production représente 10% du champagne français.

 

 

 

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